La virginité, qui est d’une importance capitale aussi bien dans la tradition que dans nos religions pendant bien des siècles, semble être, de nos jours, bafouée par la jeune génération. A une telle allure, on se pose la question de savoir si cette pratique a encore de la valeur et si ça vaut vraiment le coût de garder la virginité jusqu’au mariage. Educ’Action vous conduit dans les méandres d’une problématique qui ne relève plus du tabou pour la jeune génération et qui semble préoccuper les personnes du troisième âge, gardiennes de la tradition.
Pour une femme, garder sa virginité jusqu’au mariage dans la tradition béninoise et même dans celle de certains pays voisins, est selon la tradition, l’expression que cette dernière a reçu une bonne éducation. Dès lors, elle devient une fierté non seulement pour sa famille d’origine, mais aussi pour sa famille d’accueil (sa belle famille).
Que représente la virginité pour la tradition ?
Aussi bien pour la tradition (religion endogène) que pour la religion (importée), la virginité est et demeure une grande valeur à préserver. La virginité, c’est le fait de préserver la fille contre les multiples convoitises masculines jusqu’au mariage, renseigne la tradition. Une vierge, c’est une femme qui n’a jamais connu de rapport sexuel. Une fille qui reste vierge jusqu’au mariage dans une famille, est une fille prisée, une fierté pour sa famille, ajoute la tradition pour informer sur les notions basiques de la virginité et de ses vertus. Dans bien des traditions par le passé, la fille est mariée de très bonne heure, donc prédestinée à un homme avant même sa naissance, a-t-on observé pendant longtemps. Par conséquent, on ne saurait accepter qu’une fille donnée en mariage, ne soit pas vierge, relatent les conservateurs de la tradition. Ainsi donc, c’est une honte pour la famille quand on constate le jour du mariage de la fille, qu’elle est déjà déflorée bien avant le mariage, poursuivent-ils. Pour avoir l’assurance qu’une fille est restée vierge jusqu’au mariage, la seule preuve était le linge blanc qui doit être tacheté par le sang de la fille après le premier rapport sexuel, décrivent une frange de personnes du troisième âge rencontrée au cours de notre enquête. Le linge blanc présenté le lendemain est la preuve que la fille est restée vierge jusqu’au mariage, concluent-elles. Mais sur le plan juridique, la virginité de la fille n’est pas une obligation et n’a même pas d’importance en général en République du Bénin. Cependant, la perte de la virginité avant le mariage dans la tradition n’est pas sans conséquence. La jeune fille, le jour de son mariage, n’est pas parée mais habillée très simplement. Ce n’est que le lendemain matin après que les deux familles aient eu la preuve que la fille est bien vierge, que les parents l’habillent chichement, racontent des chefs de famille d’un âge certain rencontrés dans certains foyers de Cotonou et environs qui ont requis l’anonymat.
Que disent les religions importées dont l’Eglise Catholique et l’Islam de la virginité ?
Il n’y a pas de passage précis dans la Bible qui insiste sur la virginité sauf que la Bible cite comme exemple Saint Paul. Il y a également, selon l’Eglise, Sainte Marie Goretti, une jeune fille de 12 ans morte pour avoir refusé d’avoir des rapports sexuels avec un jeune garçon nommé Alexandro. Ce sont là des exemples vivants qui évoquent la question de la virginité dans la Bible. Au sein de l’Eglise, la virginité concerne aussi bien la femme que l’homme. Selon le Père Yves Richard de la Congrégation des Jésuites, on distingue deux sortes de virginité à savoir la virginité jusqu’au mariage pour ceux qui ont la vocation maritale, ou la virginité toute sa vie dans le cas des religieux et religieuses pour qui, cette vocation est une valeur évangélique en vue du royaume de Dieu. Mais selon le jésuite, la règle de la virginité jusqu’au mariage n’est pas respectée de tous. « Il est évident qu’à la puberté, le jeune ressent l’envie, des pulsions qui le poussent à aller vers le sexe opposé. Dans ce cas, si le jeune n’a pas des convictions, s’il se laisse à ses instincts, il peut se laisser aller aux rapports sexuels. », informe-t-il. Cependant, il ne lui est pas impossible de garder sa virginité jusqu’au mariage, nuance le Père. L’Eglise n’a pas statué sur un âge précis pour se faire dévierger. Le plus important pour le Père Yves Richard, c’est de pouvoir rester vierge jusqu’au mariage. « Un mariage est bon et user de son pouvoir génésique et de sa capacité d’avoir des rapports sexuels, de jouir pour l’homme de l’intimité avec sa femme et la femme de jouir de l’intimité avec l’homme est une bonne chose. Or, cela n’est pas normal à la réflexion morale et encore moins quand cette réflexion morale est éclairée par l’Evangile », enseigne le Père.
