« Notre école renaît déjà ». C’est la phrase angulaire qui résume l’entretien accordé par le ministre des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle, Pr Mahougnon Kakpo à Educ’Action, face aux différentes réformes effectuées ces quatre (04) dernières années, dans ce sous-secteur. Parlant de réformes, dans un arrêté en date du 07 Février 2020, Pr Mahougnon Kakpo annonce l’annulation du choix de séries par les élèves avant le second cycle. Une décision qui vient bannir une vieille habitude connue jusqu’à un passé récent. Comme le dit le dicton, ‘‘il n’y a pas de fumée sans feu’’. Cette décision vient-elle à point nommé pour pallier un problème, qui, jusque-là, gangrène l’école béninoise ? Dans cet article, spécialistes et responsables d’écoles se prononcent sur le sujet.
«Dans un passé récent, deux voies s’offrent aux apprenants du premier cycle de l’Enseignement Secondaire Général. Il s’agit du modèle long à dominance littéraire et du modèle court où sont dispensés les cours en PCT ». C’est ce que renseigne Raoul Atohoun, actuel Secrétaire Technique Permanent par intérim du Plan Décennal de Développement du Secteur de l’Education (STP-PDDSE), mettant ainsi la lumière sur les options de choix de séries qui se présentent aux élèves de l’Enseignement Secondaire Général. Il n’est donc plus un secret de polichinelle que dans un passé très récent, les apprenants du Secondaire à partir des classes de 3ème et 4ème étaient subdivisés en deux groupes. Ceux littéraires faisant le Moderne Long (ML) et ceux du MC (Moderne Court) évoluant dans les matières scientifiques. Cela étant, l’origine du choix des séries dans l’Enseignement Secondaire Général au Bénin semble avoir de profondes significations auxquelles fait référence Rufin Arsène Dagba, inspecteur de l’enseignement secondaire, spécialité Mathématiques qui explique : « le choix des séries dans l’Enseignement Secondaire Général commence véritablement à partir de la seconde. Mais à partir de la 4ème, les apprenants pouvaient déjà décider d’être littéraires ou scientifiques en choisissant pour le passage en 4ème, la 4ème littéraire ou la 4ème scientifique. Je préfère parler en ces termes parce qu’en réalité, ML était réservé avant à ceux qui avaient la possibilité de continuer leurs études au second cycle. Ceux-là au lieu de commencer les Sciences-Physiques en 4ème devaient choisir une deuxième langue étrangère, ils ne commençaient les Sciences-Physiques qu’en seconde. Cela a été par exemple mon cas, je suis scientifique et j’ai fait ML. Alors que MC était réservé à ceux qui devraient sortir du système après le BEPC. On estimait qu’ils n’avaient pas besoin de faire une deuxième langue étrangère puisqu’ils devaient s’arrêter au BEPC. Par contre, ils devaient déjà être initiés aux Sciences-Physiques. Ce sont ceux qui faisaient les CEGs. ML ne signifiait pas littérature mais Longue Etude. On parlait plutôt de classique pour désigner les littéraires. Ainsi, il y avait 4ème classique, 3ème classique ».
