Après deux publications consacrées au sexe et études dans le rang des apprenants en milieu scolaire, la troisième de cette semaine du mois de février aborde un virage à 360° dans les dérapages enregistrés dans le rang des enseignants qui franchissent le cap des relations sexuelles avec les élèves filles. Devenu l’un des maux qui gangrène le système éducatif béninois, le phénomène des violences sexuelles en milieu scolaire a fait l’objet de grand émoi, ces derniers mois, et ne cesse de susciter auprès de bon nombre d’acteurs du système éducatif moult supputations et réflexions. L’équipe de Educ’Action, l’hebdomadaire spécialisé, est descendue dans quelques établissements pour investiguer sur le sujet. Les relations sexuelles entre enseignants et apprenantes, c’est tout de suite.
La question de dérapage sexuel dans le cadre scolaire a été, pendant longtemps, observée dans le rang des apprenants. Mais le triste constat, de nos jours, à travers les révélations, les témoignages, les images pudiques qui défilent sur les réseaux sociaux et dans les médias, fait état de ce que des enseignants, encadreurs des apprenantes, se livrent à des relations sexuelles, voire des cas de viol sur des sujets innocents sans défense. On en veut pour preuve, le viol d’une petite fille de CE2 par son enseignant dans le Nord, qui a défrayé récemment la chronique. Interrogés sur les motifs qui peuvent pousser un enseignant à abuser de son élève, les avis divergent dans le rang des enseignants.
Violences sexuelles sur des apprenantes : Les raisons d’un fléau qui perdure dans le rang du personnel enseignant
Bien que triste et désolant, Stanislas Zogo, enseignant du secondaire, n’arrive pas à comprendre cet acte qui s’observe dans le rang de ses collègues. « A mon avis, cela doit être un problème d’ordre psychologique pour ne pas dire psychique. C’est peut-être un psychologue ou un psychiatre qui serait vraiment habileté à se prononcer sur le sujet, parce qu’il faut d’abord savoir ce que cet individu a dans la tête, quel problème est-ce qu’il a », dira l’enseignant avant de penser qu’il serait mieux pour ses collègues qui s’adonnent à ce genre de pratique, de faire recours à leur femme ou aux filles de joie pour satisfaire leur libido. Se référant au cas où le vieux de 50ans à tenter de violer son élève, Laurent Aurélien Agossou, surveillant général du CEG Dantokpa, trouve des tentatives de réponses. « Il y a le fait que l’âge biologique n’est pas forcément l’âge psychologique. Il peut être grand, avoir 50 ans sans avoir le cerveau, sans avoir le cœur d’un adulte. C’est peut-être le cerveau d’un jeune de 25 ans qu’il a et qu’il veut se rattraper. C’est maintenant qu’il veut chercher…», a-t-il avancé comme probable raison dans un premier temps. Dans une seconde réponse, le surveillant général évoque l’exemple d’un vieux qui aurait peut-être mal utilisé sa vie. «Il y a de ce genre de vieux qui ont mal géré leur jeunesse. Ils ont peut-être passé leur vie à faire n’importe quoi et à sortir avec plusieurs femmes à la fois et une seule femme ne suffit plus dans leur vieillesse. Ils ont roulé avec plusieurs copines à la fois et se sont amusés avec le sexe n’importe comment et quand finalement ils ont une seule femme, ils trouvent qu’elle est insuffisante et qu’il faut trouver d’autres ailleurs, et comme il y a des filles dans leur lieu de travail, ils se disent l’enseignement n’a pas grand-chose à nous donner, du coup on peut se tailler un peu ces filles pour un complément », fait-il observer. « Le phénomène de violence sexuelle en milieu scolaire devient, de plus en plus, inquiétant. D’abord, c’est un problème de manque de formation au niveau des enseignants. L’enseignant est après tout un éducateur, un père de famille. Ce qui veut dire qu’il doit considérer son apprenant comme son enfant. Donc, on ne peut violer son propre enfant. Ces enseignants n’ont reçu aucune formation. Nous devons commencer à penser à la formation des enseignants. On doit leur enseigner la psychologie de l’enfant. Quand je suis avec un enfant, comment dois-je me comporter, comment puis-je comprendre un enfant ? Mais il n’y a rien de tout cela. La deuxième chose est le contrôle de soi-même. Un enseignant qui ne peut pas se contrôler, n’est pas un enseignant. C’est un vulgaire individu et pour ma part, on doit mettre fin à ce phénomène. On doit les punir avec la dernière rigueur », a laissé entendre Judicaël Alavo, directeur du Complexe scolaire Saint- Jacques-William. Pour Aristide Joseph Azanman, instituteur de la classe de CM2 à l’EPP Gbodjè Cococodji B, ce « phénomène va de mal en pire parce que aujourd’hui dans l’enseignement, on entend partout ces genres de phénomène. On ne peut empêcher l’envie, cela peut arriver mais si l’enseignant maîtrise la législation en milieu scolaire, il doit contrôler son envie en faisant recours à la législation scolaire et à la conscience professionnelle. Le maître est un modèle qui doit donner de bons exemples ».
