L’ECOLE EN REPUBLIQUE DE DJIBOUTI : Au-delà de la qualité, rechercher l’Excellence - Journal Educ'Action - Éducation au Bénin et dans le monde

L’ECOLE EN REPUBLIQUE DE DJIBOUTI : Au-delà de la qualité, rechercher l’Excellence

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Mohamed Abdillahi Bahdon, est doctorant en sociologie de l’éducation à l’Université de Murcie, Espagne. Intellectuel préoccupé par l’éducation en Afrique et particulièrement en République de Djibouti  sa terre natale, il partage avec les lecteurs de Educ’Action, une réflexion sur le nouveau concept en vogue dans son pays, l’Ecole d’Excellence de Djibouti (EED). Après la première partie de cette reflexion publiée la semaine dernière, voici la seconde partie.

L’ambivalence des objectifs poursuivis par les gouvernements

Toute idée, toute réforme part d’abord d’un constat, le plus souvent un échec. Elle pose des objectifs qui doivent se matérialiser en actions concrètes. Mais, toute politique sérieuse prévoit des mécanismes d’évaluation de la mise en oeuvre et des résultats pour atteindre les objectifs fixés ou réorienter les objectifs qui ne sont pas atteints.

Les objectifs du ministère de l’éducation étaient mal définis, pas financés (6) à la hauteur de ce qu’on attendait ; des objectifs posés par des groupes de réflexion dont la présence des organisations qui financent pèsent plus que les opinions des professionnels.es et des acteurs de la société civile. Par exemple, si les objectifs étaient définis, l’enseignement des langues vernaculaires occuperait une place importante, ce qui permettrait une participation des parents à la communauté éducative ; elles/ils pourraient comprendre ce que leurs enfants apprennent et s’informer auprès des enseignants.es et de la direction des écoles et collèges.

Les autorités gouvernementales ont donné plus d’importance à l’enseignement de deux langues internationales : l’Arabe et le Français, qui n’ont pas favorisé l’intégration des peuples du pays. Aussi, la formation du personnel enseignant et de directions des écoles et collèges n’a pas été un élément important.

Durant la présidence d’Hassan Gouled Aptidon (1977-1999), on peut noter l’ambivalence des objectifs de l’éducation nationale. Par exemple, s’il y a un changement des livres de français, surtout de lecture reprenant des personnages locaux au lieu de Doudou ou Salif de l’Afrique de l’Ouest, le ministère n’a pas étendu ce changement au collègue et au lycée où les élèves suivaient encore des livres français, relatant une réalité   qu’elles/ils ne vivent pas au quotidien. L’autre point de cette ambivalence, c’est le discours sur la formation professionnelle et l’absence de promotion et d’une politique sérieuse.

Par contre, celle d’Ismaël Omar Guelleh (1999-….), on obverse des ambitions pour le secteur de l’éducation au moins au premier mandat (1999-2005). Il se démarque de son prédécesseur par la communication, le discours et l’organisation des rencontres thématiques, suivies des mesures législatives. Avant la fin de l’année 1999, il organise des Etats Généraux sur l’Education. Les objectifs ont varié, si un taux de scolarisation comparable à d’autres pays africains, plus avancés dans ce domaine, est un objectif important, on retiendra deux autres objectifs : le droit à l’éducation, qui est nouveau (7) en République de Djibouti et la qualité. Ce dernier mot est devenu un leitmotiv dans beaucoup de ses discours.

La principale question qu’on se pose sur les objectifs est comment atteindre des objectifs déterminés et publiés, si on ne met pas les moyens humains, financiers et matériels nécessaires. Les objectifs sont des idées superflues, qui résultent théoriquement de consensus, mais qui, pour se concrétiser, ont de la conviction, du devoir et de la volonté de réussir de tout un groupe de personnes à différents niveaux du ministère, mais aussi de la société civile.

Aussi ne peut-on atteindre des objectifs en peu de temps, s’il y a insuffisance de supports (livres) pour les enseignants et les élèves, s’il y a des réticences des corps institutionnels : le personnel enseignant et les syndicats.

L’ambivalence des objectifs posés par les participants.es des Etats Généraux de l’Education Nationale en 1999 s’est manifestée en un discours nationaliste sur la création d’une école djiboutienne, ouverte à tout le monde sans distinction de revenu, de religion…, mais où l’enseignement des langues vernaculaires et les cultures des peuples est marginal, juste un cours sur la chanson et la poésie en langues nationales.

