Mission impossible - Journal Educ'Action - Éducation au Bénin et dans le monde

Mission impossible

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Enfin ! Je suis dans cet occident qui nous fait tant rêver. Je n’ai pas eu le redoutable privilège d’y être jeté par la mer. J’y ai débarqué avec l’arme qui intéresse l’occident et inspire le respect : l’intelligence.
Je brille plutôt, surtout en mathématiques. Ma licence au pays offrait un seul débouché: terminer le master, devenir un obscur prof. Mais il y avait bien mieux à faire ici-bas : mon pays n’y songeait guère et n’était pas aidé par la caste des enseignants des facultés avec leur mandarinat pur et dur. Leur sadisme sans nom décourageait la grande majorité des élèves.
Même moi qui me retrouve aujourd’hui dans un pays où les cours me semblent abordables et les enseignants disponibles, j’avais failli abandonner les deux premières semaines. Les professeurs faisaient tout pour nous écœurer. Le premier prenait une craie, commençait à écrire et après chaque deuxième ligne effaçait la première sous prétexte de révision. Le deuxième décida de parler très bas et se retourna brutalement pour identifier ceux qui, à l’évidence étaient indignes du cours : ils n’avaient rien noté, ils le regardaient sans rien faire ou pire, ils avaient osé demander d’élever la voix. Un troisième vint nous poser des questions apparemment anodines : quelle moyenne avions-nous eu en maths au BAC ? Il était fortement surpris quand la note ne dépassait pas 16/20. Il répétait alors : quelle pitié ! Nous étions au départ 300 élèves. Après deux semaines, il en restait le tiers ! sur cette centaine, le quart à peine a été en licence où un autre professeur qui donnait le même sujet à l’examen depuis des lustres a décidé de gratifier la majorité de la note éliminatoire de 1/20 afin qu’ils puissent reprendre l’année. Au vu et au su de toute la communauté universitaire qui ne fit rien. Oui, c’était cela la série Maths et Physiques dans l’université principale de mon pays. Même l’État laissait des êtres quasi inhumains dégoûter tout un pays de la science des sciences.
Je me résolus à partir, mon pays m’offrant l’enseignement comme seule porte de sortie : quelle aberration au regard de ce qu’un étudiant en science pouvait faire ! Je tentai des bourses occidentales et réussis à ma grande surprise. Je partis avec autant de regret que d’excitation car tout en étant sûr de réussir ailleurs, j’appréhendais un aller sans retour. Dans la nouvelle contrée universitaire, je fus reçu avec égards. Je me sentis à l’aise dans un environnement savant, ouvert, cordial. La première année passa vite tant j’avais soif d’apprendre. Puis je me retrouvai, excellant étudiant, dans un dilemme face aux multiples sollicitations et bourses de trois ou quatre pays différents. Que choisir ?
Alors que j’allais quitter cette première université et ce premier pays, une délicieuse demoiselle traversa toute l’université pour me demander de l’aider à résoudre une équation ! On lui avait parlé de moi. Elle voulait des cours particuliers. Devrais-je partir bientôt ? Elle me supplia de rester car, que serait sa vie sans moi et mes cours de maths ? Je ne compris rien, mais elle s’appelait Ève et qui suis-je pour lui résister là où mon illustre ancêtre Adam avait cédé ! Vous avez compris, je restai. Après un master vite expédié, j’entamai le doctorat tandis qu’une nouvelle nationalité se profilait. Tout venait facilement : bourses diverses, femme, enseignants attentionnés. Je compris que cette considération venait d’un pouvoir sur lequel on capitalisait pour l’avenir de mon nouveau pays : mon intelligence.
Le hasard me fit rencontrer en plein hiver des africains qui parlaient ma langue, regrettant le soleil du pays. On se mit à échanger, ils m’invitèrent pour une réunion le lendemain. J’y courus pour me distraire. L’ambiance était à la nostalgie du pays et à la gaité de se retrouver, autour de mets de chez nous. Un seul thème nous unissait : accepter la mission civilisatrice d’un pays qui comptait sur nous à terme ou retourner servir un pays où nous n’étions même pas désirés ! Je voyais devant moi des personnes plus qu’intelligentes avec des diplômes hors normes qui étaient prisonniers d’un système et ne savaient pas quoi choisir.
Une femme aux hanches pleines comme nos amazones, qui avait animé la conversation vint me tendre en souriant un plat d’ablo et de Akpèssè. À la première bouchée, je fus transporté dans mon pays plein de soleil et de vie simple ; à travers les champs de mon père et la cuisine de ma mère. Je décidai de repartir servir ma patrie. Les coups de téléphone de la guerrière notamment achevèrent de me replonger dans le mal du pays.
Je ramassai mes économies et avec un doctorat terminé dans un domaine de pointe très demandé, décidai de partir. Je trouverai à faire sur place même si l’Etat ne s’intéressait pas à moi ni aux autres têtes bien faites. Par un curieux hasard, la guerrière voulait aussi partir et nous avions décidé de prendre le même vol. Mais, un petit grain de sable ou plutôt une goutte bienheureuse ou malencontreuse fit son effet : Ève. Mon Eve qui était d’ailleurs la fille d’un de mes professeurs m’annonça : je suis enceinte !

Maoudi Comlanvi JOHNSON, Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe

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