Construction des infrastructures éducatives : L’éclairage des salles de classes, l’autre défi de l’Etat - Journal Educ'Action - Éducation au Bénin et dans le monde

Construction des infrastructures éducatives : L’éclairage des salles de classes, l’autre défi de l’Etat

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C’est la chose la plus banale pour les citoyens des grandes villes comme Cotonou mais, c’est toujours un luxe en milieu rural. Avoir de la lumière chez soi est devenu la norme, mieux une exigence pour bénéficier des bienfaits de la modernité. Mais quand vous entrez au fond des choses, vous vous rendez compte que cette norme est anormale et pour cause, vos lampes vous cachent la vérité. De quelle vérité s’agit-il ? Eléments de réponse dans cette enquête express.

Et Dieu dit : « Que la lumière soit ! » Et la lumière fut. De Thomas Edison, inventeur de la première version améliorée de l’ampoule électrique, à aujourd’hui, l’humanité a fait un grand bond. Maintenant, ce sont les ampoules au néon et aux Diodes Electro-Luminescente (DEL), issues de l’anglais LED qui ont remplacé les ampoules à filament de Edison. Même si elles sont économiques et écologiques, les ampoules LED sont la source de nombreux dommages, car il en existe des normales et des ‘‘pas normales’’ du point de vue santé oculaire. Lorsqu’on n’utilise pas celles qui sont aux normes, mieux adaptées aux yeux humains, notamment en milieu éducatif, il y a des conséquences. Alors question : « les cadres, les entreprises ou les employés, qui font le câblage électrique et achètent les luminaires pour les lieux d’apprentissage (classes, amphithéâtres) respectent-ils ces normes ? » Réponse : « non ». Seconde question : « En ont-ils bonne conscience ? » Réponse : « Généralement non ! ». Voilà qui plante bien le décor du dialogue entre le reporter de Educ’Action et Arnaud Egue, ingénieur-électricien chez Comtel. Ces réponses montrent l’ampleur d’une situation négligée aux conséquences assez pernicieuses.

Un état des lieux qui fait froid dans le dos…

« Il y a des cas. Mais comme c’est progressif, on ne sait pas que ces problèmes d’yeux sont dus aux lampes qu’on a utilisées tout le temps, ou qu’on est resté dans une zone mal éclairée. L’effet des lumens sur les yeux n’est pas bon. Donc, l’œil se rétracte peu à peu jusqu’au moment où on perd la vue. C’est en ce moment qu’on voit des petits enfants qui portent des lunettes, des loupes, ainsi de suite. Je pense que la plupart des problèmes d’yeux sont dus à cela ». C’est un constat de l’ingénieur de Comtel qui est aussi rejoint par l’ensemble des personnes ressources interrogées dans le cadre de cette enquête. Selon docteur Hermione Vidégla, médecin ophtalmologiste, les consultations d’enfants augmentent en ophtalmologie. Malheureusement, la situation actuelle ne permet pas d’entrer en possession des chiffres. La principale difficulté avec les conséquences de l’usage de ces lampes hors normes, c’est qu’elles n’apparaissent pas du jour au lendemain. Comme pour l’éducation, les effets se font ressentir avec le temps. Ces conséquences presque imperceptibles comme un virus qui ronge de l’intérieur sont de plusieurs ordres. Dans l’immédiat, c’est la fatigue visuelle et son corollaire de maux de tête imposés par le mauvais éclairage. « Cela demande plus d’efforts aux élèves pour voir à une certaine distance. L’accommodation visuelle souffre, ce qui peut entraîner à court terme la fatigue visuelle, les maux de tête, le désintérêt de l’enfant à continuer parce qu’il n’arrive pas à suivre », souligne docteur Ferdinand Boton. Ergonome de formation, docteur Boton est spécialiste des conditions de travail et de santé au travail. A cela, Hermione Vidégla ajoute que l’exposition prolongée à une lumière de mauvaise qualité peut entraîner un trouble de la concentration, l’éblouissement, une sécheresse oculaire. A long terme, poursuit-elle, « des effets plus néfastes peuvent apparaître tel qu’un trouble visuel, un trouble du sommeil, une irritabilité, un trouble de l’humeur ». Citant les pathologies, elle renchérit : « cela peut entraîner une cataracte, une dégénérescence maculaire ou un stress toxique pour la rétine observé essentiellement chez les enfants ». Comment peut-on en arriver-là avec des objets du quotidien qui sont censés nous sortir de l’obscurité ?

Des normes ignorées ou mises aux oubliettes ?

Comme tout secteur technique, le domaine de l’éclairage est régi par des normes : la norme CE. D’abord, « il y a deux types d’éclairement en milieu du travail. L’éclairement naturel apporté par le soleil et l’éclairage artificiel apporté par les lampes », informe Ferdinand Boton. En ce qui concerne les lampes, essentiellement LED, il y en a de trois groupes : « les ampoules LED blanc-chaud dont la lumière tend vers le jaune. Elles sont plus conseillées pour les chambres, le salon, le couloir, la cuisine, etc. Ensuite, il y a les ampoules blanc-froid dont la lumière est d’un blanc éclatant et très agressif pour les yeux, car comportant plus de lumière bleue. Enfin, nous avons les ampoules blanc-neutre intermédiaires entre les deux précédentes. Ce sont elles qui se rapprochent le plus de la lumière naturelle, donc plus conseillée chez les apprenants et les enseignants », clarifie docteur Vidégla. Selon Arnaud Egué, qui donne plus de précisions techniques, pour les salles de cours, d’hôpitaux, de conférence, les ateliers, il faut « les luminaires de 4000 kelvins. C’est du jaune qui veut virer vers le blanc ». Ensuite poursuit-il, « pour les salles de séjour, les salons, il y a les lampes de 3000 kelvins. Elles ont un fond jaune. C’est la lumière du jour ». Mais, voici le problème : « aujourd’hui au Bénin, et même partout en Afrique, on utilise la lampe de 6500k partout. Ce sont les lampes blanchâtres. Cela n’est pas bon pour les yeux », révèle Arnaud Egué. D’une révélation à une autre, voici la deuxième boîte de Pandore : « la plupart des fournisseurs vont acheter les lampes venues de Chine. La majorité de ces lampes ne sont pas régies par les normes CE », ajoute le technicien. Pour boucler la boucle, ergonome et technicien enfoncent le clou, les salles sont mal éclairées. Et pour cause, la répartition des ampoules est faite de façon artisanale, sans respect des prescriptions techniques adaptées en matière d’éclairement, le tout dans des salles, qui, parfois, ne respectent pas les normes. Revenons sur ce dernier point. De quoi s’agit-il ?

Etude photométrique, la pierre angulaire rejetée par les bâtisseurs !

« Pour définir le nombre de luminaires, il faut faire une étude photométrique », renseigne Arnaud Egué. Poursuivant ses explications, il ajoute : « l’utilisation des salles correspond à un type de lux donné. Par exemple, pour un couloir, le degré d’éclairement est de 160 lux. Pour une salle de réunion, j’ai jusqu’à 300 lux. Dans une cuisine, c’est 250 lux. Dans des bureaux, c’est entre 250 et 300 lux. Dans les amphithéâtres, c’est jusqu’à 400 lux ». Avant de continuer, le lux est le degré d’éclairement d’un lieu. Alors, voilà ce qui se fait sur le terrain : « on place les lampes pour la beauté, mais cela ne respecte aucune norme. Pour poser une lampe quelque part, il faut faire une étude photométrique ». Et au docteur Boton de renchérir : « cela n’est pas respecté. Les ampoules sont reparties n’importe comment lorsqu’il y en a et des endroits sont mieux éclairés que d’autres. Tout ceci fait que les apprenants ne sont pas logés à la même enseigne. Il y a l’interférence de la lumière naturelle et de la lumière artificielle qui joue là-dessus ». L’étude photométrique, selon Arnaud Egué, « prend en compte la hauteur, l’espace à éclairer, le degré de lumière qui doit entrer dans l’espace. A partir de cela, on trouve le nombre de lux qu’il faut. On fait le foisonnement entre lumens et lux pour savoir le nombre de lampes qu’il faut. Rares sont ceux qui font cette étude au Bénin ». Au passage, le lumens est la puissance d’éclairement envoyée par une lampe. L’un mis dans l’autre, ce non-respect des normes joint aux conséquences sur la santé, vous vous en doutez, a aussi des répercussions sur le rendement des apprenants. « Les enfants qui n’arrivent pas à bien voir ont des problèmes de rendement. Lorsque les enfants commencent à avoir des troubles, ils ne le savent pas, les parents aussi, de même que les enseignants. Cela peut déteindre sur les résultats de l’enfant. A l’école comme à la maison, l’enfant aura des difficultés à lire et à apprendre », informe docteur Boton.

Des conseils et propositions pour un éclairage aux normes…

« J’invite les gens à plus de professionnalisme », dira Arnaud Egué avant d’ajouter qu’ « aujourd’hui, il y a des logiciels qui permettent de faire des simulations pour savoir le nombre de lumens et de lux qu’il faut dans un espace ». Les trois spécialistes invitent les populations à faire régulièrement des visites ophtalmologiques pour les enfants et à utiliser des ampoules aux normes. Selon l’ingénieur, ce sont celles flanquées de la norme CE, disponibles dans diverses boutiques de la place. « Pour corriger cela, déjà au plan architectural, il faut qu’on associe des techniciens, des ergonomes par exemple, des ingénieurs de santé au travail. Il faut aussi former les architectes et les ouvriers qui font ces travaux », précise docteur Boton avant de conclure en invitant l’Etat à être plus regardant sur le volet éclairage dans la construction des infrastructures éducatives.

Adjéi KPONON

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