Dérapages sexuels : Enseignants et personnel administratif évoquent les raisons du fléau
Outre le cas de viol, beaucoup de dérapages sexuels s’observent également dans le rang des enseignants qui courtisent, par abus, les apprenantes au point d’envisager ou de tenir avec elles des relations sexuelles. A en croire le surveillant général du CEG Dantokpa qui est confronté parfois à ces situations dans l’exercice de ses fonctions, les enseignants qui se livrent à ces pratiques avec les élèves ne sont pas forcément des adultes. Il s’explique : « Ce ne sont pas forcément des adultes ceux qui enseignent aujourd’hui. Il y a des gens qui ont le Baccalauréat à 16 ans. Avec 03 ans à l’université, ils n’ont que 19 ans et ayant une licence professionnelle orientée vers l’enseignement, ils viennent enseigner. Celui qui a 19 ans est adolescent, lui-même et il fait face à des filles de 16 ans ou 17 ans », a expliqué le surveillant qui ajoute que ces jeunes enseignants vont au sexe avec les petites filles juste parce que eux-mêmes, ne sont pas encore si adultes pour être si conscients. Si ces pratiques sont encore récurrentes dans le rang des encadreurs, le surveillant général estime que la faute est aussi imputable aux victimes, elles-mêmes. « Il y a des lois qui encadrent ces délires. La première loi dit que même si l’élève a 30 ans, tant qu’elle est élève, il ne faut pas l’enceinter. La deuxième dit avant 18ans, on ne peut pas tenir de rapport sexuel avec elle, même si c’est elle-même qui le demande », a clarifié le surveillant avant de mettre l’accent sur ce qui s’observe de nos jours. « A part les rares cas où la fille tombe carrément enceinte et que les parents ne sont pas d’accord, les gens cachent la chose. Quand les parents viennent et qu’on leur suggère de poursuivre le garçon, parce que la fille n’a pas encore 18 ans et elle est encore élève, les parents disent non, qu’il y a déjà un enfant qui va naître bientôt de cette relation. L’autre argument qu’ils brandissent, c’est qu’ils ne peuvent pas garder leur fille avec la grossesse si on enferme l’enseignant qui l’a engrossé. Du coup, ils refusent carrément de dénoncer les auteurs de ces actes, encourageant ainsi le phénomène », renseigne Laurent Aurélien Agossou. A Hêvié, dans le quartier Akossavié où se trouve le Complexe scolaire ‘‘Les Flambeaux des 3S’’, la situation des enseignants prédateurs sexuels fait délier les langues. « L’enseignant qui pose cet acte le fait certainement pour avoir de l’autorité sur l’apprenante, histoire de satisfaire son désir charnel. On ne peut pas dire que les enseignants qui commettent ces actes, ne sont pas au courant des textes en vigueur », a laissé entendre à Educ’Action, Ezéchiel Hounon, instituteur en charge de la classe de CE1, pour situer sur l’une des causes et la non-ignorance des textes en vigueur qui interdisent cet acte. Le directeur du secondaire, Franck Tossou, trouve la raison ailleurs. Pour lui, quand l’enseignant n’est pas psychologiquement préparé pour faire le métier, il peut s’adonner à ce mauvais comportement. « Si l’enseignant est très jeune ou n’a pas des charges ou une femme, cela peut l’amener à se laisser aller à ces actes. Si l’enseignant s’adonne à ces actes, c’est donc un problème d’éducation », a-t-il ajouté pour renchérir. Aussi soutient-il qu’un travail psychologique doit se faire au niveau de l’enseignant pour éviter ces comportements qui polluent le système éducatif. Par contre, son collègue du primaire Ezéchiel Hounon ne s’inscrit pas dans cette logique. « Il faut lutter contre le silence et l’impunité tout en appliquant les lois en vigueur. Il faut punir ces enseignants », encourage-t-il avant d’inviter les enseignants prédateurs sexuels à changer de comportements.
