Bonjour chers toutes et tous. Je voudrais décrire une journée de ma vie. Une vie quasi-ordinaire, ni blanche, ni noire, disons grise. Suis-je heureux ? Ai-je atteint le nirvana ? On se juge difficilement dans un monde où on accepte mal ce qu’on est et ce qu’on a, pour lorgner plutôt la part du gâteau qu’on n’a pas encore. Pourtant, je ne devrais pas me plaindre car je semble être de la catégorie de ceux qui ont la chance d’avoir l’essentiel de ce qu’on cherche dans la vie : un travail, une seule femme, plusieurs enfants et de multiples biens.
Ai-je oublié quelque chose ? Je vous dis la vérité, je me sens bien et ma vie me plaît. Ce qui m’étonne et me rend perplexe quelque fois, c’est que je semble déranger dans une société où les autres ont l’impression que je me contente du strict minimum ! J’aurais pu devenir un grand entrepreneur et propriétaire terrien, mes parents étant des agriculteurs prospères. Non ; je me suis contenté d’être un très bon élève et je fais carrière dans l’administration.
À maintes reprises, mon statut de grand frère a failli m’entraîner dans les affaires du village où ma famille me disait qu’un homme et surtout un aîné sinon un prédestiné au poste de « dah » ne pouvait se contenter d’une épouse. Je ne sais comment j’ai pu échapper à ce destin ; surtout à ces jeunes filles de feu et de braise qu’on me proposait au détour d’une visite au village. Mais un coup d’œil à la véritable femme de ma vie à savoir ma maman me ramenait sur le chemin difficile de la vertu. Elle ne voulait pas cela pour son fils bien aimé !
Ce matin, toute la maison s’était réveillée, bruissant de milles petits riens qui faisaient une matinée de travail et d’école. Ma femme en chef d’orchestre secouait, cuisinait, tançait servante et retardataires pendant que je semblais me préparer mollement. En fait, j’étais déjà au bureau avec les coups de téléphone et la série de réunions et les présentations qui m’attendaient à la place d’un cancre de directeur dont la médiocrité n’avait qu’un horizon : servir ses intérêts et ceux du maître qui l’avait placé. Détrompez-vous : je ne jugeais point celui dont le manque de compétence semblait la seule qualité. Contrairement à ce qu’on admet, c’est une des qualités que les gouvernants apprécient les plus. Ils se sentent en sécurité avec ce type de personnes qu’on peut résumer à un tube digestif abyssal de gloutonnerie et à un membre central trempant dans toutes les bêtises et les viols !
Ma femme semblait s’accommoder de mon manque apparent d’ambition. À la longue, elle se contentait d’une existence auprès d’un être, somme toute terne qui avait le mérite de refuser les innombrables sollicitations féminines au nom de l’amour qu’il lui portait ! Je la regardais se démener toute la journée pour le bien de la famille. On ne peut nier que ce soit une dame vertueuse au regard de la quantité de cierges et d’eau bénite qu’elle a consacrés au nom de notre bien à tous.
Mes enfants m’aimaient bien, redoutant surtout les colères de la mère ! Vous doutiez ! Oui ils m’aimaient ou plutôt me toléraient car j’étais plutôt du type libertaire. Le boulot me prenait beaucoup de temps ; si je devais ajouter à cela d’autres foyers matrimoniaux, je ne verrais jamais mes enfants ! J’y tenais car s’occuper d’eux me semblait non seulement un devoir essentiel mais aussi un gage de tranquillité dans les vieux jours.
Donc, tout était en place pour me surveiller ; préparer et gérer les moments que je passais à la maison. Je me rendais compte de bien de choses qu’on aurait pu sanctionner. Mais je savais intervenir au bon moment avec mon don inné de vite comprendre. Leur scolarité se déroulait sans heurts, car j’y investissais énormément et ils me le rendaient bien! Ils étaient cinq car j’avais décidé de peupler mon pays. Au fur et à mesure se présentaient les problèmes de l’adolescence et de la jeunesse. Je les vis emprunter les chemins des amourettes. Je ne refusais ni les portables ni les visites : nos portables dormaient ensemble à partir de 22 heures dans une corbeille les jours ouvrables et un peu plus tard les week-ends. Je connaissais vite les amis. La bonne vieille méthode des policiers nous servait : maman jouait la méchante/intransigeante ; moi je jouais le bon et compréhensif !
Voilà toute notre vie. Je vous assure avoir tenté de rentrer dans le cercle de pouvoir. Mon voisin soi-disant syndicaliste dont je passais le temps à gérer une immense maison querelleuse et embrouillée par plusieurs femmes et beaucoup d’enfants et trop d’argent mal utilisé, m’avait un jour introduit. Quelques moments plus tard je compris que c’était un métier plus fatigant que le mien, où vous vivez à genoux servant des maîtres, mais inutilement riche.
Bref ! A vous de juger : suis-je heureux ou apaisé, savourant au moins une parcelle de liberté chèrement acquise ou plutôt dois-je passer pour celui qui n’a jamais osé !
Maoudi Comlanvi JOHNSON, Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe