Au clair de lune ou sous l’arbre à palabre, enfants et adultes venaient s’abreuver à la source de la connaissance lors des veillées de conte. Cette tradition orale africaine n’est plus fréquente, et semble en voie de disparition. Durant tout le mois d’avril, Educ’Action consacre une série d’articles sur l’état des lieux de la pratique du conte au Bénin. Ce premier numéro aborde la problématique des veillées de conte. C’est parti !
Assis et alignés en trois rangées, sur le sol, autour d’un cercle décoré de lampes à pétrole, une centaine d’enfants provenant de différentes concessions sont venus boire à la source de la connaissance ancestrale. Nous sommes dans la soirée du samedi 20 mars 2022, sur la devanture de l’Ecole Primaire Publique (EPP) Houinmè Gbèdjromèdé, groupe A, à Porto-Novo. C’est la date dédiée à la célébration de la Journée mondiale du conte. Plusieurs conteuses et conteurs de la capitale sont venus perpétuer une tradition orale africaine : le récit du conte à la façon ancienne. Ici, le conte est déroulé dans les règles de la tradition comme à l’ancienne époque. Les enfants sont invités ensuite à partager avec l’assistance, les leçons retenues dans chaque conte. Le spectacle se déroule de façon interactive, sous les regards admiratifs des parents assis en seconde loge de la scène. Tradition orale africaine, la veillée de conte au clair de lune ou sous l’arbre à palabre est en train de disparaître des habitudes. Face au micro de Educ’Action, des conteurs nous y replongent, avec nostalgie.
Veillée de conte, une école africaine des valeurs
Art de l’oralité hérité de nos ancêtres, explique Serge Zossou, conteur et consultant en développement culturel, le conte se construit à partir d’une histoire imagée. Les personnages peuvent être des humains ou des animaux. Il s’agit d’éduquer les enfants et de partager avec eux une leçon de civisme. Sylviane Zannou, artiste-comédienne et conteuse, précise pour sa part que c’est en partie une vraie distraction, mais également un échange et surtout un lieu où s’enseignent la morale et l’éthique.
« C’est une école qui inculque les vraies valeurs au temps de nos aïeux, où il n’y avait pas l’école coloniale. Quand ils finissaient la journée, et avant d’aller dormir, nos ancêtres réunissaient la concession au clair de lune, autour d’un grand feu où tout le monde était assis. La personne la plus âgée de la concession, c’est-à-dire le sage de la maison conte une histoire. Mais avant de conter le soir, le sage observe un comportement déplacé d’un enfant durant la journée. Nos aînés ne parlaient pas trop. Quand tu fais quelque chose, on t’observe et c’est le soir qu’on te parlera d’une autre manière, à travers un conte. Je suppose que tu as volé et qu’on t’a attrapé mais tu as nié. Le soir, l’histoire qu’on va conter parlera du vol et du mensonge. Là où conduit le vol ou le mensonge, ils vont conter et tu vas tirer la leçon toi-même », renseigne Christian Serge Djossa Missigbèto, artiste-conteur et comédien pour marquer une plongée dans la nostalgie des veillées de conte à l’ancienne.
Fidèle Anato est un artiste polyvalent, fondateur du village de conte « Adjrou Houé » devenu par la suite Centre d’excellence « Adjrou Houé ». Son nom d’artiste est le Baobab. Il renchérit que le conte est un art oral africain qui part de la parole pour raconter une histoire passée que les gens n’ont pas vécue et qu’on leur fait vivre dans le présent. « C’est une histoire imaginaire du passé et qu’on raconte au présent pour apporter quelque chose à l’avenir. C’est un art oral qui a pris son essence en Afrique, et qui demeure un art africain. La veillée de conte est le lieu où on apprend la tolérance, le respect de l’autre, le silence et l’écoute. Kankan Moussa a été éduqué sous l’arbre à palabre », souligne-t-il.
De nationalité française, Marion Madelénat est une comédienne-conteuse tombée amoureuse de la tradition orale africaine. « Les conteuses françaises que j’ai entendues n’avaient pas de bagages en tant que comédiennes. Quand on n’a pas de bagage en tant que comédienne et qu’on est seulement conteuse, il y a quelque chose qui est moins vivant. J’ai remarqué qu’il n’y a pas cette approche aussi interactive que j’ai pu constater avec des conteurs béninois. C’est pourquoi je suis tombée amoureuse de l’Afrique, parce que les conteurs ici ont une énergie.Ils portent tellement une énergie avec des onomatopées, des chants », confie la conteuse qui déplore le fait que la pratique du conte oral disparaisse de plus en plus dans le milieu urbain.
Les veillées de conte, une pratique en voie de disparition
De l’avis de Fidèle Anato, cette tendance à une disparition progressive des veillées de conte pourrait être attribuée au train de vie quotidien. « Les gens courent pour survivre parce que le bien-être social est difficile, le minimum social n’existe pas. Pour raconter des histoires, il faut être rassasié. Beaucoup de ménages dorment à jeûn, et dans cette condition comment tu peux avoir la joie de raconter des histoires aux enfants ? », s’interroge-t-il. Cette tradition, souhaite-t-il, qui consistait à réunir les gens autour du feu de bois ou au clair de lune pour écouter un vieillard ou un jeune par moment, afin de tirer une moralité, c’était toute l’école et il faut que cela revienne.
Pour la conteuse Sylviane Zannou, la mondialisation et l’école coloniale sont les deux facteurs qui expliquent la disparition progressive des veillées de conte. « Les enfants sont de moins en moins à la maison. On s’est attaché à d’autres pratiques qui ne sont pas forcément des pratiques propres à nous en Afrique. De moins en moins, les grands parents nous racontent des contes. On est en ville, donc on ne doit plus s’attacher aux pratiques du village. Du coup, les veillées de conte ont commencé à disparaître petit à petit de nos mémoires », fait-elle remarquer. Même son de cloche pour Christian Serge Djossa Missigbèto qui estime que l’école coloniale en est pour quelque chose dans la disparition progressive du conte, sans oublier les technologies et la télévision.
« C’est nous qui sommes en ville, qui sommes des citadins, qui pensons que les veillées de conte sont en train de disparaître. Cela continue dans nos contrées, dans nos villages, dans nos localités rurales. Les gens continuent de conter et il y a même des adultes qui sont recrutés pour être des conteurs. Quand vous voyez les chefs des collectivités, ils vous montrent ceux qui continuent de raconter des histoires, et qui sont des références », dira le conteur Serge Zossou qui ne partage pas entièrement l’avis faisant état de la disparition des veillées de conte.
Dans le milieu éducatif, un champ de formation intitulé Education Artistique (EA) prend en compte la pratique du conte. Les enseignants sont censés dérouler des soirées de conte aux écoliers dans l’après-midi du vendredi soir. Mais Hélas, la réalité est toute autre dans les écoles. La deuxième parution de cette série d’articles sur le conte au Bénin va aborder l’état des lieux de la pratique du conte dans le milieu scolaire.
Edouard KATCHIKPE