Les enseignants et apprenants se sont abonnés depuis plus de trois semaines au port du masque pour limiter le risque de propagation de la covid-19 en milieu scolaire. Un fait qui, sur le terrain, a révélé certains dysfonctionnements liés au déroulement des séquences pédagogiques. Dans ce deuxième acte du dossier consacré au port permanent de masque en situation de classe, votre journal Educ’Action met le curseur sur les effets psychologiques et son impact sur les activités pédagogiques en ces temps de psychose générale liée à la pandémie du moment. Reportage !
C’est la plainte à l’étouffement et la distraction dans le rang des enseignants et apprenants depuis l’instauration du port obligatoire de masque en pleine activité pédagogique en mode coronavirus. Du moins, c’est le calvaire lié au port prolongé de bavette dans le cercle de ces acteurs, obligés visiblement d’en mettre aussi longtemps. « Portez le cache-nez pendant le déroulement des activités pédagogiques est une bonne chose. Mais en le portant, la voix n’est pas audible. Non seulement, je dois hausser plus que jamais ma voix, mais aussi répéter plusieurs fois le même message. C’est pédagogique certes, mais quand cela devient de trop, elle empiète sur l’évolution du programme », a déploré Sabi Dohou Sikanédé, enseignant de Physique Chimie et Technologie au CEG Tamarou dans la commune de N’Dali. Des enseignants plaintifs comme Sabi Dohou existent dans nos différents établissements primaires et secondaires. Mesure de protection contre la covid-19, le port de masque à longueur de journée, voire en situation de classe ne manque pas d’avoir des impacts sur la psychologie des enseignants et des apprenants. Quels peuvent être les effets psychologiques du port continuel de masque en milieu scolaire ?
Des impacts psychologiques du port continu de masque …
Le port de cache-nez à longueur de journée, notamment en situation de classe, participe du changement de comportement dans le rang des apprenants comme des enseignants, de l’avis des psychologues abordés. « Le fait de porter le masque suscite la peur. Celle de contracter le virus. Cela peut amener à avoir des troubles de concentration. Car, les apprenants feront plus d’efforts pour écouter le message de l’enseignant. Ils peuvent développer plus de sensation auditive. Il y a aussi l’irritabilité, l’instabilité émotionnelle parce que si un autre apprenant fait des gestes ou a des comportements qui ne protègent pas la classe, cela peut les amener à avoir des comportements d’évitement. D’autres auront du mal à se concentrer en ayant un tant soit peu une attention sur le comportement de leurs camarades. Cela peut également créer l’isolement de certains apprenants ou enseignants. Tout cela peut créer des émotions et des sensations de chaleur et ça peut les amener à mieux créer un espace de sécurité et à prêter plus attention à soi », a expliqué Mylène Davy, psychologue à l’ONG Citoyen des Rues International Bénin pour renseigner sur les risques psychologiques que courent les apprenants avec l’usage abusif de masque en classe. Gilles Arsène Aïzan, également psychologue clinicien voit un autre aspect des choses. « Le port permanent de masque en situation d’apprentissage va désubjectiver les différents acteurs par la dissimulation qu’il impose et la métamorphose de l’apparence de chacun et du cadre d’apprentissage », fait-il savoir avant de préciser qu’il peut y avoir des baisses de rendement et des décrochages scolaires au niveau des apprenants pour raison de changement de cadre. D’un autre côté, la non-explication du bien-fondé du port continu de bavette aux apprenants dans le contexte actuel va développer chez ces derniers une difficulté de compréhension des cours. Une situation à laquelle le psychologue clinicien Gilles Aïzan a tenté d’apporter des explications : « On pourra s’attendre à une ‘‘désubjectivation’’ et cela pourrait avoir pour corollaire, la difficulté d’assimilation et de rétention pour l’apprenant. Le masque s’il n’est pas suffisamment expliqué comme objet de protection, il restera figé chez certains apprenants à l’étape d’objet barrière ». Par ailleurs, le port incalculable de masque a également des répercussions sur le déroulement des activités pédagogiques. Est-ce que l’apprenant peut capter le message de l’enseignant le masque au visage ? L’enseignant pourrait-il finir le programme dans cette condition ? Cela n’érode-t-il pas la masse horaire que requiert la discipline de l’enseignant à force de répéter la même chose plusieurs fois ?
Des impacts pédagogiques du port permanent de masque …
Les enseignants ont quasiment du mal à finir le programme scolaire même dans une période sans crise. A la question de savoir s’il n’y aura pas de retard dans le déroulement des séquences pédagogiques à cause du port de masque, Déborah Hounkpè, docteure es sciences psychologiques et de l’éducation se veut claire et explicative. « Je ne suis pas médecin. Mais, pour mon expérience personnelle, je me sens limitée et humainement limitée. J’imagine pour les autres, en plus, lorsque l’on est dans une zone close comme une salle de classe dans une école béninoise. Les claustras sont exigus, l’air passe à peine. Ce sont des espaces très confinés. Personnellement, je perçois très mal celui qui parle sous un masque en tissu. Le masque chirurgical, selon moi, laisse plus la voix audible. En situation de classe, en interaction pédagogique, dans ces conditions citées plus haut, la relation éducative prendra un coup, c’est sûr. Le cerveau s’attèlera à corriger les barrières d’accessibilité, au détriment du processus cognitif, qui, lui, sera retardé. L’air pollué et démuni d’oxygène fera du sang impur au cerveau. Ce n’est pas agréable, surtout quand c’est sur une longue période », a-t-elle témoigné avant d’ajouter que si finir un programme préoccupe, il y a lieu de craindre la finalité didactique. Arborant, pour sa part, la tenue d’un pédagogue alors psychologue clinicien, Gilles Arsène Aïzan s’est interrogé sur les signes faciaux, qui, autrefois, sont visibles lors des activités pédagogiques. Ainsi, l’absence de ces signes faciaux utilisés hier par l’enseignant au cours de l’apprentissage vient chevaucher sur la pédagogie de l’enseignant. « L’enseignant sans masque pouvait apprécier dans le regard de l’apprenant, la réceptivité de son message et ses impressions. Par les signes faciaux, l’enseignant parfois rassure l’apprenant, le guide et lui permet d’être en phase avec lui-même. Ne plus du tout avoir ces éléments de la communication qui brutalement restent coincés derrière un masque sera bien difficile pour enseignants et apprenants. C’est un aspect que les pédagogues et spécialistes de l’éducation pourront nous développer davantage », fait-il savoir pour attirer l’attention sur certaines barrières du port permanent de masque au cours de l’apprentissage en termes de communication par les signes. Abordant, à son tour, la capacité ou non de l’enseignant à finir la masse horaire à lui impartie, Débora Hounkpè fait savoir qu’il y ait coronavirus ou pas, l’évolution du calendrier scolaire posera toujours problème. Car, explique-t-elle, dans chaque classe, les styles d’apprentissages diffèrent et les conditions n’ont jamais été réunies pour maximiser les chances de la réussite des apprenants. Que doivent faire les acteurs du système éducatif pour assurer le mariage entre le port continu de masque et l’évolution sans anicroches des activités pédagogiques ? Quel sera dans cette circonstance, le rôle de chaque acteur de l’école ?
Des mesures pour l’évolution des activités pédagogiques en temps de covid-19 …
Aujourd’hui, une obligation et un support de protection contre le coronavirus, le port de masque, selon les spécialistes approchés, doit faire objet d’explication dans le cercle des acteurs de l’éducation. De l’analyse de chaque spécialiste, l’idéal est d’amener les apprenants à s’adapter aux conditions actuelles à travers différentes méthodes. « Il faut progressivement amener les apprenants à accepter le masque comme une partie de tenue pour apaiser les angoisses et obtenir plus de sérénité et de concentration. Les enseignants ont besoin aussi d’être accompagnés à travers des analyses de pratique. Les séances de rencontre des enseignants (UP) peuvent servir à ces séances d’analyse de pratique très utiles pour installer le confort des pratiques au niveau des enseignants avec les masques », a proposé comme solution le psychologue clinicien Gilles Arsène Aïzan, pour une intégration du port de masque dans les habitudes des apprenants et des enseignants. Il souhaite surtout que les enseignants soient accompagnés dans cette phase de changement socio-culturelle, qui, à l’en croire, impacte leurs pratiques quotidiennes. Sa collègue Mylène Davy donne une autre piste de solution pour gérer les désagréments liés au port prolongé du masque. « Il faut suffisamment dormir pour permettre au cerveau de prendre assez d’énergie afin de gérer le stress, la peur, l’angoisse que nous avons en portant le masque durant toute une journée », a-t-elle suggéré pour résoudre l’équation. Concernant ce même stress et l’étouffement qui guettent les apprenants et les enseignants, le rôle des conseillers pédagogiques y compris celui des enseignants est prépondérant, à la lumière du recoupement des propos recueillis sur le terrain. « On peut déstresser les apprenants en leur donnant un rôle, théâtralisant les matières les plus pénibles à apprendre, en leur faisant jouer des rôles, en leur donnant des responsabilités, en usant de ruse. Les enseignants peuvent résumer leurs enseignements, ne donner que le strict nécessaire, après avoir obtenu de façon collégiale, en animation pédagogique, avec les conseillers pédagogiques de zones et les animateurs d’établissements, la même démarche didactique. Il faut éviter de se laisser aller au stress et à l’étouffement. La peur étouffe et bloque le cerveau. Un enfant qui a peur, perd tous ses moyens cognitifs et ne peut plus apprendre », a souhaité, pour sa part, Débora Hounkpè, professeure certifiée des lettres modernes à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) pour ainsi situer les uns et les autres sur leurs rôles présumés en cette période d’apprentissage dans le contexte du Coronavirus.
Enock GUIDJIME