Possibilité de cumuler études et formation artisanale : Le parcours admirable du jeune Hodé pour stimuler les jeunes apprenants - Journal Educ'Action
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Possibilité de cumuler études et formation artisanale : Le parcours admirable du jeune Hodé pour stimuler les jeunes apprenants

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Cumuler études et métier artisanal dans le but d’avoir une autonomie financière plus tôt que prévu, semble impossible pour beaucoup d’apprenants. Pourtant, des devanciers ont donné l’exemple en associant plus d’un métier à la fois. Voici l’histoire de l’un de ces devanciers

«Non, c’est impossible. À quel moment pourrai-je étudier et apprendre aussi un métier artisanal dans un atelier ? Je ne me vois pas faire cela. Je préfère me consacrer aux études. » Cette portion de phrase est l’essentiel de la réponse donnée par quelques jeunes élèves abordés dans différentes circonstances sur la possibilité de cumuler l’apprentissage d’un métier artisanal aux études scolaires. Ceci, dans le but de se faire une place et être à l’abri du chômage au cas où un emploi ne s’offrirait pas à eux à la fin des études scolaires et universitaires. Hélas ! La réaction est la même d’un jeune apprenant à un autre : « C’est impossible ! ». Le propos revient presque toujours chez ces jeunes accompagné d’un sourire qui laisse voir un brin de honte. Elodie D., candidate heureuse au BEPC 2021-2022, va oser alors dire tout haut ce que ses camarades pensent tout bas. « Sincèrement, je ne pourrai pas le faire. Mes camarades vont se moquer de moi, s’ils me trouvent dans un atelier de couture ou de coiffure par exemple. », a-t-elle confessé.
Ces jeunes apprenants ont presque réussi à nous faire croire que cumuler études et apprentissage d’un métier est chose impossible jusqu’à ce qu’on fasse la découverte de celui-là qui, par son expérience de vie, dira que « rien n’est impossible à celui qui le veut. »

Joachim Hodé, deux compétences dans un même corps

Nous sommes dans une pharmacie logée dans l’un des quartiers de la commune d’Abomey-Calavi, département de l’Atlantique, le vendredi 05 août 2022. Le décor est bien attrayant dans cette pharmacie aux couleurs blanche et verte. Dans cette pharmacie bien fournie en produits pharmaceutiques et autres, le personnel semble nombreux. Fondus dans le décor de cette pharmacie par leur accoutrement fait aussi de blanc vert, ces hommes et femmes, pharmaciens et pharmaciennes se tuent à la tâche pour servir les clients venus s’approvisionner. La raison de la descente de l’équipe du journal Educ’Action dans cette pharmacie est loin d’être un approvisionnement en médicament. Le journal spécialisé s’offre ainsi l’opportunité d’aller à la rencontre de Joachim Hodé.
Âgé aujourd’hui de 29 ans et natif de Zê, Joachim Hodé a obtenu son doctorat en pharmacie en 2017, à la Faculté des Sciences de la Santé (FSS). Il n’était pas prédestiné à suivre un parcours scolaire comme les jeunes de son âge, étant né de parents qui n’avaient jamais mis pied à l’école. Mais dès que l’occasion lui a été donnée par le truchement d’un autre enfant de son âge, d’aller s’instruire dans un lieu de savoir, l’accès aux salles de classes de l’école qui l’a accueilli en 1998 fût conditionné par l’apprentissage obligatoire du métier de menuiserie. Cette obligation lui est faite par Benjamin Hodé, le jeune frère de son père qui l’a ramené de son village Zê, dans le but de faire de lui, un homme accompli dans le domaine de la menuiserie. « Mon oncle m’a emmené du village en 1998 pour que j’apprenne le métier du bois tout comme lui. Mais par un heureux hasard, je me suis retrouvé à l’école. Alors, la condition était que, si je dois aller à l’école, je dois exceller et être parmi les deux premiers et en même temps travailler le bois à l’atelier de mon oncle », se rappelle-t-il. C’est ainsi que l’apprentissage de Joachim à l’atelier de son oncle a duré autant que son parcours scolaire et universitaire, car, dira-t-il, « Le jour où j’ai commencé les cours primaires, c’est ce même jour que j’ai commencé la menuiserie. »
C’est avec fierté que Joachim Hodé exerce à la fois son métier en sa qualité de Docteur en pharmacie avec un bac+6 et son métier d’ébénisterie, en tant que directeur de l’atelier Fènou services HT. À l’en croire, plusieurs sacrifices consentis, lui ont permis de relever ce défi que constitue sa réussite dans les deux domaines de métier.

