L’élaboration du Plan Sectoriel de l’Education (PSE) 2018-2030 et la volonté des autorités à divers niveaux de donner un nouveau visage au système éducatif afin qu’il soit le fer de lance du développement du Bénin ont impliqué de nombreuses réformes dans le secteur de l’éducation. L’une de ces réformes, l’une porte sur le modèle de collège dans l’enseignement secondaire pour une véritable opérationnalisation de l’éducation de base, de la maternelle en classe de 3ième. Au lendemain de la décision du Gouvernement d’étendre cette éducation de base jusqu’en classe de Terminale, Educ’Action a reçu, dans une interview exclusive, Wilfried Djènontin, coordonnateur du Projet d’Appui à l’Enseignement Secondaire au Bénin (PAESB). Sans langue de bois, l’inspecteur du second degré a fait le point des implications de la réforme du collège. Aussi, a-t-il abordé d’autres préoccupations majeures tels que le développement du socle commun de compétences et de culture ; la monovalence et la bivalence des enseignants ; les perspectives du CEP ; les spécialités au collège ; la formation des enseignants ; la gestion et le redimensionnement des établissements. Lisez plutôt !
Educ’Action : Pourquoi cette réforme du collège ?
Wilfried Djènontin : Le Projet d’Appui à l’Enseignement Secondaire est un projet qui accompagne les études dans le cadre de l’élaboration et la mise en œuvre du Plan Sectoriel de l’Education (PSE) dans le sous-secteur de l’Enseignement Secondaire Général. Au nombre des initiatives que nous accompagnons, il y a la réforme du collège. Cette réforme a été induite par la mise en œuvre de la nouvelle architecture du système éducatif telle que ambitionnée par le PSE post 2015. Cette architecture a étendu l’éducation de base jusqu’à la fin du premier cycle du collège. Nous sommes passés d’une scolarisation primaire universelle à l’éducation de base qui prend en compte l’Enseignement Maternel, l’Enseignement Primaire et le premier cycle du collège. C’est dans cette vision que nous avons engagé la réforme du collège. La réflexion, c’est de voir ce qu’on fait pour construire le cycle complet de l’éducation de base. Est-ce qu’il faut étendre les écoles primaires pour que l’enfant, au lieu de finir en classe de CM2, finisse en classe de 3ième ? Donc, on intègre à l’école primaire le premier cycle du collège pour avoir un cycle complet de l’éducation de base. Le PSE 2018-2030 a fait l’option que nous gardions le primaire et le collège tels qu’ils existent aujourd’hui parce qu’un changement physique serait très onéreux et cela mettra trop de temps. Donc, nous allons réaliser le continuum entre le primaire et le secondaire, à travers les programmes d’études. Nous avons marqué une première évolution pour dire que désormais quand nous allons dire collège, nous allons comprendre qu’il s’agit du premier cycle du secondaire et le lycée est le second cycle du secondaire. Nous en étions-là avec nos réflexions quand le Gouvernement a poursuivi les réflexions sur la compréhension de l’éducation de base. Après l’éducation de base, la nouvelle architecture définit la post éducation de base qui prend en compte le second cycle du secondaire et après on va vers l’université. Les compétences développées à l’éducation de base sont consolidées à la post éducation de base avant de permettre aux apprenants de faire les options, soit en allant vers les humanités qui sont les lettres ou en allant vers les sciences. La décision est tombée et l’éducation de base va être poursuivie jusqu’en classe de Terminale. Toutes les réflexions qui sont menées sur le modèle de collège restent des réflexions pertinentes qui seront réinvesties dans une nouvelle dynamique. Cette dynamique sera précisée parce que le Gouvernement a déjà engagé la relecture du Plan Sectoriel de l’Education.
Quels impacts cette réforme a-t-elle sur l’Enseignement au Secondaire ?
