Restriction de liberté aux enfants : Quand la volonté de protéger l’enfant crée in fine des séquelles - Journal Educ'Action - Éducation au Bénin et dans le monde

Restriction de liberté aux enfants : Quand la volonté de protéger l’enfant crée in fine des séquelles

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Elles sont nombreuses, ces familles dans lesquelles, une interdiction formelle est faite aux enfants, d’avoir une relation quelconque avec les autres. Malgré les justifications avancées, cette pratique n’est pas sans inconvénients sur l’enfant qui la subit.

Akyss et Roan (ndr) sont deux enfants issus des mêmes parents. Chaque jour sans exception, leur second monde après l’école se limite à leur chambre. Enfermés dans la chambre la plupart du temps, ils ont la télévision ou peut-être même quelques jouets pour leur tenir compagnie. Leur maison est située dans la commune d’Abomey-Calavi, quartier Tankpè. Les voisins voient rarement ces enfants, si ce n’est quand ils sortent de la maison pour l’école et lorsqu’ils rentrent de l’école. Pour les quelques fois où nous nous sommes rendus dans cette concession pour une petite visite à l’un de nos parents, voisin à la famille de Akyss et Roan, le constat est le même jusqu’à ce qu’on assiste à une petite scène. Akyss, l’ainé de cette petite famille est envoyé pour faire un achat. Mais les consignes à son endroit sont claires et précises : « Tu ne parles à personne, tu ne salues personne, si quelqu’un t’appelle, tu refuses et tu fuis. »
Comme les parents d’Akyss et Roan, plusieurs parents se sentent contraints aujourd’hui, de restreindre la liberté de leurs enfants. Ainsi, pas de sortie, pas d’amis, pas de visite chez les voisins. Cette pratique que d’aucuns appelleraient privation de liberté, a tout son sens selon d’autres et se justifie d’ailleurs.

Une restriction de liberté due à l’actualité…

« Ah ! Avec tout ce qui se passe aujourd’hui, il faut garder les enfants en sécurité. Il y a trop de méchanceté dans le monde actuel. » Ainsi se prononce maman Sam pour justifier cette pratique dont elle est aussi adepte. À l’en croire, les événements qui caractérisent le monde actuel expliquent largement cette pratique désormais en vogue dans beaucoup de foyers. Pour de nombreux parents interrogés sur ce point, garder les enfants hors de tout contact avec autrui, les protègerait contre les viols sur mineurs, la disparition des enfants, le vol des enfants à des fins de sacrifices, la découverte prématurée du sexe, les grossesses précoces, la délinquance, etc.
André Aïna est docteur en sciences politiques et sociales. Invité à donner son appréciation sur cette habitude de certains parents, il préfère ne pas émettre un jugement de valeur sur ce que chaque parent fait. Cependant, martèle-t-il, « c’est le parent qui décide de ce qui est bon pour son enfant. Donc les parents sont bien tenus d’essayer de définir le cadre approprié pour que l’enfant reste enfant avant de découvrir autre chose à un âge donné. » La psychologue clinicienne Faridath Ahossi Ibrahim, pense que cette pratique des parents n’est pas recommandable. Toutefois, reconnait-elle, les parents peuvent recourir à ce type de privation dans certains cas et de façon momentanée. « Plusieurs raisons poussent les parents à cette pratique. Il y a entre autres, la peur de l’influence négative des pairs, le fait de vouloir éviter les conflits interpersonnels et autres fléaux sociaux auxquels sont exposés les jeunes. », a-t-elle évoqué parmi les raisons invoquées pour défendre cette pratique.
Père de trois enfants, le Dr Aïna opte aussi pour une restriction de liberté aux enfants. Car, laisse-t-il comprendre, un parent ne peut donner que ce qu’il a reçu. Ainsi donc, poursuit le docteur en sciences sociales, si le parent estime que les valeurs que prône le voisinage ne sont pas conformes à celles qu’il voudrait inculquer à ses enfants, il se doit de refuser cette fréquentation à son enfant. « L’habillement des gens aujourd’hui, la façon dont certains parents coupent les cheveux à leurs enfants, la façon dont les voisins se parlent entre eux, soit c’est papa qui parle mal à maman ou c’est maman qui insulte papa, etc.., l’enfant est forcément influencé par cet environnement social qui n’est pas son environnement d’origine. », précise le docteur pour expliquer l’impact que cela pourrait avoir sur les enfants.
D’après certains spécialistes, cette pratique n’est pas sans avantages mais contient plus d’inconvénients pour l’enfant.

