Plus de quatre (4) mois de congés dus au Coronavirus. C’est la situation exceptionnelle dans laquelle se retrouvent les apprenants du CI au CM1. De quoi susciter des inquiétudes en matière de perte des notions apprises par ces derniers durant les six mois passés à l’école. Cette situation focalise l’attention des parents qui peinent à trouver la thérapie qui lutte efficacement contre le désapprentissage lors de cette trêve académique. Comment amener les enfants à ne pas oublier les notions apprises durant ces congés forcés ? A ces préoccupations responsables et légitimes, les spécialistes et autres acteurs éducatifs apportent des réponses.
Il sonnait 10 heures 30 minutes, ce mercredi 20 mai 2020. Dylan et Tiffany sont deux frères. L’un en classe de CP et l’autre en classe de CE2 dans une école privée. Alors que Dylan dormait à poing fermé après avoir pris son petit-déjeuner, Tiffany faisait des allers-retours, tantôt dans la boutique de sa maman, tantôt dans le salon de ses parents pour essayer de s’occuper. Dépassée par sa situation, elle s’exprime enfin. « Freddy est à l’école mais pourquoi pas nous ? », s’interrogea-t-elle. Tout comme ceux inscrits du CI au CM1, ces enfants sont habitués à rester dans les liens de l’école. Mais depuis l’arrivée du Coronavirus, les activités pédagogiques ont été fortement perturbées, les contraignant à des congés à la fois précoces et forcés. A l’instar de tous les pays concernés par cette actualité, le Bénin s’est vu obliger de fermer les salles de classes pendant plus d’un mois pour éviter à l’école, une probable contamination. Mais deux semaines déjà que les écoles ont rouvert leurs portes pour accueillir à nouveau, les apprenants du CM2 et ceux des collèges, lycées et universités, conformément aux dispositions et mesures prises par le gouvernement. Par contre, les écoliers du CI au CM1 sont appelés à renouer avec les salles de classes, le 10 août prochain et ceux de la maternelle sont mis en vacances précoces. Autres acteurs concernés par cette actualité, les parents d’élèves, qui, à leur tour, donnent de la voix.
De la plainte des parents d’élèves …
« On ne peut qu’apprécier cette décision de l’Etat en bien. La santé des enfants passe avant tout », s’est exprimé Armand, parent d’élèves des classes de CI et de CE1 avant d’apprécier la décision gouvernementale. « On aurait mieux fait de mettre les enfants en vacances, ce qui n’est pas le cas. En principe, en août, en temps normal, nous, parents d’élèves, pensons déjà à comment préparer l’année à venir. Mais aujourd’hui, c’est maintenant que nous allons penser à solder la scolarité de l’année en cours d’achèvement et en même temps à préparer la rentrée qui reprend en septembre », a-t-il commenté. Les commentaires varient d’un parent d’élève à un autre. D’autres parents d’élèves rencontrés, se soucient par contre du maintien à niveau de leurs enfants. « Avec le calcul bien fait, nos enfants ont déjà passé un peu plus de 4 mois à la maison, ce qui dépasse le temps de vacances habituel. Seront-ils en mesure de se souvenir des notions apprises en début d’année scolaire ? Les enseignants ne vont-ils pas bacler les enseignements dans ces conditions ? N’y aura-t-il pas des lacunes l’année prochaine ? », se questionnent d’autres parents d’élèves. Face à ces préoccupations, Educ’Action a donné la parole à d’autres spécialistes du secteur de l’éducation qui n’ont pas manqué de les analyser.
