Le samedi 1er août 2020, le Bénin célèbre ses noces de diamant. Un long parcours de progrès, mais également de stagnation dans la vie de notre nation, toujours en quête de prospérité. Pour cette occasion, les autorités gouvernementales annoncent une cérémonie teintée d’une sobriété inhabituelle à cause de la Covid-19. Mais loin de cet épisode pandémique qui affole chercheurs et médecins, le devoir de mémoire nous impose de revisiter la marche chancelante du Bénin en matière de gouvernance de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique en 60 ans d’indépendance. Educ’Action, média spécialisé en éducation, se livre à l’exercice à travers cette interview exclusive du professeur Michel Boko. Enseignant-chercheur en Géographie, Climatologie et Environnement à la retraite, membre de l’Académie Nationale des Sciences, Arts et Lettres du Bénin (ANSALB) et Co-Prix Nobel de la paix 2007, le scientifique du Supérieur fait la radioscopie de ce sous secteur de l’Enseignement au Bénin. Lisez-plutôt !
Educ’Action : En 60 ans d’Indépendance et en 30 ans de Renouveau démocratique, comment se porte le sous-secteur de l’Enseignement supérieur au Bénin en lien avec les enjeux du développement ?
Prof Michel Boko : A mon avis, la problématique de l’Enseignement supérieur est souvent mal posée dans les pays africains. Il faut d’abord poser la question du pourquoi. Si c’est pour occuper les jeunes bacheliers pendant quatre (04) ou six (06) ans afin de diminuer la tension sur le marché de l’emploi, on dira oui, l’Enseignement supérieur joue son rôle de rétention des jeunes dans les amphithéâtres et les laboratoires, pour les configurer au format d’intellectuels néo colonisés. Mais si des objectifs plus nobles de développement étaient assignés à l’Enseignement supérieur, alors, nous dirons que l’Enseignement supérieur se porte très mal, car il ne parvient pas à atteindre les objectifs qui lui auraient été assignés dans les plans et programmes de développement. Alors, quels seraient les enjeux majeurs de développement assignés à l’Enseignement supérieur ? Il est rare d’entendre ou de lire dans les plans et programmes de développement des tâches précises assignées à l’Enseignement supérieur. A titre d’exemple, les prestations intellectuelles sont rarement attribuées aux nationaux au-dessus d’un certain montant. Même les fameux PTFs exigent souvent que les attributaires des marchés relèvent de leur souveraineté. J’ai connu un cas pour le projet de pêche lagunaire où c’était moi qui devais fournir les informations au consultant étranger. Dans les Comités d’Etude et de Lecture de Projet (CLEP), on a recourt volontiers aux experts nationaux, mais rarement pour faire le travail de base. J’ai compris après que, selon les pratiques des organismes internationaux, un expert dit international doit réaliser un nombre minimal de consultations par an. Pour l’aider à rester dans la course, on peut lui donner des consultations sur des sujets qu’il maîtrise vaguement. Bref, l’Enseignement supérieur est un ornement de souveraineté dans nos pays, rien de plus. Le travail qui lui revient est confié à d’autres, c’est le plus pur exemple de la néo colonisation scientifique. On lui laisse la tâche ingrate de confiner les jeunes générations dans les amphithéâtres et les laboratoires, dans l’espoir improbable d’un avenir meilleur.
Quelles doivent être les priorités pour l’Enseignement supérieur dans les prochaines années pour changer la donne ?
Ce n’est certainement pas à l’Enseignement supérieur, en tant que corps social, de se fixer des priorités. C’est aux décideurs de l’intégrer dans leurs plans et programmes de développement, comme partenaire incontournable, comme acteur principal du développement, loin devant les financiers. On ne devrait financer que des projets construits sur des bases scientifiques très solides, si l’on veut éviter de perpétuer le sous-développement comme nous le faisons depuis plusieurs générations. Ce n’est pas aux longueurs de voies bitumées ou aux tonnages de produits agricoles exportés que l’on mesure le développement, mais au bien-être des citoyens. Cela me rappelle l’histoire d’un expert de l’IUCN qui s’était énervé tout rouge au cours d’un CLEP quand je lui ai demandé de me dire les quantités de CO2 produites par le Bénin. Il était logé, véhiculé et payé à plus d’un million de francs CFA par jour, pour nous apprendre à planter des arbres afin de séquestrer les gaz à effet de serre. Personne ne peut dire aujourd’hui ce que sont devenues ces plantations, mais le Bénin doit payer. Où est le bien-être du paysan béninois dans tout cela ? Les consultations pour la mise en œuvre de la GIRE ont coûté des centaines de millions au Bénin, mais qui peut me dire aujourd’hui à quel niveau se trouve sa mise en œuvre ? Dans un programme de développement, on doit dire clairement là où on veut en venir et assigner à l’Enseignement supérieur des objectifs précis pour y parvenir. Il faut le responsabiliser sur les objectifs précis et non l’accuser a posteriori de ne rien faire pour participer au processus de développement national.
La recherche scientifique semble ne pas sortir la tête de l’eau, quel est l’état des lieux sur la question ?
Dans les pays dits développés (cette notion est d’ailleurs discutable au regard du tableau des objectifs sociocommunautaires atteints), tous les laboratoires et toutes les équipes de recherche dans les universités sont liés à l’organisme central de recherche, sous forme de groupes de recherche ou d’unités de recherche associés. Cela signifie que les équipes et les laboratoires travaillent sur les programmes de recherche définis par cet organisme central ; ainsi, les résultats des travaux et recherches sont validés et mis en œuvre. Il y a à la fois plus d’efficacité, moins de dispersion et une économie d’échelle. Il y a eu des tentatives, à la fin des années 90 et au début des années 2000, mais cela n’a pas prospéré à cause des luttes d’influence à caractère régionaliste et sectaire. Je me demande si aujourd’hui l’organisme central de la recherche scientifique a les ressources humaines pour participer efficacement au processus de développement. La recherche scientifique a aussi tout l’air d’un ornement de souveraineté. Son impact sur le développement du Bénin est à peine visible. Les quelques rares innovations ne sont pas de nature à changer la trajectoire du sous-développement dans lequel nous nous enfonçons depuis 60 ans.
Comment donner la place à la recherche scientifique pour en faire un véritable instrument de développement, les années à venir ?
Lorsque le décideur propose un plan ou un programme de développement, il doit identifier avec précision les ressources scientifiques nécessaires au succès des actions projetées : comment et par qui les acquérir et avec quels moyens (humains, matériels et financiers) au lieu de chercher à éblouir le peuple avec des chiffres, avec des longueurs interminables de zéros, qui seront transférés hors du pays par les fameux experts-consultants internationaux. Cela n’émeut plus personne, sauf ceux qui veulent s’enrichir sur le dos du peuple. A mi-parcours, on fera le point et les chercheurs diront s’ils ont gagné ou s’ils ont échoué dans la lutte pour le développement et, le cas échéant, les raisons du succès ou de l’échec. Dans cette lutte, il y aura des bas et des hauts. C’est la persévérance qui permet de garantir la victoire finale. Cela signifie que la recherche ne peut être le parent pauvre dans les programmes d’investissements publics. La recherche doit occuper le troisième poste après la santé et la défense nationale ; elle doit être intégrée aux programmes de l’Enseignement supérieur et orientée vers des objectifs de développement national. On dit aux Pays-Bas : « problem oriented, problem solving ». On a un objectif, la recherche doit permettre de l’atteindre.
Propos recueillis par Adjéi KPONON