D’origine anglo-saxonne, le système LMD (Licence-Master-Doctorat) est officiellement entré en vigueur dans les universités béninoises grâce au décret 2010-272 du 11 juin 2010. Ainsi, divers textes ont été signés pour mettre en œuvre cette réforme qui va, plus tard, transformer la vie universitaire au Bénin. Enseignement, apprentissage, évaluation, parcours, organisation des diplômes, bref ! Tous les compartiments de l’enseignement supérieur ont été bousculés pour que le système soit remis à neuf les années qui ont suivi. Les uns après les autres, les arrêtés ministériels et rectoraux se sont succédé pour un enseignement supérieur qualifié de révolutionnaire en comparaison avec la pratique précédemment en cours. Après onze (11) ans de mise en œuvre, le canard de Gbèdjromèdé, votre hebdomadaire Educ’Action, spécialiste des questions éducatives, aborde avec quelques acteurs de ce sous-ordre de l’enseignement, l’approche LMD. Vous l’aurez compris, la thématisation de ce mois d’octobre 2021 sera consacrée à l’état des lieux du système LMD dans les universités au Bénin. Cette première parution met le projecteur sur le bilan que dressent les étudiants de cette approche éducative dans le supérieur.
Université d’Abomey-Calavi, il est 16 heures, ce samedi 2 octobre 2021. La vie coule douce, calme et paisible. A cette heure de la journée où les rayons du soleil ont baissé en intensité, l’un des meilleurs cadres pour profiter, à la fois, de l’air frais, de la beauté de la nature et d’un semblant de paix, reste le jardin universitaire. Assis sur des bancs en matériaux définitifs, des étudiants savourent la tranquillité de cet endroit unique sur le campus. Approchés, certains ont accepté opiner sur la thématique du jour, le système LMD. La question formulée à leur endroit est : «Que savez-vous du système LMD ?» Les langues se sont déliées. «Ce que je sais est que c’est un système qui nous éduque sur la manière dont les cours se font à l’université», répond Stephen Delouh, étudiant à la Faculté des Sciences et Techniques (FAST) de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC). Pour Paul, également étudiant à la FAST, qui traverse le jardin d’un air pressé, «le système LMD est simplement le système Licence-Master-Doctorat». Il dit être moins informé sur cette approche éducative dans le Supérieur si ce n’est la dénomination des diplômes : «Licence-Master-Doctorat». Hervé Ezin, étudiant aux ‘’Cours Sonou’’, un Etablissement Privé d’Enseignement Supérieur (EPES), abonde dans le même sens : «Le système LMD, c’est le système Licence-Master-Doctorat. Je crois que c’est un bon système. Il me semble que ce n’est pas le système qui était en place avant.» Il martèle : «Je n’ai pas eu d’informations sur ce système. La seule chose que je sais, c’est que l’on étudie pour avoir la Licence, le Master et le Doctorat.» Un autre étudiant, Séraphin Bokonon, répond : «Le système LMD est un système dans lequel les professeurs enseignent un peu, mais les étudiants cherchent beaucoup avant de comprendre le fond des cours qu’ils dispensent.» Anciennement étudiante en droit, Viviane Sogblongbé, rencontrée dans les encablures de la place de l’Etoile rouge, un quartier de Cotonou, se rappelle la première fois où elle a entendu le sigle ‘‘LMD’’. C’était en 2012. En 3ième année de droit, l’une des enseignantes de la Faculté leur disait, à elle et à ses amis d’amphi, de vite faire pour finir leurs cursus pour ne pas être rattrapés par le système LMD. En reprise d’études aujourd’hui dans une autre filière afin d’explorer d’autres horizons, elle soutient que le système LMD est une approche de l’enseignement qui vient mettre fin au système de BTS, DUEL, Maîtrise, et tout le reste, l’ancien système dénommé système classique ou système des Unités de Valeurs (UV).
Après toutes ces années de mise en œuvre, des étudiants s’interrogent encore sur la pertinence du LMD, un système dans lequel ils évoluent actuellement.
Système LMD : les étudiants divisés sur l’approche pédagogique
«J’apprécie le système LMD. La manière dont les cours se déroulent à l’université n’est pas mal. Même si c’est un système à revoir, pour le moment, on ne peut que l’accepter comme tel», affirme, souriant, Stephen Delouh. Hervé Ezin garde, lui aussi, une bonne impression du LMD. «Tout est structuré dans le LMD de manière qu’en trois (03) ans, tu décroches la Licence, en cinq (05) ans le Master, et en huit (08) ans, le Doctorat». De l’avis de Viviane, étudiante en sociologie, les cours dans ce système sont plus nombreux mais les étudiants arrivent à s’en sortir comparativement à l’ancienne approche éducative. «Je pense que le LMD nous facilite la tâche. C’est d’ailleurs pour cela qu’on observe aujourd’hui de jeunes docteurs qui sortent de nos universités publiques à la suite des huit (08) ans de formation après le Baccalauréat», a-t-elle dit, d’une voix calme.