Détermination, sacrifice et volonté, les maîtres-mots de Joachim

Vêtu de son blouson blanc, Joachim Hodé, passionné des plantes médicinales, avoue que beaucoup de sacrifices lui ont permis d’exceller aussi bien à l’école que dans la menuiserie. À ce propos, le jeune homme de taille moyenne renseigne sur l’agenda qui était le sien pendant cette période. « Du cours primaire au secondaire et jusqu’en troisième année d’université, mon emploi du temps était standard. », raconte-t-il avant de détailler son contenu. « Je dois aller à l’école comme tout bon enfant de 8 heures à 12 heures. De 13 heures à 14h 30min voire 40min, j’étais censé travailler le bois aux côtés de mon oncle à l’atelier. Le soir après les cours à 17 heures, je suis à l’atelier déjà à 17h 30min et y reste jusqu’à 19 heures ou 20 heures. Toute l’après-midi des mercredis et les samedis, je suis encore à l’atelier. Mes vacances et congés se passent à l’atelier auprès de mon oncle. », expose-t-il précisant au passage avoir évolué ainsi depuis ses premiers jours à l’école jusqu’en 3e année d’université. Son oncle Benjamin Hodé par qui tout a commencé le confirmera d’ailleurs. Rencontré dans une scierie à Cotonou, il atteste les propos de son neveu. « Quand il quittait l’école à midi, il venait chez moi à l’atelier et s’initiait peu à peu au bois. À 15 heures, il retournait à l’école. Toutes les fois où il n’allait pas à l’école, il était à l’atelier. C’est ce faisant qu’il est devenu un vrai menuisier. » Autrement, Joachim n’avait aucune peine à sacrifier ses moments de repos au profit de l’apprentissage en atelier. D’ailleurs, il n’avait d’autre choix que de procéder ainsi, si son ambition est de faire long feu dans le monde scolaire.
Sa volonté à faire la joie de ses parents, n’a fait qu’attiser la flamme de l’excellence en lui. Sa détermination à réaliser son rêve d’être parmi les premiers enfants instruits de sa famille l’a poussé à trouver, à travers la menuiserie, une indépendance financière qui lui aura permis de se payer lui-même ses fournitures scolaires depuis la classe de CE2. « Etant donné que je travaillais déjà le bois depuis la classe de CI, arrivé au CE2, j’ai décidé de m’occuper personnellement de mes fournitures scolaires pour alléger la tâche à mon oncle. Et c’est ce que j’ai fait de CE2 jusqu’à finir l’université. », confie-t-il. Cet engagement à savoir se payer ses fournitures scolairesest pris dès que le jeune Joachim a commencé ses premières réalisations qui ne sont rien d’autres que des tabourets de cuisine. Il avait évidemment sa stratégie de se faire de l’argent avec cette vente. « Quand j’ai commencé l’école, mon petit déjeuner était à 50f les matins. Alors, je mangeais 25f et les 25f restants, je les mets dans ma caisse. Lorsque je fais ça sur 4 jours, j’ai 100F. Cela me permettait de prendre à la scierie, la façade des tabourets de cuisine qui est à 100f. Je venais réaliser mon tabouret avec d’autres petits bois que je revendais à 500f. Du coup, je multipliais les achats, je réalisais des tabourets. Cela me permet d’avoir toujours de l’argent pendant les vacances pour préparer ma rentrée scolaire puisque désormais, j’ai pris la responsabilité de m’acheter mes fournitures scolaires. », partage-t-il comme expérience.