Le retour à l’élitisme : la sélection des élèves

Les discours sont toujours marqués par des contradictions. Il y a d’un côté les bonnes intentions, formulées dans des grandes cérémonies célébrées avec grandes pompes et d’un autre côté la pratique sur le terrain. Le discours sur l’enseignement produit par la classe politique et surtout les principaux responsables : président de la République et la/le ministère de l’éducation nationale n’échappe pas à ces contradictions. La création d’une école d’excellence est une manifestation claire de l’ambivalence d’un discours.

Qu’est-ce que la recherche de l’excellence ? L’excellence, c’est la distinction d’un groupe d’élèves, appartenant à des catégories sociales différentes, qui ont des passés différents dans leur processus scolaire, qui n’ont pas les mêmes avantages tant familiaux que socioéducatifs. L’excellence, c’est le retour de l’élitisme, lequel se note sur deux plans : d’abord le nom même de l’école Ecole «excellence» et ensuite par le nombre d’élèves fréquentant cette nouvelle école,très limité.Le ministre affirme que «les élèves qui vont effectuer dans quelques jours leur rentrée à l’EED sont au nombre de 125 et répartis en cinq classes : une classe de deuxième année, deux classes de troisième année et deux classes de sixième année… » Pourquoi seulement 125 élèves ?

Mais comment sont-elles/ils sélectionnés.es ? On ne parle pas d’examen, mais plutôt des tests. A cette question importante pour les élèves et leurs familles, la réponse du ministre est lapidaire : « les meilleurs de nos écoliers, ceux qui démontrent plus de capacités d’observation et de raisonnement. » La détection des meilleurs écoliers se fait « à travers des tests portant sur la maîtrise des langues, les mathématiques et la culture générale. » dixit le ministre de l’éducation. Ce raisonnement tombe car les tests constituent un moment du parcours des études des élèves du primaire à l’université.

Levant tout doute sur le projet d’exclusion, le ministre, Moustapha Mohamed Mahamoud, affirme que « le projet de création de l’Ecole d’Excellence de Djibouti (EED) que nous venons de lancer a pour objectif la formation de nos élites. » (8).Il évoquait comme objectif « la réussite scolaire des enfants. » Oui, tout n’est pas négatif dans le système éducatif djiboutien. Mais faire une telle affirmation sans mesures concrètes, non pas forcément économiques reste un vœu pieux. Comment atteindre la qualité si on distingue les élèves en fonction de leurs capacités ? Les capacités d’observation et de raisonnement ne sont pas innées, on les acquiert au cours du temps. En séparant des élèves, qui auraient de telles capacités, on crée un ghetto, elles/ils vivront un monde fermé par rapport à leurs camarades de la même génération d’âge, qui étudient dans des écoles, sous-équipées.

C’est avec raison que le personnel enseignant critique ce dernier avatar du ministère de l’éducation nationale et de la formation professionnelle. Des groupes d’enseignants.es soulèvent des questions intéressantes, qui n’apparaissent pas dans les discours politiques : « Comment sélectionne-t-on les enseignants et les étudiants d’une école d’excellence ? Quel projet pédagogique prévoit-on pour une école d’excellence ? Quel dispositif d’évaluation met-on en place pour une école d’excellence ? Comment est financée l’école d’excellence ? Quelles sont les particularités d’une école d’excellence ? Qui pilote l’école d’excellence ? » (9).

Conclusion

La recherche de l’excellence est objectif noble pour la communauté éducative djiboutienne. Parents d’élèves comme personnel enseignant et direction des établissements scolaires s’investissent pour l’excellence de tous.es les élèves et non pour un petit groupe. C’est une satisfaction collective, qui valorise les travaux en amont de tout un groupe de personnes, quels que soient leurs statuts professionnels et sociaux.

Or compte tenu de la manière dont ce projet a été conduit et mis en place de manière brutale, plus que l’excellence, on assiste plutôt au renforcement des inégalités dans la population scolaire. Et l’une des sources de ce renforcement des inégalités, c’est l’absence d’un programme bien défini pour qu’un grand nombre d’apprenants.es puisse avoir ce niveau d’excellence.

Dans la politique éducative du gouvernement djiboutien, on ne trouve pas des mesures de lutte contre l’échec scolaire, des mesures d’aide aux élèves ayant des difficultés d’apprentissage, un personnel de renfort pour appuyer les enseignants.es des classes et une véritable implication des parents dans le processus d’enseignement de leurs enfants.

La création de l’école de l’excellence rappelle beaucoup la politique éducative coloniale, qui excluait la majorité de la population scolarisable. Mais dans cette idée d’excellence, apparaît deux niveaux d’écoles : celles où les enfants, qui n’ont pas « capacités d’observation et de raisonnement.» et celles et ceux qui les ont.

 

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