Certains, en revanche, émettent des réserves par rapport à ce système.
Jean-Baptiste Hontonnou, étudiant en 3ième année d’Espagnol à l’UAC, fait partie de ce groupe d’étudiants. Il pense au micro de Educ’Action que le système LMD n’est pas si extraordinaire, surtout qu’il est mis en œuvre différemment dans les entités. Au département d’Espagnol, par exemple, a-t-il témoigné, ils sont en pleine transition. «Nous avons eu beaucoup de difficultés au niveau de la validation des matières… », explique l’étudiant. Séraphin Bokonon, très déçu, pense qu’il faudrait supprimer ou réformer le LMD. «Pour moi, il faut changer catégoriquement ce système parce qu’il n’est plus adapté à la réalité. Les dirigeants doivent penser à changer la donne», a-t-il confessé. Il justifie l’échec du LMD par l’inadéquation des formations en rapport avec les exigences du marché de l’emploi. «Nous sommes vraiment formés pour le chômage. C’est vrai que, très souvent, on dit qu’on cherche les talentueux, mais ce n’est pas tout le monde qui s’en sort. L’urgence est de former les techniciens, ceux qui sont adaptés au terrain. Le système LMD forme seulement à la théorie», soutient, avec vigueur, l’étudiant vêtu d’un tee-shirt jaune.
Cette prise de position soulève comme problématique la question de la transmission du savoir et son acquisition dans le système LMD.
Enseignement, apprentissage et évaluation dans le LMD
«L’enseignement et la rigueur dans l’approche du LMD ne sont pas encore observés au Bénin», fait savoir Wilfried Kiantaga, étudiant en Sciences politiques à l’UAC. «Selon nos recherches, il faut bien un nombre limité d’étudiants pour permettre au professeur de faire tourner et d’animer convenablement sa classe. Hélas, les choses se présentent encore comme si nous étions au collège avec des effectifs pléthoriques. Le professeur n’a toujours pas la possibilité de suivre chaque étudiant, de l’aider à solutionner ses lacunes», explique-t-il, convaincu.
Pour ce qui concerne les évaluations, elles se font par semestre. Les étudiants ont aussi l’occasion de revenir à une session de rattrapage s’ils n’ont pas pu valider certaines matières à l’évaluation semestrielle. Tous les étudiants l’ont reconnu, mais des difficultés persistent par endroits. Notamment en Espagnol, comme l’indique Jean-Baptiste Hontonnou : «certaines matières sont présentes au premier semestre. Mais reviennent aussi au second semestre, cette fois-ci avec des contenus différents. Il faut pouvoir valider toutes les matières avant de penser à la soutenance». La principale difficulté avec les évaluations, c’est toujours la question des effectifs pléthoriques, avance Wilfried.
Père Dieudonné Otékpo, à propos de la gestion des universités africaines des années 1960 à nos jours
« Que les acteurs de l’éducation et décideurs conforment le LMD aux réalités des universités africaines »
Le sous-secteur de l’enseignement supérieur en Afrique francophone a connu bien des étapes. Avant les indépendances et même après, les universités de l’Afrique francophone ont été marquées par divers mouvements socioprofessionnels avant d’aboutir au système classique (UV) pour enfin échouer sur le système LMD. Votre journal Educ’Action a réalisé, dans le cadre de la thématisation, une interview exclusive avec le Père Dieudonné Otékpo, béninois de nationalité, mais en mission à Lomé pour le compte de la congrégation des salésiens de Don Bosco. Il est également titulaire d’un doctorat en philosophie politique et auteur de plusieurs œuvres. Avec lui, il est question de rappeler le parcours historique de l’enseignement supérieur en Afrique et de renseigner sur la manière dont l’enseignement-apprentissage-évaluation a été conduit dans le système des Unités de Valeurs, avant le LMD. Lisez plutôt !
Educ’Action : Que retenir du parcours historique de l’enseignement supérieur en Afrique ?
Père Dieudonné Otékpo : Il faut dire qu’un état des lieux des universités africaines au Sud du Sahara fait ressortir deux (02) périodes distinctes : celle de la domination coloniale d’avant les indépendances des années 1960 suivie de “l’après-indépendance” et celle de l’après en 1975.
