On ne m’ôtera jamais de l’esprit que l’enseignement voire toute l’éducation se fait d’abord avec les enseignants. Ils en sont le début, le milieu et la fin. A quel âge n’apprend t-on pas ? Des années après avoir quitté les bancs, on se rappelle la rigueur, la gouaille ou le simple souci de perfection vestimentaire d’un ancien professeur. On cherche alors la formule pour s’en inspirer et ainsi honorer sa mémoire.
Sans être tous bons, ils avaient néanmoins laissé une empreinte que ne reproduiront jamais les divers outils inutiles par lesquels on voudrait les remplacer. On comprend alors pourquoi dans notre nouvelle société de l’uniformisation, nos maîtres font peur : ils sont les seuls à avoir encore une âme !
Certains ont écrit l’hymne à la joie ou à l’amour. Je ne cesserai jamais de déclamer mon hymne au respectdes maîtres qui se sont occupés de me dégrossir, de me ciseler ! Je leur dois aujourd’hui le droit d’exister.
Je répète ! Loin de moi d’affirmer qu’ils étaient tous bons. Je m’attarderai sur les plus mauvais qui bonifient encore mieux ceux qui ont laissé une trace dans notre existence. On s’aperçoit que les mauvais continuent à nous servir de repères car, lorsqu’on n’aura que les tablettes et les ordinateurs, comment démêler le vrai du faux, le bon du mauvais ? il y aura encore un spécialiste du marketing qui définira le bon outil d’apprentissage. Mais où sera alors la pédagogie ? Ne nous trompons pas : on nous ment car, il n’y aura jamais d’enseignement et surtout d’éducation sans enseignant ! Il ne reste alors que la solution, de les affamer matériellement (mal payés) et intellectuellement (malformés) pour les décrédibiliser.
Je souhaiterai humblement évoquer encore une fois ceux qui m’ont marqué ! L’un des meilleurs fut celui de mon CM2. A l’article de la mort, de par son addiction à l’alcool et au tabac, il avait le courage de nous enseigner que l’alcool et le tabac tuent ! Et, nous, petites et pauvres consciences, avions toutefois compris que ce saint homme avait été jusqu’à faire l’expérience de son sacrifice pour nous sauver.
Au secondaire, au temps où j’enseignais la philosophie, il me restait à passer l’examen le plus important pour être titularisé. En ces temps, ce sont à la fois nos inspecteurs et des universitaires qui venaient nous noter. Je tombais sur l’universitaire à la fois le plus réputé et le plus craint. Oui, il m’avait enseigné et j’avais apprécié mais on se passait le mot : en aucun cas, il ne devrait venir vous inspecter car il était plus que rigoureux, aimant la qualité que donnait la connaissance et la pédagogie. J’envoyais un peu d’argent à mon oncle au village pour des libations aux ancêtres tout en me rappelant l’étape essentielle de la messe du dimanche. Trois fois hélas : je tombai sur lui et compris que malgré ma compétence, j’avais quelques ennemis tapis dans l’ombre qui avaient invoqué Belzebuth !
Le jour de l’examen, je n’en menais pas large malgré mes compétences reconnues. Je comptais sur quelques élèves de qualité pour animer la classe. Au début du cours, alors que les inspecteurs étaient là avec le redoutable inquisiteur, je remarquais que l’élève sur laquelle je comptais le plus n’était pas arrivée. Je me résolus à commencer quand elle déboula toute ébouriffée. Je ne savais même pas s’il fallait l’accepter, mais je le fis. A peine le cours entamé, je posai une question étymologique essentielle et elle leva la main. Elle, ma bouée de secours se perdit et cafouilla. Je tins le cap et, l’élève autant que le maître, dans une maïeutique accouchée par césarienne, arrivèrent à la bonne réponse. Est-ce parce que moi, être humain et professeur, je croyais en la qualité de mon élève et elle sachant qu’avec moi, on trouve toujours le chemin, que nous arrivâmes à la solution ? En tout cas, ce premier problème résolu, le cours se déroula sans autre anicroche et à un certain moment, l’homme dangereux me notifia que c’était suffisant et qu’ils allaient se retirer. Le débriefing fut bref et ils s’en allèrent. Je me disais perdu et après un début qui n’avait pas sûrement plu. Dans un instant de dépit et d’égarement, je me demandais comment récupérer mes dîmes dans les lieux saints.
Le résultat arriva : j’avais une très bonne note d’inspection. Incroyable et pensait plutôt à mes secours divins. L’histoire ne finit pas là.
Un jour où je me retrouvais dans un restaurant, je commandai une boisson sucrée, ayant retenu la leçon de mon défunt maitre de CM2 sur la nocivité de l’alcool. La servante me revint avec une grande bouteille de bière et au moment où je voulus la rembarrer, elle me signifia que c’était le cadeau du monsieur assis de l’autre côté et qui se trouva être, incroyable, le grand inquisiteur qui me souriait en hochant la tête. Je n’en crus pas mes yeux et je compris que ce jour-là, on me décernait mon diplôme d’enseignant. Je bus lentement le divin nectar et me promis d’aller sur la tombe de mon défunt maître de CM2 pour lui rappeler qu’il n’y avait pas de règle sans exception. Et qu’il y avait des alcools salvateurs !
Maoudi Comlanvi JOHNSON, Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe