Formellement interdit, le châtiment corporel ne devrait plus avoir droit de cité dans les écoles publiques et privées du Bénin même si par endroits, le phénomène n’est pas totalement banni. A la suite de la disparition progressive de cette mesure punitive, des apprenants s’illustrent dans des comportements déviants tels que l’arrogance, l’irrespect des autorités scolaires, le retard à l’école et la paresse. Educ’Action a fait le constat de terrain dans plusieurs établissements scolaires.
«Voilà des enfants malpolis, mal éduqués, qui traitent leur professeur de pygmée et c’est à ces genres d’insultes, de comportements déviants qu’on assiste, de plus en plus, dans nos écoles depuis que la décision d’interdiction des châtiments corporels est prise et appliquée. On assiste aussi à des affronts, des apprenants qui s’opposent à leurs professeurs devant toute la classe. Nous avons des apprenants qui menacent les surveillants. C’est bien dommage pour l’école béninoise. Vous vous imaginez, avec ma forte taille, une élève fille se pointe devant moi pour me défier et me demander de la toucher si j’en ai la capacité. Et effectivement, je n’en avais vraiment pas le droit, parce que les enfants savent désormais qu’ils sont libres de faire ce qu’ils veulent sans qu’aucun surveillant ne soit en mesure de les frapper. Seul Dieu sait quel type de citoyens nous préparons pour le futur. Des enfants qui ne respectent rien, ni personne», lâche au micro de Educ’Action un surveillant général de l’un des nombreux collèges d’enseignement général de la ville de Cotonou. Du haut de ses 1m89 et vêtu d’un t-shirt au col relevé assorti d’un pantalon jeans bleu, ce surveillant qui a requis l’anonymat est bien remonté contre deux jeunes apprenants de la classe de 4ème qui ont fait preuve de maladresse verbale. Conduits à la salle de surveillance de l’établissement, ils ont avoué au surveillant avoir insulté leur professeur de mathématique, ces déviances comportementales qui ne sont nullement l’apanage de ces deux apprenants, à en croire le surveillant, sont plus prononcées, de nos jours dans nos établissements, en raison aussi de l’interdiction de quelques mesures punitives, en l’occurrence le châtiment corporel. D’autres responsables d’établissements rencontrés sont également unanimes sur les déviances comportementales, de plus en plus, observées chez les apprenants, surtout ceux des collèges publics depuis l’interdiction du châtiment corporel.
De l’indiscipline à l’arrogance des apprenants
L’interdiction des châtiments corporels est soutenue par les textes de loi et par la promulgation du Code de l’enfant (loi n° 2015-08 du 08 décembre 2015). Interdiction fortement relayée dans les médias. Ce qui n’est pas sans conséquences sur les réactions et rendements scolaires des élèves. « Je ne suis pas contre l’interdiction du châtiment corporel mais ce que je déplore, c’est le grand tapage médiatique fait autour de la mesure d’interdiction qui aujourd’hui, conforte les apprenants dans leurs vices. Ils savent qu’on ne peut plus les taper dans les écoles et établissements. Ce qui est dangereux, à mon avis, pour l’avenir de nos enfants. Cela fait que les apprenants nous affrontent au vu et au su de tout le monde », déplore le surveillant. Son collègue du CEG Sainte Rita, Irénée Tchibozo, lui aussi surveillant général, témoigne qu’avec l’absence du bâton, les apprenants ont développé bien des vices. « Ils sont au courant qu’on ne doit plus les taper. Ils le savent parce que c’est diffusé un peu partout. Donc cela donne des ailes à quelques apprenants qui développent beaucoup plus de comportements déviants. La manière dont certains s’adressent aux autorités de l’établissement est déplorable. Certains ont développé une arrogance qui ne dit pas son nom», a confirmé Irénée Tchibozo. Si l’arrogance et le non-respect des autorités sont désormais le constat fait dans le rang des plus âgés, c’est le retard, la paresse et l’amusement qui s’installent chez les plus jeunes apprenants.