Pharmacie et Ebénisterie, deux mondes parallèles mais complémentaires pour l’épanouissement de Joachim

Il est tout aussi à son aise dans un blouson blanc à la pharmacie que dans une simple tenue à l’atelier. Entre une scie, un rabot, une tenaille, un marteau, une équerre et que sais-je encore, le jeune Hodé se débrouille suffisamment bien. C’est avec la joie au cœur et un certain enthousiasme qu’il taillait du bois quand Educ’Action lui a rendu visite dans une scierie de la place. Dans sa tenue rouge, en pleine action, matériel de travail en main, il décrit la satisfaction qu’il ressent à chaque fois qu’il s’adonne à la menuiserie. « La menuiserie est devenue une passion pour moi. C’est ma façon à moi de me distraire. Quand je suis à l’atelier, je me distrais mais quand je suis dans le secteur pharmaceutique, je travaille. », nuance-t-il. Ce dernier n’envisage pas de laisser un jour la menuiserie, car, pour lui, « Laisser la menuiserie revient à laisser ma passion, ma distraction. Je peux rester à l’atelier à travailler le bois de 8 heures à 0 heure sans jamais sentir le poids du travail. » Ainsi, dès qu’il finitses heures de travail à la pharmacie, Joachim ne manque aucune occasion de se distraire à travers la menuiserie. Simple obligation au départ, le travail du bois devient alors pour le jeune Hodé, le moyen idéal de découvrir l’autre passion enfouie.

Qualité et finesse, les caractéristiques phares des œuvres de menuiserie

Sans être des experts dans un domaine précis, il nous arrive quand même de savoir distinguer le beau du moins beau. Belles sont les nombreuses œuvres de l’ébéniste rencontré. Le choix des couleurs, la qualité des divers meubles sont autant de choses qui attestent la passion et l’amour avec lesquels ils ont été réalisés. L’oncle Benjamin confirme ces observations. Il saisit l’occasion pour lui décerner un satisfécit. Avec un sourire au coin des lèvres, il reconnaît l’excellence dont fait preuve Joachim sur ses réalisations. « Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il est plus excellent que moi dans la menuiserie et ça me fait plaisir parce que je me dis qu’il n’a pas ignoré mes conseils. » Fier de son poulain, Benjamin Hodé estime être confiant, car, témoigne-t-il, « J’ai formé un enfant qui a connu de l’évolution et à qui je peux confier n’importe quels travaux. » Des témoignages, nous en avons également eus dans le rang de ses clients. Mireille Assah Dovi témoigne toute sa satisfaction à propos des meubles réalisés par son collègue de travail Joachim Hodé. « Je lui ai confié la confection d’un lit trois places parce que ce que nous avions ne nous arrangeait plus. Je puis vous assurer que la qualité observée dépasse largement mes attentes. C’est bien posé, bien joli et apprécié de mon feu époux », rassure-t-elle. Questionné sur la qualité de ses propres œuvres, Joachim répond : « Je ne vais pas me vanter mais je vous donnerai l’opportunité de découvrir par vous-mêmes, la différence avec ce qu’on voit au bord des voies. », martèle-t-il avant d’insinuer que « Ceux qui ont été à l’école et qui embrassent le secteur artisanal, sont généralement des gens qui apportent un plus à ce qu’ils font. Ils cherchent toujours à ajouter une touche particulière à leurs œuvres. »
La qualité et la finesse ont sans doute un prix. À la question de savoir si ses œuvres ne coûtent pas la peau des fesses, c’est par une autre question que le jeune Docteur-ébéniste nous donne sa réponse. « Est-ce aux mêmes prix que vous prenez un produit dans un super marché et dans un quelconque marché de la place ? C’est dire simplement qu’à chaque qualité, il y a un prix. », se défend-il.

