Pr Serge-Armel Atténoukon, parlant de l’état des lieux des formations à distance au Bénin : « Pour le moment, nous sommes encore loin du compte, le défi reste quasi-intact » - Journal Educ'Action - Éducation au Bénin et dans le monde
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Pr Serge-Armel Atténoukon, parlant de l’état des lieux des formations à distance au Bénin : « Pour le moment, nous sommes encore loin du compte, le défi reste quasi-intact »

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Avec l’avènement de la pandémie du coronavirus, les universités publiques ont opté pour les formations à distance. Ainsi, le e-learning a été lancé, le lundi 11 mai 2020, dans la salle des Actes de l’UAC. Il consiste à non seulement assurer la pérennisation des cours, mais aussi à éviter le risque de la propagation de la Covid-19. Quel est en effet l’état des lieux des formations à distance dans nos universités publiques ? Quelles sont les conditions à réunir pour le déroulement et l’acquisition des connaissances en ligne ? Le Bénin dispose-t-il des infrastructures adéquates pour la réussite du e-learning ? Autant de questions soumises à l’avis scientifique et technique du Pr Serge-Armel Atténoukon, maître de conférences des universités CAMES en Sciences de l’Education et en Technologies de l’Information et de la Communication en Education en service à l’Université d’Abomey-Calavi. Lisez plutôt !

Educ’Action : Quel est aujourd’hui l’état des lieux des formations à distance au Bénin ?

Pr Serge-Armel Atténoukon : D’abord, la formation à distance (FAD) est encore appelée Formation Ouverte A Distance (FOAD). Cette dernière terminologie étant celle préférée par l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF). Elle consiste à former par les technologies de l’information et de la communication, notamment l’internet et l’ordinateur. Ceci, dans le but d’élargir l’offre d’enseignement-apprentissage-évaluation aux personnes, qui, pour diverses raisons, tiennent à se faire former. Cette formation est dite à distance puisqu’elle s’oppose au mode de formation en présentiel, se caractérisant par le synchronisme des interactions. De nos jours, la formation à distance trouve son illustration la plus emblématique à travers les MOOC (Massive Online Open Course). Pour en revenir à votre question, l’état des lieux de la formation à distance n’est pas des plus reluisants au Bénin. Hormis le Campus Numérique Francophone de Cotonou, le programme de formation à distance de l’Université d’Abomey-Calavi en partenariat avec l’Inde, le Projet CERCO et le Centre d’Education à Distance (CED), je crois qu’il n’existe pas, à proprement parler, une dynamique et une culture de la formation à distance au Bénin.

Pourquoi n’avons-nous pas au Bénin, une culture de la formation à distance ?

Nous sommes loin de disposer de tout l’écosystème ainsi que des compétences nécessaires. Notre psychologie collective semble encore calquée sur les diplômes obtenus de l’étranger grâce à la formation à distance. Notre regard sur ce genre de formation semble encore fortement dépréciatif avec des préjugés peu flatteurs.

Dans ce cas, a-t-on les équipements adéquats pour ce type de formation ?

