Définie comme amour de la sagesse, la philosophie n’est pas très appréciée de tous au regard de sa complexité. A travers cette interview, Vincent Ayéna, président de la Société Béninoise de Philosophie (So.Bé.Phie) revient sur l’importance de cette discipline et le rôle qu’elle peut jouer dans le développement aussi bien de la nation que de l’être humain.
Educ’Action : Qu’est-ce qui a motivé la mise en place de la So.Bé.Phie et quelle est sa missions ?
Vincent Ayéna : Les professeurs de philosophie, à un moment donné de l’enseignement de la matière, ont jugé nécessaire de se retrouver dans un creuset pour échanger, pour discuter et pour promouvoir l’enseignement de la philosophie au Bénin. C’est ainsi que la Société Béninoise de Philosophie (So.Bé.Phie) est née. Elle est une société savante, apolitique dont l’activité est essentiellement destinée à la recherche et à l’enseignement de la philosophie. Elle vise à dynamiser cet enseignement, à débattre des questions de société, des questions d’ordre politique ou scientifique. Dans cette société, nous n’écartons pas non plus le volet social qui consiste à porter assistance aux enseignants qui sont à jour de leur cotisation, lors des événements heureux ou malheureux. Il y a donc les volets scientifique et social.
Cette Société a-t-elle édité ou publié des documents pour promouvoir l’enseignement de la philosophie ?
Evidemment ! La So.Bé.Phie a deux organes. Le premier organe, Le bulletin pédagogique (Phi-Bac), est destiné aux apprenants du cours secondaire. Dans ce document, il y a des sujets de commentaire de texte, de dissertation qui sont traités pour préparer les élèves à l’examen du Baccalauréat. Le deuxième organe, la Revue de la So.Bé.Phie a pour mission de publier des articles scientifiques. Il est non seulement ouvert aux professeurs béninois mais aussi aux enseignants de la sous-région sur appel à contributions.
Aujourd’hui, quel est l’état des lieux de l’enseignement de la philosophie ?
La philosophie est enseignée dans les établissements d’enseignement secondaire et à l’université sur la base d’un programme approprié, d’un programme qui tient compte du système LMD. Au secondaire, les inspecteurs et les conseillers pédagogiques se chargent de la promotion de cette discipline en se réunissant par moments pour réactualiser le programme, si cela est nécessaire, pour l’adapter aux défis de notre temps. A l’université, le Département de Philosophie a aussi un programme conforme aux préoccupations des sociétés actuelles : la politique, l’environnement, les avancées des nouvelles technologies, etc. Donc, c’est un enseignement qui, contrairement à ce qu’on peut penser, s’intéresse bel et bien à la vie et aux différentes expériences de l’homme. La philosophie n’est pas une réflexion désincarnée.
Quelle est l’importance de cette discipline dans la vie de l’être humain ?
Etymologiquement, la philosophie est définie comme amour de la sagesse. Dire que la philosophie est amour de la sagesse signifie qu’elle est une recherche effrénée de la connaissance. De ce point de vue, l’enseignement de la philosophie a pour but de faire acquérir des connaissances précises à l’apprenant. On a beau dire, penser de la philosophie ce que l’on veut, elle est une science. Non pas un mode d’intelligibilité du même ordre que les sciences exactes qui fondent leurs connaissances sur l’expérimentation, mais une science d’abord parce qu’on l’enseigne dans les établissements d’enseignement secondaire général et technique et à l’université ; ensuite, c’est une science en tant que discipline théorique parce qu’elle a ses exigences et ses principes méthodologiques, à telle enseigne qu’on n’est jamais spontanément philosophe. Il faut acquérir les principes, les théories et la démarche de la philosophie. De ce point de vue, n’en déplaise à Kant, il y a bel et bien une philosophie que l’on puisse apprendre et c’est ce qui justifie cet apprentissage dans les établissements d’enseignement secondaire et à l’enseignement supérieur. Si la philosophie est amour de la sagesse, du savoir, il faut considérer la sagesse également au plan moral. L’individu recherche cette sagesse en vue d’acquérir des connaissances pour un comportement approprié. L’homme a besoin d’agir de façon raisonnable, réfléchi ; pour ce faire, il faut que son mode de vie s’articule autour de certaines valeurs censées réglementer ce comportement et la philosophie est chargée de promouvoir ces valeurs. Telle est sa portée axiologique.