Des dessous du choix des séries…
Lumière est donc faite sur l’idée selon laquelle le choix des langues étrangères n’était réservé qu’aux élèves devant continuer le second cycle du Secondaire. Est-ce à dire que celui qui doit s’en tenir au BEPC n’a pas le droit d’avoir une maîtrise en langue étrangère ? Cela ne fait pas notre préoccupation du moment. Si tel n’est plus le cas aujourd’hui ou bien que ne voulant plus continuer le second cycle, les élèves peuvent déjà faire les langues étrangères, il convient de se demander comment s’opère ce choix ? Karl Chrysostome Dofonnou, directeur du Collège la Plénitude martèle que : « ce sont les responsables qui font le choix des séries et dans les collèges, nous avons ce qu’on appelle le Conseil d’Orientation. On a un Conseil d’Orientation classe par classe. Il est constitué des professeurs intervenant dans une classe, du censeur ou du censeur adjoint. Donc, c’est ce Conseil d’Orientation qui se charge en fonction des notes obtenues par les élèves dans les matières littéraires ou scientifiques de faire l’orientation ». Il en est de même pour Bernard Lahamy, directeur du CEG1 Godomey qui souligne qu’on regardait un peu ceux qui sont bien en littérature ou en sciences et puis on les orientait dans des séries scientifiques ou dans les séries ML. Cependant, si le choix des séries se faisait par les responsables d’écoles en fonction des aptitudes et de la capacité des élèves à appréhender les matières littéraires ou scientifiques, il ne va pas s’en dire que ce choix ne pouvait pas non plus être issu de la volonté de certains parents d’élèves. Karl Dofonnou explique : « il arrive que les parents proposent, en fonction de l’avenir professionnel qu’il projette pour leurs enfants. Nous avons des cas où le parent détourne l’orientation de l’enfant, c’est-à-dire qu’un parent peut vouloir par exemple que son enfant aille en série A ou en série D ou alors qu’il a plus d’aptitude à embrasser la série. Le parent décide ainsi à la place de l’enfant parce qu’il veut qu’il devienne médecin. Il arrive que les parents rejettent nos choix pour nous imposer les leurs parce qu’ils ont des projets professionnels pour leurs enfants. Quand ils nous imposent leurs choix, nous nous conformons ». Ainsi, face à cette approche éducative, Raoul Atohoun, STP-PDDSE déduira que cette mesure de la politique éducative était prise afin de sérier au niveau des apprenants ceux ayant des aptitudes et potentialités en littérature de ceux en sciences et technologie. Ce qui permet déjà en classe de 4ème , ajoute-il, de les orienter dans une approche d’obtention de meilleures acquisitions scolaires, les préparant pour l’examen du BEPC ».
Des conséquences d’un choix prématuré …
Orienter les élèves dès les classes de 3ème et 4ème dans les séries en fonction de leurs aptitudes à réagir face à telle ou telle autre discipline. Telle était la raison avancée pour amener les élèves à davantage pousser leur curiosité dans leurs matières phares. Mais quelles en étaient les répercussions ? Pour Rufin Arsène Dagba, « depuis un moment, dans nos établissements d’Enseignement Secondaire Général, la série C a presque disparu, la série D est en train de disparaître au profit des séries littéraires. Aujourd’hui, le problème s’est aggravé. Si vous faites un tour dans nos établissements d’Enseignement Secondaire Général, vous constaterez que les classes de 4ème littéraire sont devenues beaucoup plus nombreuses que les classes de 4ème scientifiques. Les jeunes apprenants semblent avoir de la désaffection pour les sciences et bientôt si on n’y prend garde, les séries scientifiques vont complètement disparaître ». Pour sa part, Karl Chrysostome Dofonnou va souligner que « quand on les oriente déjà vers la classe de 3ème ou de 4ème, en ML ou en MC, c’est limiter leurs possibilités d’entreprendre après. Puisque après le BEPC, ils ne peuvent plus faire autre chose par exemple que d’aller en 2nde A pour celui qui a eu le BEPC ML ». A Bernard Lahamy d’ajouter qu’il s’agit d’observer des choses quand on fait des expériences et d’en tirer des conclusions. Pour l’homme, le choix à ce niveau en classe de 4ème est prématuré. « Quel enfant est en train de faire quel choix ? Des enfants de 12 ans, de 13 ans avec des parents, qui, aussi sûrement, ne s’y connaissent pas trop ?», s’interroge-t-il.