Déviances sexuelles : Les causes de la gangrène
L’abus sexuel des apprenantes : Comment comprendre un tel acte ? Quels peuvent être les facteurs ayant contribué à un tel agissement ? Daniel Dabli, enseignant de philosophie au Complexe Saint Jacques-William, évoque les raisons qui, selon lui, pourraient occasionner cette pratique. « Je pense que parlant de causes, il faut explorer plusieurs pistes. Peut-être que psychologiquement, ces enseignants sont dérangés et quand on prend le contexte social, peut-être qu’ils sont issus d’un milieu où ils ont vu les parents le faire, les personnes le faire et une fois qu’ils ont pris cela comme une habitude normale, ils ont grandi avec et quand bien même ils sont devenus éducateurs, cela n’a pas effacé cette image qu’ils ont. On peut donc parler de cause psychologique ou bien liée à leur éducation. Il faut aussi comprendre que tout ce que nous offrent les médias, peuvent pousser aussi certaines personnes d’esprit faible à s’adonner à toute sorte de pratiques sexuelles sans occulter le fait que ce soit des enfants », explique-t-il. Pour sa part, Aristide Joseph Azanman va évoquer un autre facteur qui a toute sa logique. « Dans les pays développés, on entend parler de pédophilie et au Bénin également. On peut classer ces individus dans la catégorie de ceux qui prennent les petites filles pour des femmes et c’est un mal. Pour réprimer cela, il faut punir sévèrement les auteurs de ces actes afin de servir d’exemple aux autres qui voudront s’y aventurer », conseille-t-il. Outre ces facteurs déjà mentionnés, Modeste Onidjè, directeur de l’EPP Gbodjè Cococodji B et président de la coordination syndicale des enseignants de la circonscription scolaire d’Abomey-Calavi 2, dira que « la méconnaissance des textes par les enseignants et les sanctions qu’ils encourent peuvent être à la base », avant de préciser qu’il y a aussi l’inconscience totale à leur niveau.
La sensibilisation et les sanctions : Des moyens de lutte proposés pour endiguer le fléau
Quelles approches possibles en vue de bannir ce phénomène du système éducatif béninois ? Daniel Dabli interpelle l’Etat : « Le rôle que l’Etat peut jouer et qu’on n’observe pas toujours chez nous au Bénin et en Afrique en général, c’est de ne pas disposer de psychologues dans les établissements scolaires. Cela pourrait amener les gens à être bien suivis, et déjà voir dans le rang des enseignants ceux qui ne répondent pas correctement aux dispositions déontologiques et aussi par rapport à leur moralité. Le gouvernement peut essayer, quand même, de constater cela et s’il faut aider cette personne ou carrément l’enlever du milieu de l’enseignement pour éviter que cet individu ait des comportements qui seront dramatiques ». Des propos que viendra renchérir Judicaël Alavo en engageant la responsabilité des autorités des établissements scolaires qui, selon lui, se doivent de suivre de très près leurs enseignants, mais aussi «doivent faire intervenir dans le contrat des enseignants, et dans le règlement intérieur de l’école que si ces actes se posaient, cela devrait être puni avec la dernière rigueur ». Face à ce phénomène qui ternit l’image de l’école béninoise, l’administration scolaire invite, dans un premier temps, à la sensibilisation et dans un second temps à la sanction. « Il faut plus de sensibilisations que ce qui se fait actuellement. Nous ne faisons pas les sensibilisations comme il le faut. Des débats télévisés devraient en parler. On peut convoquer le corps enseignant au début d’année autour d’une journée de réflexions. Une journée de réflexions sur le sujet, par exemple, et les gens vont savoir les risques qu’ils encourent en s’adonnant à de pareille pratique », propose le surveillant général du CEG Dantokpa qui ajoute en même temps qu’après la phase de sensibilisation, il faut commencer à sévir. « Lorsqu’on va commencer à donner des exemples aux autres, les choses vont rentrer dans l’ordre petitement. Il faut vraiment sévir de façon dure tout simplement », préconise-t-il. Pour finir, Modeste Onidjè va proposer également des séances de sensibilisations, l’organisation de conférences-débats autour du thème à l’endroit des enseignants pour plus les renseigner sur la dangerosité d’un tel acte.