Pourquoi les apprenants trouvent alors cette matière difficile ?
Dans la vie, rien n’est facile. L’essentiel est d’aimer ce que l’on fait. Lorsqu’on affiche les dispositions nécessaires pour apprendre une chose sans préjugés, on finit par l’assimiler. Les apprenants ont une idée arrêtée de la philosophie. Ils estiment qu’elle a un jargon non accessible. Mais toute discipline se nourrit d’un réseau de concepts qui la définit comme telle. Et le but de cet enseignement est de permettre aux apprenants de saisir ce langage particulier qui ne doit pas être considéré comme un langage spécifique et inaccessible aux gens. Il y a aussi les préjugés dont les professeurs de philosophie sont objet : des gens bizarres. C’est vrai qu’il peut en avoir qui affichent des comportements peu conformes au bon sens pour montrer que cela relève de la philosophie. Le philosophe est un homme comme les autres qui a « les pieds sur terre et les mains en poches ».
Avec l’évolution que connaît le monde, quels sont les défis de la philosophie ?
Dans les pays développés notamment en France, quand il y a un problème crucial qui se pose soit au plan politique ou scientifique, ce sont les philosophes qui montent au créneau dans un premier temps. Parce que ce sont des gens qui sont habilités à prendre du recul par rapport aux problèmes sociaux qui se posent, pour les penser afin de proposer des solutions. L’avantage du philosophe par rapport aux autres, c’est qu’il n’accepte rien qui ne soit passé au crible de la raison, de l’esprit critique. Cela montre que la philosophie nous invite à être prudents et à ne pas nous laisser aller au jugement hâtif, au préjugé. Les défis sont nombreux. Nous vivons dans un monde d’incertitude, au plan politique avec la crise de la démocratie mise aujourd’hui à rude épreuve par le populisme, la crise des valeurs portée par le triomphe de l’individu cher à la Modernité et les avancées des nouvelles technologies qui changent complètement notre vie. Face à tous ces bouleversements, la philosophie appelle au sens de la mesure à l’instar de Bergson qui, au début du xxe siècle, a fait le constat selon lequel l’humanité qui gémit sous le poids des progrès qu’elle a réalisés a besoin d’un supplément d’âme.
Que fait alors la So.Bé.Phie pour redorer le blason de cette discipline auprès des apprenants ?
Il faut dire que les activités de la So.Bé.Phie ont été un peu ralenties par la Covid-19. En dehors des colloques que nous organisons et des creusets dans lesquels nous nous retrouvons pour échanger, il y a des tournées pédagogiques organisées sur toute l’étendue du territoire national en temps opportun pour aborder avec les apprenants, certaines thématiques du programme en vigueur qui leur paraissent difficiles. Donc il y a ce volet pédagogique exécuté par la Société pour permettre aux apprenants de trouver moins ardu, moins inaccessible l’enseignement de la philosophie.
Quels conseils aux apprenants pour leur faciliter la compréhension de la philosophie ?
Premier conseil, que les apprenants restent ouverts et n’aient pas peur de la philosophie. Elle est une matière comme toute matière d’enseignement. Deuxième chose, qu’ils s’efforcent à la lecture des ouvrages inscrits au programme et des textes relatifs aux notions. Il y a certes un cours qui est dispensé pour faciliter la compréhension de certaines théories, de certaines doctrines ; mais ce n’est qu’un tremplin pour la recherche en vue de la réflexion critique. Il n’est pas du tout facile de lire en philosophie parce qu’il y a des ouvrages rébarbatifs, secs. Mais on ne peut être un bon élève, un bon étudiant en philosophie ou devenir professeur de philosophie, si on ne lit pas.
Que dire pour conclure cet entretien ?
Nous devons nous émanciper de ce préjugé qui consiste à dire que la philosophie ne sert à rien. C’est un jugement gratuit. Si c’est une matière d’enseignement, cela veut dire que la philosophie a sa raison d’être dans la formation de l’élève et de l’étudiant. Elle contribue à leur formation académique et à leur formation d’homme dans la mesure où elle enseigne les valeurs à promouvoir pour réglementer leur comportement en vue d’un agir libre et responsable.
Réalisation : Estelle DJIGRI