Si la réforme intègre la vision du développement d’un socle commun de compétences et de culture, tous les apprenants qui arrivent à la fin du premier cycle du Secondaire doivent développer un minimum de compétences qui les préparent à entrer dans la vie active. Le socle commun de compétences est un socle définit pour les pays Africain et il appartient à chaque pays d’adapter ce socle aux réalités de son milieu. Avec le modèle de collège, il ne peut plus avoir de spécialités en classe de 4ième, Moderne Court (MC) et Moderne Long (ML), comme c’est le cas puisque tous les enfants doivent développer les mêmes compétences au terme de l’éducation de base, en classe de 3ième. Donc la première conséquence, c’est de permettre à tous les individus de développer un minimum de compétences qui les préparent à entrer dans la vie. La conséquence immédiate, c’est qu’il n’y a plus de régulation des flux entre le primaire et le collège. Le CEP sera réformé grâce à un mécanisme de transition entre le CM2 et la 6ième qui ne sera plus certainement le CEP tel qu’on le conçoit aujourd’hui puisque nous sommes dans un continuum. Il ne s’agit pas de faire passer les enfants pour les faire passer, mais de leur offrir des parcours personnalisés si on les sent en difficulté, que ce soit par la voie scolaire ou la voie non scolaire qui va vers la préprofessionnalisation 1 ou 2. Il faut que l’apprenant puisse développer les compétences minimales attendues au terme de l’éducation de base. Du coup, il faut accroître l’offre éducative, la capacité d’accueil au collège. C’est la problématique sur laquelle travaille le projet SENS avec le développement des cartes scolaires.
Quels sont les impacts pour les enseignants ?
Les premières réflexions s’étaient de se dire : si on veut accroître l’offre éducative, est-ce que nous restons dans la dynamique de la monovalence ? Nous sommes en train de réfléchir pour dire qu’il faut aller vers un nouveau type d’enseignant du secondaire. Il faut redéfinir le profil des enseignants, donc décrire le métier de l’enseignant au collège. Une fois que le profil est connu, on doit pouvoir élaborer un référentiel de métiers et de compétences pour l’enseignant. Le problème que nous avons avec les écoles normales qui fournissent les enseignants, c’est que nous n’avons pas des référentiels de métiers et de compétences pour passer une commande précise à l’Enseignement Supérieur. L’Enseignement Supérieur peut former des enseignants qui ne répondront pas à nos besoins. Qu’il soit un bivalent ou un monovalent, il faut définir ce profil avec un référentiel de métiers et de compétences bien élaboré qui va fonder la restructuration de nos écoles normales de formation. C’est le premier défi. Maintenant, on ne peut plus continuer avec les classes de grand nombre. Un enseignant a une capacité d’accompagnement limitée. Il se pose le problème du nombre d’enseignants qu’il faut recruter parce que la réforme du collège doit pouvoir redéfinir la taille d’une classe. Comme le nombre d’enfants à scolariser va flamber, donc le nombre de groupes pédagogiques à créer va aussi flamber ; alors le nombre d’enseignants à recruter va encore flamber. Alors que nous voyons toute la difficulté que nous avons aujourd’hui pour assurer un bon encadrement pédagogique aux enfants avec le recours aux enseignants aspirants dont beaucoup ont les aptitudes et les compétences nécessaires. Avec un peu d’accompagnement, ils peuvent apporter un plus aux apprenants. Il faut former les enseignants relativement au profil qu’on aura défini.
La bivalence règle-t-elle le problème du recrutement ?
