Le travail libère l’Homme, dit l’adage. Cependant, les jeunes sont aujourd’hui tassés de partisans de moindre effort dans un monde dominé par la technologie qui rend toute chose rapidement et facilement accessible. Cette image assimilée à la jeunesse suscite des questions auxquelles certains spécialistes avertis de la société essaient d’apporter des réponses. Reportage !
A Abomey-Calavi, derrière le petit cimetière situé à quelques encablures de l’Église Saint Antoine de Padoue, tout le monde s’affaire dans ce grand atelier de menuiserie. Ici, quelques adultes et trois (03) apprentis sont pris par le travail du bois. Les différents ouvrages et morceaux de bois occupent la grande partie de l’espace. Pas de temps à l’amusement, tout le monde est à l’œuvre. Selon l’activité menée, on veille à respecter certaines dispositions sécuritaires. Ce qu’il y a de commun, c’est que tous, des patrons aux apprentis, sont revêtus d’un tapis de poudre de bois des cheveux aux orteils. Instructions, discussions chaleureuses et rires se confondent pour faire passer la pénibilité du travail devant les machines, scies, rabots et autres instruments.
Cinq (05) minutes plus loin, à vol d’oiseau, toujours dans la même commune, c’est un autre décor à Houèto. Dans cet autre quartier d’Abomey-Calavi, on profite de la vie. Le vrombissement des deux (02) motos qui traversent la rue à vive allure et à coups de klaxons donne déjà le ton. « C’est un jeune du quartier qui vient certainement de réussir le pari d’arnaquer un client en ligne », explique Edith (prénom attribué), jeune mère de 28 ans, aux attributs féminins dignes de la femme africaine. En attente de soutenance de Licence à la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de l’Université d’Abomey-Calavi, elle a déjà mis ses études sur le banc de touche pour se consacrer au commerce de produits alimentaires. « La jeunesse d’aujourd’hui me déçoit. Ils ont l’amour du gain facile. Les garçons préfèrent la cybercriminalité. J’en connais beaucoup ici qui ont laissé les études. Les filles, elles, préfèrent la prostitution ou bien sortir avec des cybercriminels. Elles ne veulent pas se retrousser les manches comme nous », se plaint Edith, dans un français clair, tournant régulièrement les yeux pour observer sa marchandise et sa fillette qui joue à côté.
Face à ce constat dans deux (02) mondes différents, il importe de savoir ce qu’est le travail pour les jeunes aujourd’hui et les raisons de ce désamour du travail.
Le désamour du travail aujourd’hui
S’il y a un point sur lequel les jeunes interrogés sont tous d’accord, c’est celui-ci : le travail est une activité menée contre une rémunération. La réponse qui fédère le mieux les propos est celle-ci : « Le travail est tout ce qui peut demander à l’homme de dépenser ses énergies, son temps et ses compétences contre une rémunération, une contrepartie », affirme Banarbé Kouélo, écrivain, spécialiste des questions éducatives et d’orientation, promoteur de l’Ong Educ-Afrique. S’agissant du regard de partisans de moindre effort porté sur les jeunes, les avis s’opposent à cette peinture. Pour Emmanuella, étudiante en journalisme, « on ne devrait pas accuser les jeunes de ne pas aimer le travail. La grande majorité aime le travail. Quelqu’un qui a des ambitions doit aimer le travail ». Ce qui est contraire à la position d’Edith qui affirme, sans ambages, que pour une grande majorité, les jeunes sont des paresseux, préférant tourner les pouces à la maison devant la télévision, dans les discussions inutiles ou s’adonnant à la cybercriminalité et à la prostitution. Pour Banarbé Kouélo, promoteur de ONG Educ-Afrique par contre, cette posture frôle la provocation. Joint au téléphone, le chroniqueur n’y va pas du dos de la cuillère pour donner son point de vue. « Je crois que ceux qui le disent se foutent de la jeunesse, surtout celle consciente », martèle-t-il. Poursuivant ses explications, il ajoute : « dans un contexte où plus de 90% des jeunes sortis de nos universités continuent d’être des charges pour leurs parents, sont accueillis par le chômage, attendent les concours de recrutement où, lorsque l’État lance un concours de dix (10) places, plus de quarante mille (40.000) jeunes se bousculent à chaque fois pour déposer leurs dossiers, essayez de me dire en quoi les jeunes sont paresseux ».