De l’appréciation des spécialistes sur la décision du maintien des apprenants de CI au CM1 à la maison…
La décision prise par le gouvernement n’est pas à juger de bonne ou de mauvaise, de l’avis des praticiennes rencontrées à ce propos. « Il est difficile de répondre par oui ou non, car, comment choisir entre la santé, voire la vie et l’école, l’instruction? », a fait savoir Dr Clarisse Napporn, enseignante des sciences de l’éducation, pour qui, la bonne santé et la vie sont primordiales pour profiter pleinement de l’école. « L’école ne devrait pas représenter un danger ou des risques pour les apprenants et puis, c’est une situation imprévue, inédite, contraignante, qui a plongé un peu tout le monde dans une atmosphère d’incertitude. C’est une situation qui amène à repenser les choix dans plusieurs domaines de la vie (santé, éducation, autres). On n’a pas encore le recul nécessaire pour apprécier de façon claire, nette et tranchée la situation. La crise sanitaire se poursuit », a-t-elle expliqué. Dr Débora Hounkpè, psychopédagogue et enseignante des lycées et collèges, n’entend pas non plus porter un jugement car, laisse-t-elle entendre, « pour des raisons de forces majeures comme cette situation sanitaire mondiale préoccupante, aucune mesure n’est à juger ou à critiquer ». Néanmoins, elle tente une réponse. « Que peut un gouvernement contre un microbe terrible ? Le gouvernement n’a pas le droit d’exposer la vie du peuple. Il ne peut que réfléchir et exprimer ses forces et ses faiblesses, étant donné que sa décision peut ne pas être la bonne. Mais qui sait la bonne réponse par ces mois qu’on traverse ? Si nous leur accordons le bénéfice du doute, admettons que c’est une décision sage », a laissé entendre la psychopédagogue. Le maintien des apprenants du CI au CM1 à la maison pendant cette longue durée, pourrait bien avoir des incidents sur les apprenants, à en croire ces deux enseignantes de la même spécialité qui invitent chaque maillon de la chaîne éducative à pleinement jouer leur partition.
Parents d’élèves et autorités locales appelés à faire face à leurs responsabilités …
Tout comme Dylan et Tiffany, nombreux sont ces apprenants du CI au CM1 qui n’ont d’autres occupations que le sommeil et la distraction depuis que cette maladie sévit et que la décision de la suspension des cours a été prise. Ce qui suscite moult interrogations de la part de leurs parents. Cette longue durée de vacances prolongées, pourrait avoir des incidents sur le rendement des apprenants, à en croire les psychopédagogues interviewées. « Déjà, à chaque fois que les enfants vont en congés, ils archivent un peu ce qu’ils ont acquis », a introduit Dr Clarisse Napporn. Tout en mettant les parents d’élèves devant leurs responsabilités, elle leur suggère de remettre la machine en marche, de faire une remise à niveau pour que les mécanismes redémarrent. Selon elle, il serait nécessaire de ne pas laisser les enfants dans un désœuvrement total. Il faut les occuper par des activités dans la perspective de la suite de la scolarité. A ce propos, plusieurs formules peuvent être proposées, de l’avis de la spécialiste, en faisant le bilan de ce qui a été déjà fait, en prenant la mesure de ce qui reste à faire, en s’adressant aux enseignants, aux conseillers, aux responsables de régions pédagogiques, aux parents, les premiers concernés. Remettre la machine en marche pour Dr Débora Hounkpè, revient à ce que les parents d’élèves et les autorités locales à divers niveaux à savoir les maires, Chefs d’arrondissements, chefs de villages, APE, AME, etc., ainsi que les intellectuels et ressortissants des zones les plus nanties aux plus défavorisées, puissent encourager (dans le strict respect des mesures de sécurité en alternant les groupes rigoureusement), l’encadrement des enfants afin que ceux d’entre eux qui évoluent dans des milieux, où les parents sont analphabètes, ne décrochent pas. Pour ce faire, elle encourage fortement le tutorat et le répétitorat des matières de base chaque jour. « C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Si le cerveau n’est pas rodé régulièrement, il perd tout le processus cognitif. Le rôle des aînés devient primordial pour encourager les petits à rester dans l’action cognitive, ce qui est presque impossible pour les enfants. Les parents, même illettrés devraient les encourager à ne pas passer une journée sans lire, écrire et calculer. Lire et compter à haute voix, faire des copies », a conseillé la technicienne. La construction des bibliothèques locales, la création des lieux pour les activités ludiques et éducatives s’avèrent nécessaires en cette période de crise sanitaire, a-t-elle également suggéré.
Estelle DJIGRI