Quand j’ai commencé à enseigner en 1985, tous les enseignants étaient bivalents. La monovalence était l’exception. Personne ne peut produire un texte qui interdit la bivalence. Ce sont les réalités du terrain, les pressions des enseignants, la réalité lue exclusivement dans les classes où nous avons beaucoup d’apprenants, mais aujourd’hui demandez aux aspirants, beaucoup sont obligés d’aller chercher des compléments d’heures dans d’autres établissements pour justifier. Quand vous allez dans un établissement de base 2 par exemple, c’est-à-dire un établissement qui a deux classes de 6ième, de 5ième, de 4ième, de 3ième, il est difficile à un enseignant monovalent de trouver le quota horaire complet dans cet établissement. Alors, il est obligé d’aller dans un autre établissement pour chercher des compléments d’heures. Si vous allez sur la plateforme Educmaster, vous verrez que beaucoup d’enseignants, surtout dans les zones reculées, dans les milieux enclavés, sont obligés d’aller chercher les compléments d’heures très loin de leur établissement de base. Ce sont des réalités que nous allons beaucoup vivre surtout si nous voulons aller vers des établissements de taille normale. Quand nous faisions la construction du modèle de collège, sans approfondir les études, nous nous sommes fixés comme objectif qu’un établissement à 1er et 2nd cycle ne devrait pas avoir plus de 1.200 élèves. Au-delà, la gestion commence à être très compliquée. Nous avons des établissements comme le CEG Le Méridien qui a plus de cinq mille (5.000) élèves ; d’autres qui en ont plus de six milles (6.000). C’est très peu gérable et vous verrez que si nous ne faisons pas marche arrière par rapport à ces options, nous allons continuer d’investir beaucoup dans le recrutement de personnel administratif pour l’encadrement des apprenants sans nécessairement obtenir des résultats. Même si nous avons des acquis scolaires en milieu urbain, parce que là nous avons des enseignants de qualité, les faits de déviance sociale vont continuer par émerger. Quand vous avez des établissements de taille normale, il sera de plus en plus difficile à un enseignant de trouver dans un seul établissement le nombre d’heures nécessaires. Deuxième chose, pour ma part, la bivalence bien gérée doit être un catalyseur pour le développement des acquis. Aujourd’hui, il est quasiment impossible à un individu, même en lettres, de pouvoir travailler s’il n’a pas des bases scientifiques. Les sciences sont devenues un grand fondement pour l’enseignement. Il y a des interpénétrations entre les disciplines qui sont nécessaires. Quand vous dites que vous voulez assurer à tous les enfants un socle commun de compétences dans l’ensemble des disciplines enseignées et que vous les présentez devant un enseignant qui dit qu’il ne connaît que les mathématiques alors qu’il veut construire un apprenant qui soit aussi bien à l’aise dans les contenus au premier cycle en mathématiques, en SVT et en PCT, on veut faire de lui un tout. Vous ne donnez pas une bonne représentation si l’enseignant dit qu’il ne peut faire que les sciences mathématiques. Le rôle de modèle que l’enseignant doit jouer, il doit en donner aussi la mesure. Ce n’est pas parce que nous avons vécu dans une certaine dynamique que nous n’allons pas nous remettre en cause et chercher à nous cultiver pour être à la hauteur. La bivalence n’est qu’un minimum qui guette l’ensemble des enseignants de demain. Ce n’est pas parce que nous sommes sortis que nous n’allons pas nous projeter dans l’avenir pour voir avec nos collègues plus jeunes et partager avec eux cette réflexion qui est ce qui les attend. Les enfants d’aujourd’hui n’ont plus froid aux yeux, ils sont directs et moins dissimulateurs que par le passé, ils vous posent des questions. Maintenant, il faut leur expliquer les choses, il faut leur dire où vous voulez les conduire. Ce n’est pas comme en notre temps où l’enseignant utilise la méthode magistrale, il vous déverse ses connaissances et il rentre chez lui. Si on en arrive à faire l’option de la bivalence, il faut que chacun comprenne que ce n’est pas par volonté, ce n’est pas une décision qui doit être sortie du néant, mais il faut que cela soit lu comme une exigence de l’objectif que nous fixons à l’éducation de base.
Qu’en est-il pour le personnel administratif des établissements ?