A en croire les propos de Mouhamadou Kabirou Garba, Imam de la mosquée centrale de la place Bulgarie Gbégamey et Sèkandji, aussi bien la femme que l’homme se doit de rester vierge jusqu’au mariage. « Dans la religion musulmane, la virginité est un honneur, une obligation parce que c’est recommandé. C’est formellement interdit à la femme ou à l’homme d’avoir des rapports sexuels avant le mariage et la loi est ferme là-dessus. La personne qui commet l’adultère alors qu’elle ne s’est pas mariée une fois, si on la surprend avec des témoins, ou qu’elle confirme par elle-même, elle aura des coups de fouets publiquement. Et si une personne qui s’est déjà mariée une fois commet l’adultère, elle sera lapidée jusqu’à la mort. Ça fait partie de la charia. », rappelle l’Imam. Si les femmes sont plus tenues au respect de la virginité jusqu’au mariage, l’Imam a bien une explication à cela. « L’homme peut commettre l’acte plusieurs fois sans qu’on ne le sache parce que les sexes ne sont pas les mêmes. Du côté de la femme, il suffit qu’on la pénètre et quoi qu’en soit ce qu’elle fera, on saura qu’elle n’est plus vierge… S’il y a plus de rigueur chez la femme, c’est pour dire que quelque part, la femme doit se rendre compte qu’elle est chère, protégée et plus aimée.», fait-il savoir. Aussi bien dans la tradition que dans la religion musulmane, c’est un honneur et une fierté pour une famille et surtout pour une femme d’aller au mariage vierge. Elle bénéfice d’un certain privilège de la part de sa belle famille ainsi que de son mari. Dans la tradition musulmane, cette nouvelle doit faire l’objet d’une très grande fête. Certes, la femme aura respecté la loi en restant vierge jusqu’au mariage mais le mari est appelé à lui faire des cadeaux, mettre tous les moyens à sa disposition, à la respecter jusqu’à la fin de la vie. Pour l’Imam, il n’y a pas d’âge pour se faire dévierger. Une fille de 25 ans peut ne pas être en mesure d’avoir des rapports sexuels parce que n’étant pas physiquement prête. De la même manière, une fille de 15 ans peut être bien en forme pour concevoir. La virginité jusqu’à un âge avancé n’a pas des représailles sur la santé de la femme sur le plan spirituel. Selon l’Islam, « il n’y a pas de risque que la femme reste vierge jusqu’à 30 ans parce que nous prenons les choses spirituellement. C’est Dieu qui a dit de suivre les règles et elle l’a fait. Donc spirituellement, nous disons que Dieu est là pour la sauver et qu’elle n’aura pas de difficultés. »
La virginité selon la médecine …
Du point de vue de la médecine, un spécialiste de la santé qui a requis à son tour l’anonymat, définit la virginité comme : « le fait qu’au niveau de l’appareil génital de la femme, on constate, l’hymen toujours intacte. On ne peut pas dire qu’une femme qui n’a jamais connu d’homme et qui ne possède plus d’hymen soit vierge. La fille peut ne jamais avoir connu d’homme et perdre son hymen, soit parce qu’elle fait des toilettes intimes de façon intempestives qui ont dilaté la membrane qu’est l’hymen, soit du fait de la pratique de certains sports comme la gymnastique, soit encore par des pratiques malsaines ou des traumatismes. Si pour aussi bien la tradition que la religion, il n’y a pas d’âge précis pour se faire déflorer, il n’y en a pas également pour la médecine. Selon le professionnel de la