En cette période de quarantaine, d’isolement, d’auto-isolement et de confinement, pour faire barrière à la propagation du Coronavirus, de nombreuses questions se posent sur le monde de la recherche, notamment au Bénin. Cette recherche est conduite par des chercheurs qui militent dans des associations dénommées sociétés savantes. Educ’Action est allé à la rencontre de ces organisations à travers deux acteurs non moins importants de la scène béninoise dans ce dossier.
21 mai 2018. Comme d’habitude, l’Université d’Abomey-Calavi grouille de monde, particulièrement en zone Master. La raison de cette affluence, c’est le premier colloque organisé par l’Association Internationale de Pédagogie Universitaire (AIPU) en Afrique subsaharienne. Un an plus tard, le 23 juillet 2019 cette fois-ci, c’est le Bénin Royal Hôtel qui est pris d’assaut par plus de 400 personnes. La raison, c’est le deuxième Colloque international de l’Association pour l’Innovation Pédagogique et le Développement Professionnel (AIPDP). Vous l’aurez compris, ce sont des activités des sociétés savantes. Dans le cas de l’Académie Nationale des Sciences, Arts et Lettres du Bénin (ANSALB), dont est membre le Professeur Michel Boko, Prix Nobel de la Paix 2017 et membre fondateur, diverses activités et rencontres sont organisées pour confronter les connaissances. Ainsi, l’ANSALB tient des conférences chaque dernier vendredi du mois dénommées, les vendredis de l’Académie ainsi que des travaux en commissions spécialisées sur le climat, l’environnement, la santé, l’agriculture, l’éducation et l’éthique pour approfondir les débats scientifiques entre spécialistes. L’opinion et la compréhension que chacun se fait d’une société savante varient d’un étudiant à un autre, d’un citoyen à un autre. Alors qu’est-ce qu’une société savante ?
Sociétés savantes, des faiseurs de science …
Entièrement tournée vers la science, une société savante est « une association indépendante de grands savants ayant décidé, librement, de confronter leurs connaissances sur les problèmes contemporains de la science, de la vie et de l’évolution de la société, et de faire des projections sur le futur, à moyen et à long termes », selon le professeur Michel Boko, enseignant-chercheur à la retraite. Vice-Président de l’AIPDP Bénin. Christian da Silva ajoute que l’objectif de son association est « de permettre à la diaspora qui constitue un vivier de cadre à tous les niveaux (chercheurs, enseignants, chefs d’entreprise, entrepreneurs, étudiants, …) de pouvoir impacter leur pays d’origine ». En plus des scientifiques, l’AIPDP regroupe des professionnels de divers domaines ainsi que des étudiants. Les sociétés savantes sont des faitières qui se réunissent régulièrement pour faire le point des évolutions scientifiques dans le monde selon leur domaine spécifique. Par exemple, « l’Association Internationale de Climatologie (AIC) se réunit chaque année pour faire le point des connaissances dans les divers domaines dont la maîtrise contribue à une meilleure connaissance des phénomènes climatiques et des conséquences sur les écosystèmes naturels, sur les milieux urbains, l’agriculture, la santé humaine, etc. », révèle le Professeur Michel Boko au sujet de l’AIC dont il est aussi membre depuis 1990. Revenant à l’ANSALB reconnue officiellement en 2016, l’académicien renchérit en précisant qu’elle « a pour objet le développement des sciences au Bénin, afin d’éclairer le gouvernement, les acteurs du secteur privé et plus généralement le public béninois sur les grands problèmes scientifiques qui conditionnent le développement de la nation dans tous les domaines de la vie (naturel, économique, social et artistique, …) ». Cependant beaucoup s’interrogent sur la contribution des sociétés savantes au développement d’une nation.
Sociétés savantes, des pièces maitresses du développement …
« Un pays qui veut réellement prendre le chemin du développement social, culturel et économique a l’obligation de s’adosser aux sociétés savantes », martèle le professeur Boko, recteur-fondateur de l’Université de Parakou et membre du Groupe Intergouvernemental des Experts pour l’Etude des Climats (GIEC) de 1989 à 2007. Et pour cause, le développement nécessite une connaissance fine et solide de l’environnement physique et du contexte socio-anthropologique. Deux variables que la science s’approprie par la recherche et la confrontation des savoirs issus de cette recherche. En un mot, précise Michel Boko, « il ne peut s’agir de plagier les modèles de développement d’un autre contexte physique, socio-anthropologique ou culturel ». A l’AIPDP, la question du développement préoccupe aussi. Mais là-bas, elle passe d’abord par le développement des compétences de ses membres. S’agissant des retombées des colloques, le Président de l’Union des familles da Silva du monde, Christian da Silva informe que « de nombreux doctorants et étudiants ont eu des ressources et informations nécessaires pour finaliser leurs travaux de recherche ». Du côté des professionnels, il révèle que certains ont acquis de nouvelles compétences pour être beaucoup plus proactifs dans leurs structures professionnelles. Autres retombées des colloques, ce sont des partenariats qui se sont également développés entre individus et institutions comme c’est le cas avec l’université d’Abomey-Calavi dans le domaine de la formation, de la recherche et de l’innovation pédagogique. Comme toute organisation, les sociétés savantes rencontrent aussi des difficultés.
Le rayonnement scientifique à l’épreuve des pouvoirs politiques et financiers
« Il faut maintenir une séparation bien nette entre les sociétés savantes et les pouvoirs politiques ». En jetant le pavé dans la marre, l’intention du Professeur Michel Boko est claire : mettre chacun dans son rôle. « Le vrai homme de science doit savoir garder son indépendance vis-à-vis de la sphère politique avec laquelle il ne doit entretenir que des relations de collaboration sans complicité et sans rien céder de sa liberté de penser », éclaire l’ancien directeur de l’Ecole Doctorale Pluridisciplinaire de l’UAC. En ce qui concerne l’acteur politique, il « doit endosser toute sa responsabilité, ses succès comme ses échecs. Il ne doit pas chercher à détourner les travaux de l’Homme de Science vers des utilisations malveillantes », martèle-t-il. Cette nécessaire démarcation est, à en croire l’enseignant-chercheur, un aspect crucial pour l’épanouissement social, car il doit y avoir complémentarité et collaboration dans le développement, sans confusion ni complicité au détriment des peuples et des Nations. Comme l’a si bien dit Rabelais : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Outre cette nécessaire démarcation, l’autre difficulté quotidienne soulignée par chacun des deux responsables est liée au financement des activités utiles à l’obtention d’un meilleur impact sur la société. Dans le cas de l’AIPDP, l’ex DGA de Bénin Télécom Infrastructures ajoute : « il y a peu de membres actifs qui participent vraiment à la chose ». En cette période de course scientifique pour trouver un remède au Coronavirus, la citation de Molière dans Le Bourgeois Gentilhomme a tout son sens : « Sine doctrina, vitae est quasi mortis imago », ce qui signifie : « Sans la Science, la vie est quasiment l’image de la mort ». Il urge pour les chercheurs béninois d’enlever leur lampe sous le boisseau afin qu’elle éclaire le Bénin et l’Afrique en faisant la politique de leurs moyens.
Adjéi KPONON