La première période se caractérise par l’émergence d’un enseignement supérieur, quasi exclusivement construit sur le modèle de celui de l’Occident judéo-chrétien. La création des universités de Dakar en 1949, de Kinshasa en 1954, de Lubumbashi en 1955, d’Abidjan et de bien d’autres, a participé de cette logique qui décalquait, de façon plus ou moins réussie, les modèles d’enseignement supérieur français ou belge, tant du point de vue des contenus des programmes que des systèmes de gestion. Ceux qui en étaient responsables, ont tenté de reproduire une certaine idée de l’humanisme occidental.
À une époque où la relève s’annonçait imminente, les autorités coloniales ont fourni des moyens relativement adéquats pour instruire de nouvelles élites, même si elles préféraient toujours les former dans les métropoles occidentales. Par ailleurs, les réalités des sociétés locales ne favorisaient pas l’immersion de ces universités dans leur environnement social et spatial : l’apport des cultures africaines était tout simplement ignoré. C’était, du reste, l’ensemble du système éducatif qui fonctionnait de cette manière.
Par rapport à la première période, les universités de l’Afrique subsaharienne, bien que restant des legs de la colonisation, devaient connaître des mutations diverses et des réadaptations pour devenir des espaces de formation et de transmission de savoirs forgés sur le modèle occidental. Certes, les nombreuses réformes constatées çà et là se sont inscrites dans la continuité du mimétisme occidental, en dépit de quelques variations locales, sans grand changement dans le contenu des formations.
Dans les années qui suivirent les indépendances en particulier, ces universités se sont mises d’accord pour accueillir des étudiants
«étrangers», selon des quotas, afin de favoriser une certaine mobilité des savoirs et des connaissances entre les pays africains nouvellement libérés. L’ex-Zaïre accueillit ainsi de nombreux étudiants de l’Afrique de l’Ouest. Ce fut aussi le cas des universités de Dakar et d’Abidjan qui jouèrent, à un moment donné, le rôle d’universités régionales dans le cadre de l’Afrique Occidentale Française (AOF). Elles accueillaient sans réticence les étudiants des pays dits ‘‘de l’intérieur’’, comme le Mali, le Niger, l’ex-Haute-Volta, etc. Toute une génération d’intellectuels de ces pays se réfère encore à ces deux (02) universités régionales, parce que la formation qu’elles ont dispensée est reconnue de grande qualité. Les solidarités institutionnelles de ces structures au passé récent ont disparu aujourd’hui, alors que se pose le problème de l’adhésion au système LMD.
Signalons également que des barrières linguistiques se sont dressées pour l’accès aux universités issues de la colonisation anglaise, accentuant leur éloignement d’avec les universités francophones. Ces barrières linguistiques opposant artificiellement des locuteurs africains qui s’expriment soit en français, soit en anglais, recouvrent des approches différentes en matière d’enseignement : la colonisation anglaise privilégiant l’utilisation des langues locales, la colonisation française l’interdisant. Cependant, si la jonction entre les universités issues de l’une ou l’autre approche initiale reste difficile à réaliser, elle n’est pas insurmontable, ce critère de langue n’étant plus aujourd’hui discriminatoire dans la mobilité des étudiants.
La deuxième période commence en 1975 et se prolonge jusqu’à nos jours. Elle est marquée par des turbulences politiques et des remous sociaux à répétition comme les grèves perlées, les années blanches qui continuent de remettre en cause les structures actuelles d’enseignement et qui interpellent l’incapacité des universités à répondre aux attentes des secteurs productifs. La remise en question de l’enseignement universitaire s’explique surtout par la stagnation ou la régression des économies nationales due à des politiques de développement inefficaces, conjuguées avec une pression démographique incontrôlable.
Depuis 1975, les revendications et les grèves incessantes annoncent un véritable naufrage de ces universités, parfois organisées. Si le classement de Shanghai ne fait mention d’aucune université africaine au Sud du Sahara parmi les cinq cents (500) premières du monde, ce n’est pas un hasard ! Le cas positif et exceptionnel de l’Afrique du Sud ne confirme que ce constat général. De façon paradoxale, cette période mouvementée, scandée par des crises et par les interventions de plus en plus fréquentes des institutions financières internationales, a correspondu à une forte demande de formations supérieures.