santé, le code des personnes et de la famille en vigueur en République du Bénin, stipule clairement en son article 123 que « toute personne âgée de 18 ans révolus peut se marier si elle le désire ». Mais cela ne signifie guère que rester vierge au-delà de cet âge est mauvais, fait remarquer Hector Adihou, assistant social de profession. Il n’y a pas d’âge requis non plus pour avoir son premier rapport sexuel, ajoute-t-il. Tout dépend de la maturité physique et psychologique de la jeune et du contexte aussi, soutient-il. Avoir son premier rapport sexuel doit rimer d’abord avec l’envie. La jeune fille doit être suffisamment mature au niveau de sa sexualité et de ses désirs pour pouvoir assumer, déclare François Fanou, un psychologue, approché. Elle doit être prête dans son corps et dans sa tête. Mais le plus juste, selon le spécialiste de la psycho-clinique, une fille qui a l’âge majeur indiqué par la loi peut se faire arracher sa virginité si elle se sent prête. Au-delà de 18 ans, elle aura elle-même choisi de rester vierge. Et le seul intérêt à gagner dans ce cas, c’est qu’elle évite les infections et maladies sexuellement transmissibles, le VIH sida etc…, précise-t-il. Passer cet intérêt, rester vierge au-delà de 22 ans jusqu’à 30 ans peut avoir des conséquences selon un gynécologue qui s’en tient ici aux sciences de la santé : « l’envie sexuelle chez l’être humain est naturelle et vient naturellement. Quand une fille décide de rester vierge jusqu’à un âge donné, cela suppose qu’elle refoule à chaque fois l’envie d’aller au sexe. Et ce faisant, elle devient frigide d’un côté. De l’autre côté, en médecine, on dit que la fertilité chez la femme diminue à 30 ans et donc, la femme longtemps vierge peut être confrontée à une recherche d’enfant. Mieux, si elle réussit à tomber enceinte, au niveau de l’accouchement, il y a forte possibilité qu’elle n’accouche pas normalement. Soit c’est le corps jaune qui n’est plus adéquat pour entretenir la grossesse jusqu’à terme et on assiste à des fausses couches, soit la tension peut se greffer ou c’est le col qui a du mal à s’ouvrir quand la femme est en travail etc.. », explique-t-il. Néanmoins, il insiste sur le fait que pour une fille, rester vierge jusqu’au mariage est un honneur mais rester vierge très longtemps pose plus tard des problèmes.
Face à tout ceci, beaucoup se posent la question de savoir l’intérêt de rester vierge jusqu’au mariage. A cette question, le Père Richard dira que rester vierge jusqu’au mariage donne plus des chances à ce ménage de mieux réussir. Et il justifie : « Etant vierge jusqu’au mariage, le jeune va accueillir la femme ou l’homme de sa vie sans être embrouillé par des souvenirs des relations amoureuses qui n’ont pas eu de lendemain ». Il arrive que des jeunes gens se retrouvent dans une relation en étant toujours vierge. Le mieux dans ce cas, c’est qu’ils soient prudents et soutiennent leur position jusqu’à terme quelles qu’en soient les difficultés. Pour ceux qui ont bravé cette étape dès le plus jeune âge ou avant le mariage, tout n’est pas encore désastre. Selon le Père Yves Richard, ils peuvent recouvrer « la virginité du cœur » s’ils se décident à attendre jusqu’au mariage. Pour ce qui concerne les religieux et religieuses, ils ont opté pour ce choix et devront l’assumer dans tous les cas, martèle le père.