… avec des avantages sur la vie de l’enfant…

« La famille nucléaire est la première institution sociale de l’enfant. C’est l’espace dans lequel l’enfant grandit et acquiert toutes les dispositions pouvant lui permettre de croître, de grandir, de se développer, d’avoir certaines aptitudes du point de vue social, d’éducation, d’apprentissage des valeurs, des normes, des règles. Le parent est le garant du devenir de son enfant, de la bonne éducation que son enfant peut recevoir. » Cette clarification faite par le Dr André Aïna a pour but de montrer que le cadre familial est destiné avant tout, à favoriser la socialisation de l’enfant. Ainsi, la restriction de liberté n’a pas pour objectif de déconstruire l’enfant. Au contraire, elle permet au parent d’avoir le contrôle social sur l’enfant, de l’avis du Dr André Aïna. « La restriction permet au parent, de savoir ce que l’enfant fait et ce qu’il autorise l’enfant à faire. Elle permet au parent d’avoir un regard sur l’accès que l’enfant a, du point de vue médiatique.», a-t-il évoqué comme avantage. Autres avantages, cités par Faridath Ahossi, « l’enfant peut être moins dépendant de ses pairs. Il sait compter sur lui-même d’abord. Il a moins de problèmes interpersonnels et conflits avec ses pairs. »

… Mais avec des impacts négatifs sur l’enfant

Si cette pratique a des avantages, nul doute qu’elle a aussi des inconvénients sur l’enfant. Pour avoir été victime de cette pratique, « l’enfant peut développer la timidité. Il sera renfermé et va manquer d’expérience ou avoir des difficultés à faire face à certaines situations de la vie courante. Mieux, à l’âge adulte, l’enfant aura des difficultés à tisser des relations pacifiées », a énuméré la psychologue clinicienne Faridath Ahossi Ibrahim, avant d’ajouter que sur le plan sociologique, cette pratique peut conduire à la fragilisation du lien social. Ces propos de la psychologue clinicienne seront davantage soutenus par le Dr André Aïna. Il renseigne pour sa part, quel’enfant qui va grandir dans un tel environnement aura beaucoup de séquelles. « L’enfant ne sera pas capable d’entretenir des relations, d’avoir une certaine facilité à accepter les autres. Il peut être méfiant, très timide, peut avoir des troubles tels que la phobie et la peur du regard des autres. Il sera très réservé, il n’arrivera pas à intégrer les groupes. Il va vivre en autarcie, en retrait. », a-t-il précisé.

La responsabilité des parents pour un meilleur suivi des enfants

Comme indiqué plus haut, le Dr André Aïna préfère avoir son regard sur ces enfants, raison pour laquelle la restriction de liberté est de mise chez lui aussi. Néanmoins, il admet que d’autres enfants viennent s’amuser avec les siens sous le contrôle des adultes. Il préconise d’ailleurs cela aux parents qui ont fait le choix d’interdire à leurs enfants, tout contact avec des personnes extérieures. Mieux, pour éviter que cette pratique ait des répercussions sur le développement intellectuel de l’enfant, il suggère la mise en place d’un cadre pour accompagner l’enfant dans son développement. « Il faut créer le cadre, Il faut que l’enfant découvre sa passion à partir des jeux, des exercices auxquels le parent le soumet. Le parent doit être conscient qu’il a des responsabilités vis-à-vis de l’enfant. Et s’il ne veut pas que l’enfant soit influencé par le dehors, alors, il est obligé de créer le cadre, tout l’arsenal qui va accompagner son éducation et sa distraction aussi», conseille le Dr Aïna, spécialiste des sciences politiques et sociales. De son côté, la psychologue clinicienne Faridath Ahossi Ibrahim demande aux parents d’être un peu flexibles. Aussi, ajoute-t-elle, il est important « de favoriser les activités sociales avec un suivi et des moments de qualités en famille afin de permettre aux enfants d’être épanouis.
Par ailleurs, le Dr Aïna indexe la responsabilité de l’État dans l’éducation des enfants. Education, qui est, nuance-t-il, différente de l’instruction que l’Etat donne. Pour ce faire, il demande aux gouvernants, « la mise en place d’une politique de l’éducation qui intègre certaines valeurs qui sont purement d’ordre culturel et qui relèvent de notre cadre existentiel. »

Estelle DJIGRI

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