Le chef de l’État admiratif du parcours de combattant de Joachim Hodé

Docteur-Ebéniste comme il aime se faire appeler aujourd’hui, Joachim Hodé n’a pas eu un parcours de tout repos. Des hauts et des bas, il en a connus sur son chemin. Des moqueries des amis comme le craint aujourd’hui Elodie plus haut quand elle laisse entendre : « Mes camarades vont se moquer de moi », Joachim en a connues en son temps.« Quand j’étais à la menuiserie et que je voyais mes camarades de classes, je me cachais parce que j’étais sûr qu’ils vont se moquer de moi », se souvient-il. Des difficultés financières, entraînant des journées de marche de Kindonou à la FSS ainsi que des moments d’études sans les plats dont il en raffole, à savoir pâtes de maïs et de sauce de noix de palme (dékousounnou), il en a connues.
Malgré tout cela, le jeune Docteur-Ebéniste a connu un parcours qu’on peut louer. Premier de son établissement, le CEG « Le Nokoué » en 2010, il n’a jamais repris une seule classe depuis sa première année au CI jusqu’à la fin de ses études cumulées au travail du bois. Rarement, il était le 3e ou le 4e de ses classes, sinon il s’offrait le mérite d’être le 1er ou le 2e pour éviter de se faire stopper l’école. Fervent croyant, il reconnait la main du Seigneur dans cette réussite quand Educ’Action s’est intéressé à sa méthode de travail pour sortir brillamment de ses années scolaires et académiques malgré la menuiserie obligatoire. « Je n’avais pas de secret. J’étudiais comme je le pouvais parce que j’avais un objectif. Mais c’est le Seigneur qui a fait grâce. C’est une pure grâce, parce que c’est fatiguant d’aller à l’école le matin, de travailler le bois dans l’après-midi et de faire des exercices le soir. », reconnait-il.
Aujourd’hui, nous sommes tentés de dire que cette détermination a payé. Et pour cause, son histoire de vie est montée aux oreilles du chef de l’État, le président Patrice Talon qui l’a contacté par le biais de ses collaborateurs et reçu en audience. « Avec le chef de l’État, j’ai eu à parler de ma double casquette. Il s’est intéressé à mon secret pour aboutir à ce résultat. J’ai été très ému du fait que le président ait pensé à moi depuis mon coin. Cela prouve réellement qu’il est au courant de tout ce qui se passe dans le pays. », se réjouit-il.

L’appel du Docteur-Ebéniste à l’endroit de ses jeunes frères

Marié devant l’État, devant Dieu et devant les hommes, Joachim Hodé est en attente de se faire bénir par Dieu avec des enfants. Mais en attendant, il est certain d’une chose : « Mes enfants, qu’ils soient filles ou garçons, passeront dans mon atelier et chez tous les artisans du quartier pour voir ce qui s’y passe. » Il l’a décidé ainsi d’abord au regard de sa propre expérience mais également au regard de l’ambition portée par le gouvernement béninois d’envoyer 70% des apprenants dans la formation technique et dans les centres de formations professionnelles. Il n’a pas manqué d’arguments pour convaincre ses jeunes frères à lui emboîter le pas en associant études scolaires et métier artisanal. « Aujourd’hui, ce sont les lettrés, les détenteurs de Bac+2 et même plus, qui connaissent mieux la définition du mot ‘‘chômage’’. Ils peuvent mieux décrire les réalités d’un chômeur. », a-t-il, au prime abord, exposé avant de faire la nuance entre eux et les autres. « Par contre, quand vous prenez un matelassier, un couturier ou coiffeuse ou même un petit commerçant, ils ne vivront jamais les mêmes réalités du chômage que les détenteurs de diplôme scolaire et universitaire. », a-t-il nuancé. Mieux, continue-t-il, « A 22 ans ou 24 ans, quelqu’un qui a appris un métier pense déjà à avoir un foyer. Contrairement à ce dernier, quelqu’un qui a beaucoup étudié, avec les réalités du chômage, peine à se prendre en charge lui-même pour penser à prendre une femme. » Loin d’exhorter ses jeunes frères à abandonner les études pour les métiers artisanaux, Joachim Hodé, le Docteur en pharmacie et passionné du travail du bois, les invite à trouver le courage, la détermination et le temps pour apprendre un métier de leur choix. « Je leur demande d’ouvrir les yeux. Les études seules ne suffisent plus. Certes, il faut avoir des diplômes universitaires. Mais s’attendre à se nourrir exclusivement de ces diplômes, c’est difficile aujourd’hui. Je les invite à embrasser aussi un secteur artisanal de leur choix », a-t-il conseillé.Conscient que ceux qui prendront la décision de faire, en plus des études, l’apprentissage d’un métier, rencontreront sans aucun doute des difficultés, le jeune docteur et ébéniste âgé de 29 ans, fera observer à travers les propos du président Patrice Talon, que « Sur le parcours d’un homme exceptionnel, il y a toujours quelque chose d’exceptionnel ». Pour davantage les stimuler et toucher leur égo, Joachim Hodé va convaincre ses frères, qu’« Il n’y a jamais de statue érigée en l’honneur de ceux qui ont abandonné. Les statues et monuments sont toujours érigés en l’honneur de ceux qui ont persévéré et accepte affronter les souffrances, les difficultés et les humiliations pour toucher la réussite. »

Estelle DJIGRI

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