Valentin Ilboudo, Coordonnateur adjoint de Solidar Suisse du Burkina : « PAEFE est une approche bilingue qui allie une langue nationale au français » - Journal Educ'Action

Valentin Ilboudo, Coordonnateur adjoint de Solidar Suisse du Burkina : « PAEFE est une approche bilingue qui allie une langue nationale au français »

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Hérité d’un programme similaire développé par Solidar Suisse au Burkina-Faso, le Programme d’Appui à l’Education et à la Formation des Enfants exclus du système éducatif formel (PAEFE) financé au Bénin par la Coopération Suisse obéit à une approche pédagogique spécifique. A travers cet entretien exclusif accordé au journal Educ’Action, Valentin Ilboudo, Coordonnateur adjoint de Solidar Suisse au Burkina-Faso, apprécie l’exécution de la phase I du programme et donne des clarifications sur les spécificités de cette alternative éducative.

Educ’Action : Décrivez-nous l’approche pédagogique développée au niveau du PAEFE et quelles sont ses spécificités ?

Valentin Ilboudo : Il faut dire que l’approche pédagogique développée au PAEFE s’est fortement inspirée de l’approche d’alphabétisation-formation intensive des 9 à 16 ans pour le développement. C’est une approche pédagogique développée par Solidar Suisse au Burkina-Faso depuis plus de vingt ans. Cette approche à quatre particularités. La première particularité est qu’elle utilise les langues nationales comme médium d’enseignement. Donc les langues nationales pour installer les connaissances, puis on passe après au français. Donc, c’est une approche bilingue qui allie une langue nationale au français. La deuxième caractéristique est que c’est une approche qui intègre la formation pré-professionnelle. Cela veut dire qu’on apprend aux enfants à faire quelque chose de leurs dix doigts : l’artisanat, la production agricole, l’élevage… La troisième caractéristique, c’est la promotion des cultures locales. Les enfants apprennent à danser, à chanter, à manier les instruments de musique locale. Ils apprennent aussi les contes, les proverbes du milieu qui sont des sources d’enseignement. Et la dernière caractéristique, c’est l’implication des communautés parce que c’est une école qui est l’école du village, et non plus l’école au village. C’est-à-dire que les parents d’élèves qui constituent la communauté s’impliquent dans l’éducation des enfants. Ce sont ces parents qui viennent apprendre aux enfants les activités culturelles. Ce sont les parents qui s’impliquent et qui apprennent aux enfants les activités de production : l’élevage, l’agriculture, le maraichage, l’artisanat, etc. Donc, ce sont des personnes ressources de la communauté qui sont désignées et qui dispensent des actes pédagogiques dans les classes.

Comment cette approche pédagogique permet-elle aux enfants de passer le CEP en quatre ans, plutôt que six ans en vigueur dans l’enseignement formel ?

Vous savez que déjà, c’est un groupe spécifique, les enfants de 9 ans à 16 ans. Ils ont déjà une maturité psychologique. Donc, nous avons réfléchi que s’ils doivent faire encore six ans, ils vont peut-être se lasser. C’est alors que nous avons essayé de concentrer le programme en quatre ans. On s’est rendu compte également qu’en passant par les langues nationales, les enfants apprennent vite et mieux. Quand vous prenez la première année dans les écoles classiques par exemple, pour le calcul, ils comptent déjà de 1 à 20 alors que déjà dans les centres Barka, les enfants vont de 1 à 1000. Vous voyez un enfant de neuf ans, de quinze ans, quand vous lui parlez d’arbre, il connait déjà toutes les différentes parties de l’arbre. Les branches, les feuilles, les racines, la sève. Il connait à peu près quelles sont les différentes fonctions. Donc l’apprentissage va beaucoup plus vite parce que l’enfant est éveillé, l’enfant a déjà un certain nombre d’apprentissages. Donc on installe ses connaissances en langue nationale la première et la deuxième année. A partir de la troisième année, il n’est plus question de transfert, donc une question de vocabulaire qu’on fait seulement en français parce que de toute façon, il a appris comment fonctionne le corps humain dans sa langue nationale. En français, cela devient beaucoup plus facile et à partir de la quatrième année, il suit les programmes de l’enseignement classique des deux dernières années, et en quatrième année, il a le niveau du CM2 et il peut passer directement le CEP.

Quels sont les résultats obtenus à la phase d’expérimentation du programme par Solidar Suisse au Burkina-Faso ?