Le ministère mène des réflexions sur la création du corps des gestionnaires d’établissements. Avec l’appui du PAESB, le ministère a formalisé la dimension Vie scolaire au collège avec l’expérimentation des projets d’établissement et des contrats de performances. Dans cette dynamique, le ministre a institué des lettres de missions pour les établissements. Nous avons constaté qu’au nombre des intrants à mettre en place pour obtenir de bons résultats chez les apprenants, ce n’est pas que le pédagogique. Il faut être à même de bien gérer les ressources humaines, il faut avoir une vue d’ensemble de la politique nationale du secteur de l’éducation et du sous-secteur auquel on appartient. Il faut avoir une vue précise de la mission dévolue à un établissement d’enseignement, de la mission dévolue à chaque personne affectée dans l’établissement. Il faut pouvoir gérer les relations entre les différents acteurs dans l’école. Il faut apprendre à préserver et à faire prospérer le patrimoine de l’établissement. Il faut apprendre à gérer les crises, à prévenir les déviances, à prévenir les risques liés à chaque catégorie d’acteurs dans l’établissement. Beaucoup de choses qui requièrent des connaissances sociologiques, managériales, en gestion des ressources humaines et financières, etc. Le ministère est en train de mener les réflexions pour créer le corps des gestionnaires d’établissement et les former à cet effet. Avant d’aller à la formation de ces gestionnaires d’établissement, il faut définir la mission qui leur est dévolue. Il faut redéfinir le fonctionnement d’un établissement et préciser le degré d’autonomie que l’on ambitionne pour chaque établissement. Ensuite, on définira le profil de ces responsables d’établissement. Quand c’est bien défini, on aura les référentiels de compétences et de métiers et on pourra donner une bonne formation. Dans le cadre du PAESB, nous avons élaboré le référentiel des métiers et des compétences des personnels de direction des établissements. A la lumière de la nouvelle dimension qu’on veut donner à l’école, ces référentiels seront certainement revus et réajustés. Une fois qu’on a les référentiels, on peut aller vers la formation de ces personnels.
Où en êtes-vous aujourd’hui dans cette réforme du collège ?
Nous avons mis le doigt sur les pistes de travail en termes de configuration de l’école primaire, de configuration du collège au regard des ambitions nourries. Nous avons mis le doigt sur la problématique qui doit fonder tous les développements à venir à savoir le développement du socle commun de compétences et de culture. Ce socle commun est sous la responsabilité de l’Institut National d’Ingénierie de Formation et de Renforcement de Capacités des Formateurs (INIFRCF). L’option est déjà faite de supprimer les spécialités au niveau du collège pour aller vers un socle commun afin d’offrir les mêmes savoirs et compétences à nos apprenants. La chose la plus délicate au-delà de la formation des formateurs et du management axé sur les résultats qu’il faut vraiment mettre en place, c’est d’abord les programmes d’études. Le socle commun décliné doit déboucher sur les curricula de formation à l’intérieur desquels nous aurons les différents programmes d’études. Dès que les programmes d’études sont définis, les enseignants sont initiés et on pourra y aller.
Que dire pour conclure cet entretien ?
On a parfois comme l’impression qu’il y a beaucoup d’idées que l’on jette, mais que l’on ne travaille pas à leur concrétisation. Que la réforme de l’éducation de base soit conduite de façon pragmatique mais extrêmement professionnelle. Qu’on mette à contribution l’expertise avérée pour ne pas perdre trop de temps. Au Bénin, nous avons tendance à passer du temps à faire des plans mais on ne passe pas à l’action en bâtissant. De façon pragmatique, il y a des choses qu’on peut anticiper rapidement et la chose la plus urgente, c’est de développer le socle commun de compétences. Ce socle est déjà acclimaté, puis il faut aller de l’avant pour déboucher sur l’organisation des cycles d’études et le développement des contenus d’enseignement. Ce qui va le plus changer c’est la manière, notre vision de ce qu’il faut faire à l’école et la manière d’accompagner les enfants. C’est surtout là où il y aura des difficultés. Parce que, si nous ne changeons pas notre manière de voir et si nous restons attachés à ce que nous avons été, nous allons rater l’éducation de ces enfants qui ne vont plus jamais vivre notre époque, mais qui vont vivre leur époque à eux. Il faut que nous soyons visionnaires pour voir quel est l’avenir que nous ambitionnons pour eux. Le système éducatif peut tout, en bien ou en mal ; tout revient au système éducatif. Si on veut un Bénin développé, il faut faire confiance au système éducatif et lui donner les moyens.
Propos recueillis par Adjéi KPONON