Le privé n’est pas épargné…
« Depuis l’interdiction du châtiment corporel, c’est le retard massif des élèves que nous constatons au Complexe scolaire Fils le Père. Avant l’interdiction, ils savent que le retard est puni. Mais depuis lors, après l’interdiction, tu les verras se pointer à 7 heures 20 minutes pour un cours prévu à 7 heures», a fait observer Christian Lokossou, directeur des études du Complexe scolaire Fils le Père à Godomey. On note également, à l’en croire, la baisse drastique des moyennes. « Les résultats ne sont plus ce que nous attendons, ils ne travaillent plus. Autrefois, quand à la suite des interrogations et devoirs, l’enfant ne travaille pas, nous le corrigeons, mais depuis, on voit que le travail ne marche plus. Nous gérons pas mal de choses et puisqu’ils savent qu’on ne tape plus maintenant, ils se disent que c’est la liberté », a-t-il poursuivi.
Les peines des enseignants…
Tout en reconnaissant que l’interdiction du châtiment corporel est une loi en vigueur depuis bien des années, Johanness Dadjo, directeur du groupe C de l’Ecole Primaire Publique (EPP) Fifadji, explique tout de même que lorsqu’il y a la chicotte, l’enfant se voit obliger d’apprendre ses leçons avant de venir à l’école. « Il y en a qui apprennent les leçons, traitent les devoirs de maison et respectent l’enseignant par peur de la chicote », a-t-il dit. « Sans cela, ils ne se gênent pas du tout. Il y en a qui tombent dans l’amusement, ils n’arrivent plus à se concentrer. Pendant que le maître travaille, eux, ils s’amusent», a laissé entendre le directeur Johanness Dadjo avant d’ajouter qu’il fait néanmoins le suivi dans les classes qui sont sous sa responsabilité afin qu’il n’y ait pas l’usage de la chicote.
L’Absence de bâton laisse place à un climat de confiance
L’installation d’un climat de confiance est la retombée positive de l’interdiction du châtiment corporel. Au micro de Educ’Action, le directeur du groupe C de Fifadji, renseigne que « sans la chicote, l’enfant n’hésite pas à s’extérioriser. Il dit tout ce qu’il a dans le cœur, cela l’amène à se surpasser ». Même constat chez le surveillant général du CEG Sainte Rita, Irénée Tchibozo qui fait remarquer que les apprenants sont plus ouverts, se rapprochent un peu plus de la surveillance, s’expriment et exposent plus leurs problèmes. « Depuis qu’on a interdit le châtiment, on voit un certain épanouissement ; ils viennent plus chez nous contrairement aux années antérieures », dira, pour sa part, le directeur des études de Fils le Père, pour qui le résultat est le plus important. Il l’exprime si bien d’ailleurs. « Quand les parents envoient leurs enfants à l’école, c’est le résultat qu’ils attendent et c’est sur cela qu’on se focalise», a-t-il expliqué. Face à ces dérives récurrentes des apprenants, que faire pour réinstaurer l’ordre dans les écoles et établissements du secondaire ?
Des punitions alternatives…
Le conseil de discipline qui se penche sur les cas de déviances avec pour conséquences des notes en moins en conduite et parfois des heures de corvées, semble pour l’heure la solution qui valle pour inquiéter et discipliner un peu les élèves, de l’avis de Irénée Tchibozo du CEG Sainte Rita. Le balayage de la cour, le nettoyage des toilettes sont aussi des moyens utilisés pour faire fléchir les apprenants en excès de déviances. Au Complexe scolaire Fils le Père, dans le cas où l’enfant n’a pas la moyenne dans un devoir ou une interrogation, le directeur des études, Christian Lokossou informe que ce dernier est obligé de copier la correction un certain nombre de fois. « Quand je prends la classe de CM2, les enfants qui viennent sans apprendre leurs leçons, on les oblige à prendre le cahier et à rester au dehors à l’entrée pour apprendre les leçons, les réciter avant d’entrer dans la classe. Quand nous constatons qu’il y a des récidivistes, on n’hésite pas à envoyer des convocations à leurs parents », a fait savoir Johanness Dadjo. Pour le surveillant qui a requis l’anonymat, en l’absence du châtiment corporel, les autorités au haut niveau doivent penser à des punitions pouvant ramener les enfants à l’ordre. Car, avance-t-il, on risque de former des délinquants.
Estelle DJIGRI