Dans les lieux de rencontre, d’échanges le système éducatif béninois n’a de cesse d’être critiqué. Ainsi, chacun y va selon sa lecture et son appréhension.
Ce deuxième numéro de votre thématisation a donné la parole à de différentes couches socio-professionnelles. Voici la moisson !
Charlemagne Gbonkè, écrivain et consultant en orientation scolaire et professionnelle
« Il faudra une discussion d’égal à égal avec les partenaires financiers pour des programmes plus adaptés à nos réalités et aux besoins du marché de l’emploi »
«Le principal reproche fait au système béninois à l’instar de celui des autres pays francophones en général, est de livrer des hommes et des femmes incapables de répondre aux besoins éducatifs du marché de l’emploi tout le temps en mutation. De la maternelle à l’université en passant par le primaire et le secondaire, les programmes ont besoin d’être purgés, revisités, et surtout d’être réadaptés à un monde en pleine évolution surtout sur le marché socio-économique. Si l’école est par excellence un centre d’apprentissage et d’éducation, alors doit-elle livrer des chômeurs très tôt déçus, rentrant ainsi dans un processus d’auto-victimisation conduisant à la dépression et à tous les fléaux de la société ? Je ne dirai pas qu’il faudrait tout retirer, parce qu’il ne faut pas oublier que nous sommes les fruits de ce système, mais on doit enlever tout ce qui ne sert plus à rien. Dans toutes les matières, dans toutes les disciplines, et le style d’apprentissage, tout doit être revu. Ces dernières années, les rapports de l’OCDE nous disent clairement qui il faut copier et derrière qui il faut quitter au regard des résultats qu’ils fournissent soient-ils nos colonisateurs. Il faudra une discussion d’égal à égal avec les partenaires financiers pour des programmes plus adaptés à nos réalités et aux besoins du marché de l’emploi.
Modeste Houessou, Dr en Sciences de l’éducation
« Nous devons prendre ancrage dans notre histoire et non dans l’histoire qu’on nous a raconté »
«Je pense que notre éducation est trop tournée vers l’extérieur au point où on arrive à avoir certaines informations pertinentes sur l’extérieur sans connaître réellement qui nous sommes de l’intérieur. Ce qui fait que notre éducation est euro-centrée. Les informations que nous avons, portent donc sur des réalités qui ne sont pas les nôtres. Ainsi, il est difficile d’avoir un ancrage intérieur pour pouvoir innover et éclore le génie qui sommeille en tout un chacun. Dans ces conditions, aucun apprenant ne peut suffisamment être intelligent pour faire fructifier les informations qu’il a si l’on part du principe que l’éducation que l’on reçoit doit nous permettre d’être en mesure de transformer notre milieu immédiat et la société dans laquelle nous sommes. Même notre propre histoire, nous ne la connaissons pas suffisamment. Nous devons prendre ancrage dans notre histoire et non dans l’histoire qu’on nous a racontée. Cela peut réveiller ce patriotisme que nous perdons à cause de la méconnaissance de notre histoire, de qui nous sommes. Nous devons aussi envisager une meilleure connaissance de notre géographie pour la conquérir. Même le Fâ peut nous aider à nous connaître davantage. On pourrait même enseigner les mathématiques à partir du Fâ. Il ne faut pas oublier que la pensée africaine est complexe par nature alors que la pensée occidentale est cartésienne. Je pense aussi que tous nos apprentissages gagneraient à être faits dans nos langues maternelles. Plus on apprend dans sa langue maternelle, mieux on est capable de conceptualiser et de faire éclore le génie qui sommeille en chacun de nous. Le monde est en train de changer et ce changement n’est pas en notre faveur mais en notre défaveur. Pour reprendre du poil de la bête, nous devons nous ancrer dans ce qui fait de nous qui nous sommes avant d’envisager l’avenir.
Alexandre Adjinan, secrétaire général du Syndicat National des Enseignants du Secondaire Technique et de la Formation Professionnelle du Bénin (SNESTFP-Bénin)
« Il faut retirer de l’enseignement les programmes qui ne contribuent pas à accroître la capacité intellectuelle des apprenants »
«L’éducation doit bénéficier d’une attention particulière. Cette attention est liée à la gestion qui est faite du système éducatif. Lorsqu’on conçoit les curricula de formation, on doit faire en sorte que l’écolier qui fait du CI au CM2 soit en mesure de s’orienter par rapport à ce qu’il va faire au collège. On peut mieux orienter les écoliers à partir du collège. A défaut, lorsqu’on leur enseigne les programmes ordinaires au niveau de l’école primaire, on doit pouvoir les orienter au collègue. Et après le BEPC, l’apprenant doit savoir ses aptitudes pour gagner sa vie. Lorsque vous prenez nos universités, la cagnotte allouée à la recherche scientifique est très minable. Quand on aspire au développement, nous devons encourager la recherche scientifique parce que c’est ça qui va booster le développement. Nous devons également renforcer l’industrialisation afin que nos matières premières soient transformées sur place. Je pense qu’il faut retirer de l’enseignement les programmes qui ne contribuent pas à accroître la capacité intellectuelle des apprenants et à renforcer leurs aptitudes à affronter les situations de la vie. S’il y a des éléments inutiles, les spécialistes doivent pouvoir faire une évaluation et retirer ces enseignements des programmes.