Les spécialistes de l’éducation ont également leurs avis sur la question. Almira Simiclah, éducatrice spécialisée à Village d’Enfants SOS (VESOS) Abomey-Calavi, fait savoir que « c’est la société qui a l’amour du gain facile. Les générations plus âgées ont, elles aussi, l’amour d’une vie plus facile et moins tracassante. Les jeunes ne font que refléter les tendances modernes de la société béninoise ». Amour du gain facile, désamour pour le goût de l’effort, quelles en sont les causes ?
Les causes du désamour du travail
« En préparant psychologiquement les jeunes à la bureaucratie, le système éducatif les a rendus paresseux. C’est l’échec du système, composé de la trilogie système éducatif – parents – gouvernants, qui a causé ce désamour des jeunes pour le travail. Le chômage criard des jeunes sortis de nos universités a considérablement causé ce désamour », soutient d’une plume ferme et décidée Banarbé Kouélo. Avis partagé par Léopold Worou, patron menuisier à Abomey-Calavi, qui accuse aussi les parents. « Les jeunes ne veulent pas le travail manuel, mais ils veulent aller à l’école pour devenir Akowé ‘‘intéllectuel’’ , ce qui les rend paresseux. Ils manquent de patience et ne veulent pas attendre pour se construire », explique le père de quatre (04) enfants, après une épuisante journée de travail. A propos des parents, il fait observer qu’ils rendent les enfants paresseux en faisant tout pour eux et parfois à leur place, au point où ils deviennent des esclaves pour leurs enfants, notamment en ville. A ce sujet, Almira Simiclah, ajoute : « là où on montre aux enfants que tout se réduit à la richesse matérielle et qu’on subvient à tout leurs besoins sur le plan financier et matériel, sans trop se préoccuper des besoins de ses enfants sur le plan de leur développement, la construction de leur identité, de leur bien-être, c’est normal que les enfants développent des vices ». Face à ce constat, se pose alors la question de comment corriger le tir pour le bien-être de la société en général et des jeunes en particulier, voire aussi des parents.
La rééducation au travail comme solution
Tout se joue avant l’âge de 7 ans, s’accordent à dire les spécialistes des sciences psychopédagogiques. L’éducatrice spécialisée, Almira Simiclah, ne dira pas le contraire. Une fois l’enfance passée, c’est la motivation qui occupe une grande place. « Pour que l’enfant puisse comprendre ou faire des efforts de manière plus aisée, on joue énormément sur sa motivation. Peu importe l’âge, de 0 à 77 ans, si vous n’avez pas de motivation, tout ce que vous faites devient pénible », déclare la spécialiste de l’éducation. S’adressant aux parents, elle demande de ne pas négliger les tâches à confier à l’enfant depuis qu’il est tout petit, notamment les tâches domestiques. « De l’enfance à l’adolescence et même à la jeunesse, il n’y a aucune différence car une tâche accomplie est une tâche qui a nécessité des efforts. Quand parfois nous recevons des visites des parents, nous les invitons à ne pas négliger les travaux domestiques. La tendance est que pour que l’enfant puisse mieux étudier, il faut le libérer au maximum de tout ce qu’il y a à faire dans la maison. C’est un faux problème », révèle la spécialiste. En effet, « l’accomplissement des tâches domestiques contribuent au développement cognitif de l’enfant, c’est-à-dire la pensée, l’organisation dans le travail, l’analyse, etc. », éclaire-t-elle. En outre, continue l’éducatrice spécialisée, faire les travaux domestiques est une meilleure façon de se reposer parce que, après avoir travaillé intellectuellement, vous vous reposez en faisant autre chose. Ainsi, ce que vous avez appris est en train d’être assimilé par le cerveau. Les enfants doivent être responsabilisés dans l’accomplissement des tâches, renseigne-t-elle.
L’autre aspect de l’engagement dans l’effort chez les jeunes, c’est la question de l’orientation. Sur ce point, elle invite les parents, déjà à partir du primaire sinon au premier cycle du secondaire, à avoir des échanges avec les enfants, de les observer beaucoup pour voir quels sont leurs potentiels, quels sont leurs intérêts, quels sont leurs besoins. En somme, discuter beaucoup de leurs projets de vie dont le projet socio-professionnel est une partie, conseille-t-elle.
Pour Banarbé Kouélo, le système éducatif doit se transformer en « un système d’accompagnement et non de bavardage, un incubateur de soutien et d’outils à l’endroit de la jeunesse ». Il y va de l’avenir de la Nation et du bien-être de la société.
Adjéi KPONON