Impressions du personnel administratif scolaire sur le fléau
Norbert Loko, censeur adjoint au CEG Fiyégnon
« Ceux qui n’arrivent pas à contrôler leur libido trouvent des occasions pour leur satisfaction »
«C’est parce que la majorité des enseignants sont des jeunes et que d’autres sont sortis fraîchement de l’université. Avec le système de vacation, plusieurs jeunes viennent des universités pour accroître le nombre des enseignants et ceux-ci ne ratent pas ces occasions. Ce sont des gens très viriles qui sont souvent des célibataires de 25 ans et il leur est facile de s’attacher à ses élèves que de chercher une femme en ville. Parfois même, c’est avec une élève d’un autre collège qu’ils entretiennent des relations sexuelles pour éviter de se créer des problèmes là où ils interviennent. Donc, c’est souvent de la facilité pour eux de coucher avec les jeunes élèves. Souvent, quand on voit les comportements de certaines élèves-filles en classe, il est souvent difficile de se contenir parce que l’enseignant même est un homme qui a aussi des sensations. Ceux qui n’arrivent pas à contrôler leur libido trouvent des occasions pour leur satisfaction. Il y a d’autres filles qui sont en quête de points et les provoquent et comme celui-ci est aussi en quête de la facilité, il se livre dans la relation. Mais le phénomène est beaucoup en recule parce que sur les quatre dernières années, les cas de grossesses enregistrées dans le collège, en moyenne dix grossesses par an, sont seulement entre les élèves eux-mêmes, entre les étudiants et entre les gens du quartier et les élèves. »
Christian Kinsou, professeur d’anglais
« Le manque de contrôle de soi peut être à la base de cette situation »
«Le dérapage sexuel dans le rang des enseignants passe par les provocations des jeunes filles qui utilisent tous les moyens possibles pour atteindre leur but. Soit, la fille est dans un besoin d’argent, de notes ou tombe parfois amoureuse d’un professeur par exemple. Le manque de contrôle de soi peut être à la base de cette situation chez les enseignants. Puisque nous sommes devant des apprenantes, c’est à nous de nous maitriser pour éviter de tomber dans leurs pièges bien que certaines filles ouvrent les boutons en pleine séance de cours pour nous provoquer. Il faut être très fort pour échapper. »
Patrice Codjo Mèha, surveillant général adjoint du CEG Fiyégnon
« Une fille qui n’est pas d’accord pour les avances d’un enseignant doit pouvoir le dénoncer »
«Lorsque les parents découvrent leur fille avec un enseignant en ville ou quand ils fouillent le téléphone de la fille et qu’ils constatent que la personne avec qui la fille discute est un enseignant, c’est en ce moment que nous sommes informés que tel professeur est en relation amoureuse avec telle fille. Sinon, nous n’avions aucun élément pour détecter ces relations. Tout dépend aussi des élèves. Une fille qui n’est pas d’accord pour les avances d’un enseignant doit pouvoir le dénoncer. La façon la plus simple, c’est qu’elle pose le problème à l’administration qui se charge de faire les enquêtes nécessaires pour dissuader cet enseignant qui devra se ranger. Vous savez, la conscience professionnelle est la chose la mieux partagée. A chaque conseil, on sensibilise les enseignants pour qu’ils ne tombent pas dans de pareils cas. Mais malheureusement, on ne peut pas être des gendarmes derrière chaque enseignant pour le surveiller depuis sa maison jusqu’à l’école. A l’avènement du régime actuel, le gouvernement à commencer à sévir. Si le phénomène pourrait s’arrêter c’est bon, mais dans le cas contraire, on devrait appeler à la conscience professionnelle et que les parents d’élèves aussi prennent leur responsabilité. »
Jacob Dégboto, délégué du CEG Fiyégnon
« Un phénomène déplorable qui détruit la jeunesse dans les lieux de savoir »
«Le dérapage sexuel n’est pas une bonne chose dans un milieu éducatif. Néanmoins, il se manifeste dans ce collège et est très remarquable au niveau des filles. C’est une situation qui agit sur les études et occasionne souvent des grossesses, des maladies et plusieurs autres choses. Plusieurs filles décident de ne plus apprendre les cours avant de passer en classe supérieure parce qu’elles ont leur sexe qu’elles livrent aux enseignants. Cela a non seulement des conséquences immédiates, mais des conséquences dans le futur. Certaines élèves-filles reprennent plusieurs fois les classes d’examen ou elles finissent parfois par abandonner. C’est un phénomène déplorable qui détruit la jeunesse dans les lieux de savoir. Ce sont les filles qui sont d’abord les réelles causes parce qu’elles portent souvent des kaki cintrés qui laissent voir la forme des fesses, des seins et certaines vont jusqu’à ouvrir les fermetures ou les boutons de ces mauvaises tenues. Avec ces comportements, elles provoquent non seulement les élèves, mais également les enseignants parmi lesquels ceux qui sont inconscients se livrent dans des relations sexuelles avec elles. Pour d’autres encadreurs responsables, ils chassent souvent ces filles mal éduquées. »
Réalisé par la Rédaction de Educ’Action