A quelque chose malheur est bon ! Très sérieusement, je suis un peu perplexe. J’ai un sentiment partagé entre la peine de la présence de la covid-19 et la joie de constater qu’il a fallu cette triste situation pour que nous prenions conscience de l’importance des technologies ou du numérique pour l’éducation. Le savez-vous, nous avons affaire à une nouvelle génération d’apprenants qualifiés des natifs du digital, une génération d’enfants technicisés dès le berceau. Paradoxalement, le système scolaire est resté immuable et, ainsi, l’on prétend former des acteurs pour l’économie de demain avec des méthodes scolastiques classiques. Nous reconnaissons que nous sommes dans la société de l’information et du savoir, mais nous manquons d’audace et de courage quant à l’ancrage technopédagogique de notre système de formation. Comme le souligne à juste titre Loisier (2011), dans nos sociétés néolibérales d’aujourd’hui, l’objectif prioritaire de l’éducation est de former des citoyens compétents, susceptibles de contribuer au progrès économique de la société dans laquelle ils vivent. Il se fait que cette société est celle du digital et de la digitalisation. En formation à distance, outre le mode traditionnel d’enseignement-apprentissage par planification du processus d’apprentissage et de dispensation des connaissances, deux tendances se développent : d’une part, l’individualisation de la formation et, d’autre part, la collectivisation des apprentissages. Pour ce faire, un certain nombre d’outils sont mis à contribution. Ce qui donne ce que vous désignez ici par équipements. En la matière, il y a deux grands préalables indispensables que sont l’énergie électrique stable et disponible ainsi que l’internet haut débit à moindre coût pour les populations, sans possibilité de fracture numérique entre zones urbaines et zones rurales. En plus de ces deux importantes conditions, retenons qu’en littérature scientifique, on distingue trois axes de prestations de la formation à distance avec des outils spécifiques. Ces trois axes sont la formation à distance traditionnelle basée sur la télé-mémoire, la formation à distance en mode télé-présence et le téléapprentissage collaboratif ou télécollaboration. Comme vous pouvez vous en rendre compte, la formation à distance n’est, à la base, possible que si l’énergie électrique est au rendez-vous sans risque de délestage, si la connexion Internet de qualité est à la portée de toutes les bourses. Ainsi, avec l’intégration de la Technopédagogie dans les formations initiales au sein des ENIs et des ENS assortie de soutien technique en accompagnement dans les écoles et collèges, le système scolaire béninois peut tenir le pari de la formation à distance. Pour le moment, nous sommes encore loin du compte, le défi reste quasi-intact ! C’est donc le lieu de louer les efforts de nos différents Ministres en charge de l’éducation à travers l’enregistrement de cours dans le studio de la radio éducative d’Adjarra en vue de diffusion sur les ondes de l’ORTB. Il en est de même pour la décision de mise en ligne des cours dans les Universités nationales du Bénin. Semble-t-il, l’Université privée HECM est déjà en mode cours à distance aussi. Ce sont des décisions encourageantes.

Quel impact cela aura sur notre système éducatif et le pays ?

Les technologies ne font pas de miracles. Elles ne constituent pas non plus une panacée en éducation. Donc, leur intégration en éducation sous la forme de cours à distance ou E-learning n’induit pas forcément une amélioration substantielle des rendements scolaires. Cela a été d’ailleurs attesté par plusieurs études. Toutefois, ces outils ont le potentiel, par ces temps exceptionnels que traverse le monde entier, de favoriser la continuité pédagogique et la continuité de l’apprentissage. Ce qui n’est pas insignifiant pour contrer le risque de déperdition scolaire, d’ennui et de dégoût pour l’école chez nos jeunes. Il est une certitude que les technologies ont leur place en éducation, surtout dans un contexte où la demande en formation explose à un rythme soutenu, alors que les infrastructures sont insuffisantes tant quantitativement que qualitativement, de même que le personnel d’encadrement. Par ailleurs, elles viennent en soutien aussi bien aux administrateurs, aux enseignants qu’aux apprenants tout en facilitant les collaborations avec le milieu et les partenaires de l’école. Grâce aux TICs, les apprenants peuvent acquérir facilement des compétences sur les plans technique et informationnel. De même, les Technologies sont réputées pour doper la motivation des apprenants et, par ricochet, leur autonomie, leur persévérance en apprentissage. On leur prête également la vertu d’aiguiser l’esprit critique, la curiosité et le sens de responsabilité chez les apprenants. A les utiliser à bon escient, les technologies en général, et la formation à distance en particulier, seront sans doute un adjuvant de plus-values pour le système éducatif et le Bénin dans son ambition légitime de promouvoir l’économie numérique.

Que dire pour conclure l’entretien ?

Maintenant que le Bénin a perçu l’importance et l’utilité des technologies numériques pour la continuité pédagogique et l’apprentissage, il reste à souhaiter que des efforts en termes d’investissement dans les infrastructures adéquates et pour la formation des enseignants à l’intégration pédagogique des TICs soient inscrits en lettres capitales au niveau des agendas des décideurs de la gouvernance du système scolaire. Ce serait regrettable que cette ardeur pour la formation à distance et les TICs en éducation s’émousse avec la disparition de la Covid-19 que nous appelons de tous nos vœux.

Propos recueillis par Enock GUIDJIME

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