Eric Houdégbé, Administrateur réseau
« Il faut faire comprendre à l’enfant que le verbe ‘‘être’’ est plus important que le verbe ‘‘avoir’’ »
«L’éducation, c’est la famille qui la donne, l’instruction c’est l’Etat qui la doit. Une instruction de qualité doit prendre en compte les valeurs morales (endogènes), le respect, l’amour du prochain et l’amour du travail bien fait, l’intégrité, le sens de la famille, la dignité etc. Si tout ceci y est, la qualité de l’enseignement suivra. L’enfant doit subir à la fois l’éducation de la famille, l’instruction de l’école et connaître le sens du travail bien fait. Il faudra aussi que les curricula soient basés sur les conquêtes de nos rois, royaumes, nos arts culinaires, nos danses et autres. Tout ceci serait mieux que d’enseigner les guerres où les histoires des européens qui ne font que nous abêtir. Les nouvelles technologies doivent être enseignés depuis le primaire. Il faut faire comprendre à l’enfant que le verbe ‘‘être’’ est plus important que le verbe ‘‘avoir’’. ‘‘Etre’’, sa personne, la valeur des autres est plus important que ce que les autres ont: le matériel, l’argent. En bref, il faut enseigner à l’enfant l’éthique et la morale en plus du savoir livresque. »
Julien Codjia, déclarant en droit
« Il faut associer le sport, l’art, la morale et le civisme »
«Nous devrions mettre l’accent sur les matières scientifiques dans l’éducation de nos progénitures car, notre monde est basé sur la science. Elle aide les enfants à construire leur pensée, avoir la capacité d’abstraction, la rigueur et à bien grandir. A cela, il faut associer le sport, l’art, la morale et le civisme. Ainsi, beaucoup de défis seront relevés pour le développement de notre Nation voire de l’Afrique. Nous n’occultons pas l’enseignement technique selon l’aptitude de chaque enfant à partir du secondaire. »
Abraham Atakpaloté, Historien-géographe
« Malheureusement, il n’y a pas assez d’informations au fur et à mesure qu’on remonte dans le temps »
«D’abord, je tiens à préciser que les différentes thématiques prévues pour les écoliers, élèves et étudiants ont été très bien pensées et sont très englobantes. Elles vont de la préhistoire à la période post-coloniale en passant par les guerres mondiales, la guerre froide, les exemples de quelques génocides, l’organisation et la gestion du monde.
On peut donc dire que les experts ont eu du génie pour concevoir ces programmes. Toutefois, il y a encore quelques efforts que nous pouvons faire pour améliorer les curricula et emmener les enfants à s’intéresser davantage à l’histoire nationale et internationale. Alors, au primaire le problème ne se pose vraiment pas puisque l’histoire porte essentiellement sur les royaumes du Bénin, les grands empires africains et enfin sur la période pré et post coloniale, des informations qui sont censées accrocher les enfants. Au premier cycle du cours secondaire, des thématiques intéressantes sont également abordées comme la préhistoire, le génocide du Rwanda, l’impérialisme européen en Afrique. C’est au second cycle que la question est soulevée en l’occurrence en 1re. En lieu et place des relations internationales de 1919 à nos jours, on aurait pu aborder la question de la 2nde guerre mondiale, de la guerre froide et les intéresser ensuite a l’histoire du Bénin comme la période de la révolution. C’est une période où le monde a connu le Bénin sous un nouveau jour, et au cours de laquelle les béninois ont appris l’amour de la Patrie et bien d’autres valeurs. Puisque tout n’est pas mauvais au cours de la Révolution, on pouvait en faire une SA à part entière. Encore qu’il faut souligner que les élèves sont plus intéressés quand il s’agit de l’histoire du pays. Enfin, il serait bien d’apporter plus de précisions sur les anciens royaumes du Bénin au secondaire. Malheureusement, il n’y a pas assez d’informations au fur et a mesure qu’on remonte dans le temps.
Patrick Adjivessodé, enseignant d’Histoire à la FASHS/UAC
« Le programme en histoire des collèges ne prend pas suffisamment en compte l’Histoire nationale »
«Le programme en histoire des collèges ne prend pas suffisamment en compte l’Histoire nationale. Il n’est pas dit que l’élève est appelé à ne connaître que son seul pays, mais il doit aussi avoir des connaissances sur l’histoire du monde de façon générale. En 6e par exemple, aucune situation d’apprentissage n’aborde l’histoire nationale, pareil en 5e. En 4e, c’est la traite atlantique, en 3e les résistances, puis en Tle, la décolonisation avec le Dahomey/Bénin comme cas d’étude. La naissance et le fonctionnement des royaumes et chefferies, les différents groupes socioculturels qui cohabitent sur le territoire de l’actuelle République du Bénin ne sont pas étudiés. Il est peu fait cas aussi de l’histoire de l’Afrique si ce n’est le Ghana et l’Egypte.
A l’université, l’étudiant en fin de cycle en Licence est appelé à connaître suffisamment le passé du Bénin. En licence 1, une unité d’enseignement s’occupe de la préhistoire du Bénin, de l’installation des différents groupes socioculturels de l’actuel Bénin. En licence 2, deux unités d’enseignement étudient le passé du Bénin. L’une à travers les différentes entités politiques du Bénin précolonial, et l’autre, l’histoire économique et politique du Dahomey colonial. En Licence 3, à travers un séminaire sur l’histoire économique et politique du Dahomey/Bénin de 1960 à nos jours, les étudiants sont amenés à comprendre le passé du Bénin postcolonial. En définitive, toutes les périodes de l’histoire nationale sont prises en compte. En dehors du Bénin, l’histoire de l’Afrique, de l’Asie, de l’Europe et de l’Amérique est étudiée à travers ces différentes périodes. Le programme bien exécuté, les étudiants sont mieux outillés sur le passé de notre pays et celui du monde. Ce n’est pas pour insinuer que c’est un très bon programme, il est possible de mieux faire.
La Rédaction