Des causes apparentes d’une annulation du choix des séries …
Le choix prématuré des séries observé plus haut ne reste pas sans conséquences sur le système éducatif béninois et aussi sur les élèves. Au nombre des problèmes relevés, le ministre Mahougnon Kakpo s’inscrit t-il dans la même perspective en revenant à la case de départ : faire le choix des séries à partir du second cycle ? Raoul Atohoun décline : « ce n’est plus un secret pour les acteurs du système éducatif que conformément au nouveau Plan Sectoriel de l’Education (PSE) 2018-2030, le Gouvernement est en train de prendre les dispositions salutaires pour réformer le système de l’Enseignement et la Formation Technique et Professionnelle (EFTP) en lien avec l’emploi qui peine, depuis des décennies, à émerger dans notre pays. La mise en œuvre de la stratégie à développer pour promouvoir ce nouveau système de l’EFTP se fonde sur la nouvelle ossature de l’éducation de base qui court du préscolaire à la fin du 1er cycle de l’Enseignement Secondaire Général avec la suppression du 1er cycle des lycées techniques (voir la nouvelle architecture du système éducatif). Ainsi donc, le seuil commun de compétences attendu de tout apprenant, notamment pour les aptitudes de la vie courante est fixé en classe de 3ème ». Abondant dans le même sens que son prédécesseur, Rufin Dagba argumente : « A mon humble avis, cela doit avoir rapport avec la mise en œuvre du Plan Sectoriel de l’Education (2018-2030), qui prévoit que l’éducation de base devra aller jusqu’en classe de Terminale désormais au lieu de s’arrêter au CM2 comme c’est le cas jusqu’à maintenant. Donc, depuis la maternelle jusqu’à la classe de Terminale, les apprenants doivent avoir un seuil commun de compétences, le profil de sortie devant être le même. Ceci fonde la décision ministérielle. Par ailleurs, en partant du fait que tous les établissements d’Enseignement Secondaire Général fonctionnent aujourd’hui comme des lycées, c’est-à-dire que le passage en seconde se fait de façon automatique soit sur place, soit dans un collège dans les environs, on peut estimer que les apprenants sont tous en Moderne Long. Ce qui signifie, si nous revenons à ce qui se passait avant, qu’ils doivent pouvoir faire une seconde langue étrangère pour les besoins de la cause. Qu’ils fassent en plus les sciences physiques, aggravera certainement le problème de surcharge cognitif qui existe déjà à leur niveau.
Une décision salutaire ?
Avec la stratégie éducative du PSE 2018-2030 mise en place, l’éducation de base s’étend aujourd’hui jusqu’en classe de Terminale. Ainsi, avant qu’un élève ne s’adonne aux formations professionnelles au détriment des études, le niveau minimum de connaissances à lui inculqué est celui de la Terminale. Toutefois, dans quelles proportions vouloir que l’apprenant fasse et matière scientifique et matière littéraire ? Ceci pour quelle fin ? Pour Bernard Lahamy, directeur du CEG1 Godomey, c’est une manière de recadrer, d’engager l’apprenant dans un circuit qui va l’aider à avoir une plus large gamme de choix après le premier cycle afin de faire un choix plus conséquent. Aussi, ajoute-t-il, « je pense que cela donnera plus de chances, parce qu’il y a des élèves qui choisissent les séries littéraires très tôt et quand vous leur posez la question, ils disent qu’ils veulent être infirmières, médecins, agronomes. J’en connais, qui, arrivé en classe de terminale, a choisi de quitter la série B pour la série D parce qu’elle voulait devenir infirmière ou sage-femme. Donc, c’est pour laisser le temps de réflexion aussi bien aux parents, qu’aux apprenants et au système pour qu’on puisse avoir des élèves qui auront plus de gammes de choix ». Karl Chrysostome Dofonnou, directeur du collège la Plénitude, ira dans le même sens quand il dit que si on les laisse maintenant en 4ème et puis en 3ème et qu’il n’y a pas d’orientation, ils feront les matières littéraires et les matières scientifiques de la même façon et auront une plus grande possibilité de choisir quand ils seront au second cycle. Pour Rufin Arsène Dagba, inspecteur de l’enseignement secondaire à la retraite, spécialité Mathématiques, cette décision permet à ceux qui sortiront du système d’affronter sans grande difficulté les problèmes de la vie, d’entrer plus sereinement dans le second cycle de l’Enseignement Secondaire Général. L’arrêté N°012/MESTFP/DC/SGM/DIPIQ/DEC/DESG/SA/0915GG19 du 07 février 2020 vient ainsi à point nommé, selon les acteurs du système éducatif à divers niveaux pour pallier de nombreux maux qui minent le sous-secteur de l’Enseignement Secondaire au Bénin. La nouvelle politique des autorités éducatives : offrir aux apprenants une gamme plus large de choix. C’est pourquoi Karl Chrysostome Dofonnou dira tout heureux : « Cette décision est une très bonne décision que nous saluons tous ».
Gloria ADJIVESSODE (Stag)