Nous avons déjà des milliers d’enfants qui sont passés, par ce programme et qui ont eu le certificat dont une partie a déjà fait la formation professionnelle et se sont insérés. Ils sont devenus des mécaniciens, des tailleurs, des agriculteurs installés. Beaucoup ont poursuivi aussi les études dans l’enseignement secondaire et d’autres ont poursuivi à l’université. Je citerai l’exemple d’un qui a fait l’université jusqu’à avoir sa Maîtrise en droit des affaires. Il y a un qui a poursuivi jusqu’à avoir son BTS en électricité. Il y en a également qui sont devenus des enseignants, des instituteurs, des infirmiers, des comptables. Donc ils arrivent à avoir le CEP et ils peuvent se joindre au programme formel de formation. Au Burkina-Faso, les résultats sont là si bien que les gens ont vraiment adopté cela. Les organisations partenaires utilisent cette approche pour scolariser les enfants exclus du système ou qui ne sont pas allés à l’école.

Au terme de la phase I de l’exécution du programme au Bénin, est-ce que les résultats sont satisfaisants quand on fait une étude comparée avec l’expérience du Burkina-Faso ?

Oui les résultats sont satisfaisants. Moi, j’ai trouvé même très satisfaisants puisque c’est la première promotion qui a atteint ce résultat de 77%. Nous au début, quand on le faisait, la première promotion n’a pas eu ces résultats. Mais de l’expérience qu’on a eue là-bas, les choses ont été corrigées ici et voilà, je peux dire que l’expérience a été vraiment concluante vu les résultats auxquels on est parvenu pour la première promotion.

Quelles sont les insuffisances que vous avez notées au cours de l’exécution de la phase I du programme ?

Les insuffisances que nous avons connues, c’est surtout les abandons. Les abandons des enfants pour cause de grossesse, pour cause de migration dans les pays voisins. Parce que si nous prenons les enfants, notre souci premier, c’est qu’ils parviennent tous au CEP. Donc, s’ils abandonnent pour nous, c’est une insuffisance. La deuxième insuffisance, c’est au niveau de la pérennisation des enseignants. Les enseignants ne sont pas stables et beaucoup ont quitté, et il fallait former encore de nouveaux enseignants. Au niveau aussi des communautés, il y a certaines communautés qui justement ont des difficultés de participation aux aspects culturels et de production qui ne marchent pas bien dans certains centres.

Quelles sont les mesures correctives que vous souhaiteriez mettre en place pour améliorer le programme ?

Dans sa phase II, nous allons mettre l’accent sur la formation des élèves par rapport à la planification familiale. Nous allons beaucoup plus appuyer les communautés, pour qu’elles soient beaucoup plus sensibilisées et formées pour comprendre les enjeux et participer. Parce qu’au sein des communautés, il faut rappeler que dans chaque centre, nous mettons en place ce qu’on appelle le comité de gestion qui est composé d’hommes et de femmes et qui aide au fonctionnement du centre. Donc, il faut justement renforcer les capacités de ces comités de gestion pour qu’ils puissent vraiment accompagner le fonctionnement des centres Barka.

Comment est-ce que la conceptualisation a pu être effectuée pour que le programme prenne au Bénin ?

Pour la conceptualisation, nous avons travaillé en étroite intelligence avec des spécialistes béninois, notamment le CRADEF et les spécialistes de la langue, des ONGs. Donc, c’est avec eux que la conceptualisation s’est faite parce que les programmes au Burkina-Faso sont faits par la pédagogie par objectifs et ici au Bénin, c’est l’Approche Par Compétence. Donc, c’est avec eux que nous avons travaillé pour mettre tous les documents et tous les programmes dans cette approche. Nous avons travaillé avec les Béninois et dernièrement, les documents ont été certifiés et corrigés par le Ministère des Enseignements Maternel et Primaire qui a aussi permis de conceptualiser et d’adapter les documents au programme béninois.

Est-ce que l’expérience du bilinguisme dans l’approche a vraiment pris corps ou il y a des choses à parfaire ?

Non pour le moment. Pour nous, en tout cas, c’est déjà une bonne chose parce que ça fait déjà 20 ans au Burkina-Faso que nous avons expérimenté cela. Ce qu’il faut maintenant, c’est de renforcer les capacités des acteurs pour qu’ils puissent mettre en œuvre correctement le programme. Sinon, par rapport aux documents, les choses ont été bien faites. C’est maintenant l’utilisation qu’il faut parce qu’il faut suivre les démarches. Par exemple en 2014, nous nous sommes rendu compte que les enseignants n’appliquaient pas réellement le système pour pouvoir parfaire le transfert de la langue nationale au français. Il a fallu organiser des recyclages pour leur expliquer qu’il faut suivre ces différentes étapes parce que si vous sautez les étapes, ça va rater à la fin.

Propos recueillis
par Edouard KATCHIKPE

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