Que pense la jeune génération de la virginité jusqu’au mariage de nos jours ?
Il est clair que de nos jours, le sexe fait objet d’exposition à travers les accoutrements des uns et des autres, à travers les réseaux sociaux et les films pornographiques. Ainsi, chaque enfant est poussé par la curiosité de voir et de sentir le plaisir qui se trouve dans cette partie du corps humain. Dans plusieurs groupes whatsapp, la question de la virginité jusqu’au mariage suscite beaucoup de commentaires. Nombreux sont ces jeunes qui ne trouvent aucune importance à la virginité jusqu’au mariage parce qu’ayant pris goût au sexe depuis le jeune âge. Pour certains, « on ne saurait acheter un pagne sans l’avoir déplié pour vérification ». Ceci pour dire qu’ils doivent savoir ce que vaut la femme au lit avant de l’épouser. Certaines femmes se posent la question de savoir si après le mariage, il s’avère que le mari est impuissant, quel serait leur sort ? Toujours pour dire qu’on doit être sûr de l’autre et de soi-même avant de se lancer dans une vie à deux pour la vie. D’autres encore mettent en doute les paroles bibliques, car, pour eux, aucune partie de la Bible n’a précisé qu’il faut rester vierge jusqu’au mariage. Autrement, « Dieu nous aurait donné notre sexe après notre mariage » pour ainsi rapporter, mot pour mot, les propos d’un jeune qui est contre la virginité jusqu’au mariage. Pour être plus réaliste, Harold Zossou, juriste de formation pense que la virginité n’est plus ce qu’on doit avoir, ce qui est en jeu. Pour lui, lorsqu’on parle de la virginité jusqu’au mariage, c’est tellement exceptionnel par ces temps-ci. « Quand on prend l’état de la dépravation des mœurs sociales maintenant, il ne faudrait pas qu’on se trompe et c’est une situation qui va grandissante. Je l’avoue, bien des jeunes comme nous, ne taillent plus d’importance à ce qu’une femme soit vierge. En tout cas, pour ma part, ça ne me dit pas grande chose qu’une femme soit vierge en venant dans le mariage. Ce n’est pas l’essentiel. Moi, je me focalise beaucoup plus sur le respect de soi-même et la confiance. Ce n’est pas parce qu’elle n’est plus vierge, qu’elle n’aura plus de respect ou de l’honneur à mes yeux. Il faudra juste qu’elle se batte pour le mériter. La virginité jusqu’au mariage à notre époque, ce n’est plus quelque chose que l’on doit espérer. Si l’on a, on considère juste que c’est une chance. Dans le cas contraire, on fait avec. Ça ne doit pas constituer un frein pour que l’on ne s’engage pas ou que l’on désapprécie la qualité de la femme que l’on a en face », reste la conviction de Harold Zossou. Conviction que partage d’ailleurs Floris Dossa, monteur cadreur à Sikka TV qui déclare : « Je pense que la virginité jusqu’au mariage est une bonne chose dans le temps parce qu’avant, les femmes se mariaient tôt et ça leur donnait de la valeur. Mais de nos jours, la question n’est plus vraiment d’actualité. » D’un autre côté, certains jeunes estiment que les réseaux sociaux sont mis en place pour bafouer la tradition africaine. Pour Octavy Déguénon jeune juriste, malgré l’évolution du monde, nos coutumes doivent être respectées. « C’est une très bonne chose de savoir que la femme avec qui on veut passer le reste de sa vie n’a connu aucun homme auparavant. » Même s’il pense que la virginité rime avec la naïveté et que la femme semble être quasiment nulle au lit, il avoue que : « la virginité, est une valeur qu’on doit préserver pour ainsi montrer à la femme qu’elle vaut de l’or.» Pour cela, il estime qu’il faut revenir à la base pour encourager la prise en compte de nos valeurs mais qu’il serait subjectif que la virginité soit un critère qui conditionne le mariage.
Estelle DJIGRI