Outre la croissance démographique, les facteurs explicatifs sont à rechercher dans la transformation des mentalités et dans les nouvelles stratégies de positionnement social : le statut d’étudiant est recherché, en dépit de la crise, car son image est tantôt valorisée, tantôt très enviée. Si la qualité d’étudiant attire toujours, c’est aussi, malgré tout, parce que l’université ouvrirait des perspectives socioprofessionnelles. Cependant, les universités, conçues au départ pour des effectifs réduits, sont confrontées à une démographie estudiantine élevée. Leurs principales difficultés résident également dans le manque d’enseignants en nombre et en qualité, cette dernière difficulté restant liée à la ‘‘fuite’’ des compétences et à la précarité économique de nombreux établissements relevant du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES). Rien n’incite à ce sacerdoce, ni les salaires ni les conditions de travail des enseignants. Pendant ce temps, le nombre d’enseignants qui a augmenté par rapport aux années 1960, reste en deçà des besoins, surtout face à la surpopulation estudiantine. La ‘‘noblesse du métier d’enseignant’’, valeur liée au système colonial, est en train de devenir un concept obsolète.
Aujourd’hui, c’est le système LMD qui est en vogue dans nos universités. Bien avant, il y avait eu le système classique. Comment était organisé ce système en termes d’enseignement-apprentissage-évaluation ?
En réalité, dans le contexte présenté plus haut, les enseignements, l’apprentissage et les évaluations ne peuvent se faire que sans prendre en compte les attentes des étudiants. Ainsi, les enseignants viennent accomplir leur tâche dans un contexte de pléthore des effectifs des étudiants dans les amphis dans un contexte qui ne favorise guère. Les enseignements ne répondaient plus aux attentes des étudiants. Et dès lors, c’est une vague de diplômés chômeurs qui sortent chaque année des universités. Les enseignements se faisaient pour la plupart du temps de façon magistrale. L’enseignant détient le savoir et le livre à ses auditeurs. Par endroits, quelques enseignants, donnent des travaux mais qui n’ont aucun impact sur l’enseignement donné. Quelques étudiants qui ont la possibilité de se documenter, peuvent s’en sortir en consultant d’autres ouvrages pour compléter la formation reçue qui n’est, très souvent pas en adéquation avec les besoins du marché de l’emploi.
Les évaluations ne permettaient pas de savoir concrètement ce que l’étudiant peut faire à la fin de sa formation. Il lui suffit de mémoriser l’enseignement donné et de venir le déverser lors des évaluations pour avoir la note qui lui permet d’aller en année supérieure. C’est donc dans ce contexte un peu tumultueux que les universités africaines ont recouru à un nouveau système, le LMD.
Pourquoi le système LMD aujourd’hui, selon vous ?
Pour résoudre ces crises évoquées plus haut dans l’enseignement supérieur, les pays ont tenté de trouver des solutions individuelles dans un premier temps. Puis dans un second temps, ils ont entrepris, il y a quelques années, de conjuguer leurs efforts pour engager des réformes. Pour créer une synergie d’actions, il a été mis sur pied un réseau d’institutions universitaires engagées dans l’adoption d’un nouveau système d’enseignement et de recherches. C’est dans cette logique que s’inscrit l’adoption par seize (16) universités de l’Afrique de l’Ouest du système Licence, Master et Doctorat appelé de façon générique ‘‘système LMD’’. L’adoption d’un tel système d’enseignement répond à plusieurs préoccupations, notamment celles de se conformer aux nouvelles normes des systèmes universitaires d’enseignement occidentaux, d’harmoniser des pratiques d’enseignement et de recherches afin de faciliter les mobilités des acteurs, de rendre l’université plus adaptée au milieu social et de créer des pôles d’excellence en matière d’enseignement et de recherches.
Pour relever de tels défis, les gestionnaires des réformes misent sur l’apport des technologies de l’information et de la communication, notamment le web et les réseaux de travail qu’ils permettent de créer. Balle identifie internet comme un instrument qui pourrait servir à accéder au savoir. Il dit que pour l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur, l’accès au savoir est facilité par les multimédias. Lacroix va plus loin et affirme qu’internet est une réponse à la pénurie d’enseignants en Afrique. Pour lui, l’apprentissage en ligne ou e-learning pourrait constituer une réponse à la carence d’enseignants.
Que dire pour conclure cet entretien ?
Je pense que les acteurs de l’éducation en Afrique ont enfin pris conscience des problèmes que génère le mimétisme dans tous les domaines, mais surtout de l’éducation. Le LMD a certainement permis de donner une peau neuve à la formation dans les universités d’Afrique, mais il est important qu’on n’occulte pas les nombreux problèmes que provoque son application. J’invite les acteurs de l’éducation ainsi que les décideurs dans nos différents pays à s’engager à conformer le LMD aux réalités des universités africaines.
Réalisation : la Rédaction