La « Kpodagogie » ou la didactique du bâton - Journal Educ'Action

La « Kpodagogie » ou la didactique du bâton

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Aussi loin que je remonte, je me souviens autant que la plupart des anciens de nos maîtres ne lésinaient pas sur la chicotte et le parmatois au détour d’une dictée de « phases détachées ». Qui n’a pas cueilli ces maudites et pourtant belles fleurs qui prenaient une terminaison dont on n’a jamais compris la nécessité ! Ah : « Les fleurs que j’ai cueillies »Cette pédagogie qu’on sentait dans la chair et l’esprit avait un sens et une conscience : celle de la conviction d’élever un enfant avec rigueur, mais surtout avec justice dans ce monde d’antan où le maître était quasi-divinisé.
Mais aujourd’hui, que nous reste-t-il de ces amours ? Quasi rien ! Nada ! L’école se contente d’exister tandis que le maître, l’enseignant n’existe même plus. On pourra faire le tour de toutes les appellations conférées à l’enseignant de nos jours. Aucune ne l’installe, ni ne satisfait : celles qui lui donnent des droits comme « Agent Permanent de l’Etat » (APE) ou « Agent Contractuel de l’Etat »
(ACE) ne lui confèrent pas assez de satisfaction morale dans une société où il n’a plus de statut valorisant. Pire, celles qui semblent le libérer pour d’autres opportunités « vacataires » ou d’autres horizons « aspirants » l’installent dans la précarité et un désir à peine dissimulé d’aller voir ailleurs, dans un monde où il n’arrive même plus à se faire respecter par les élèves.
Dans cette société actuelle où les classes se remplissent à vue d’œil, nous n’avions pas pu trouver assez vite les bonnes solutions. Ainsi, dans une situation où l’argent manquait, les enseignants manquaient, nous avions utilisé tellement de palliatifs que le plus important est arrivé à manquer complètement à savoir la pédagogie !
Face à des enfants devenus, de plus en plus, turbulents au regard d’une société, elle-même trépidante, une nouvelle approche de l’éducation est née : la pkodagogie, c’est-à-dire l’éducation par le bâton ou la cravache. Ce qu’on ne peut pas transmettre par l’art, la technique apprise et maîtrisée, on veut l’inculquer à des enfants supposés, par principe, rebelles et dont il faudrait fendre la tête pour verser le peu de chose qu’on connait. En réalité, dans la plupart des cas, c’est l’aveu d’une impuissance d’abord intellectuelle ensuite psychologique et enfin morale. L’enseignant, commis d’office, jeté dans le fleuve du savoir où il n’a jamais appris à nager, patauge.
Lorsqu’on va à la racine du mot pédagogie tiré du grec ‘’paidagogós’’ avec ‘’paidos’’ signifiant « enfant » et ‘’gogía’’ signifiant « mener » ou « conduire », on en vient à la définition que c’est l’art d’accompagner les enfants vers l’école, vers l’éducation. Mais alors, quel sens donner à cette kpodagogie systématique et systématisée qui cache plutôt l’incurie, les rancœurs et les rancunes d’un enseignant que tout diminue et amenuise ? S’agit-il de conduire le bâton vers l’enfant à qui on n’apprend rien, qu’on ne forme et ne façonne pas ?
Moi, je suis pour la punition voire pour la chicotte ! Mais légaliste, je me range du côté de la loi. Ce qui m’interpelle ici, n’est pas vraiment l’usage du bâton ou de la punition, mais plutôt la large utilisation de ce qui devient une violence, un exutoire pour cacher ses tares intellectuelles et assouvir les vengeances d’une société qui nous refuse un statut et un rôle.
Il est vrai que beaucoup de parents insistent sur la nécessité de la punition par le bâton, soutenant qu’ils sont passés par-là et que nos traditions l’autorisent. Ce qu’il faut souligner et soutenir, c’est que si, en son temps nos maîtres ont réussi, nos traditions n’ont jamais été celles du bâton et de la chicotte, mais plutôt celles du dialogue. En effet, lorsque quelqu’un commettait une faute, on cherchait d’abord à écouter et à comprendre. La sanction peut être lourde mais elle doit d’abord être discutée, pesée avec pour objectif le bien de l’ensemble. Il y a souvent les solutions alternatives faites de leçons, (sermonner) de compensations diverses (travaux d’intérêt collectif, dons, punitions alternatives) et à de rares occasions, de renvois hors du village. Le châtiment corporel qui est l’expression de la violation de l’intégrité physique et morale de l’individu a été introduit par la colonisation.
Aujourd’hui, je me retrouve dans un dilemme où deux faits m’interpellent. Le premier, c’est qu’il y a peu de temps dans un collège de Cotonou, un parent d’élève sûrement intelligent et légaliste, est allé avec des policiers dans l’établissement de son enfant qui avait été chicoté pour demander le renvoi immédiat et sans délai du professeur incriminé. Ce qui fut fait. Le second, j’ai lu dans un journal de référence de l’Occident, qu’un enfant a été convoqué ses parents qui l’ont frappé et il a eu gain de cause.
Vers quel monde évoluons-nous ? Celui où la loi permet à un parent de « libérer »
son enfant ou celui dans lequel l’enfant se libère tout seul et prend le contrôle parental ? La conclusion de tout ceci, c’est que la punition doit exister. C’est d’abord un principe moral cher à toutes les religions qui l’instituent en règle pour expier le péché. Moi, je pense qu’elle se doit de rencontrer la loi pour devenir cette exception qui juge et sanctionne et remet sur le droit chemin de la société. Ainsi,quelque part, il faudrait raison garder et considérer la loi, l’esprit de la loi et la conscience objective qui discerne l’intérêt supérieur de l’enfant.

Maoudi Comlanvi JOHNSON, Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe

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