La qualité de l’enseignant et de l’enseignement reste l’une des priorités du gouvernement. Depuis le lundi 13 janvier 2020, Salimane Karimou, ministre en charge des Enseignements Maternel et Primaire, à travers le communiqué N° 0103/MEMP/DC/SGM/DEP/SEP/SA, contraint les promoteurs d’établissements privés à recruter, à compter de la rentrée scolaire 2020-2021, uniquement les titulaires du BAC, CEAP, CAP. Dans cette enquête, chaque promoteur d’établissement renseigne sur les dispositions prises en respect au communiqué.
«Je ne pense pas encore à comment faire pour respecter cette décision. Il y a deux défis à relever. Le premier défi, c’est comment terminer l’année 2019-2020 en beauté. Que faire pour que les enfants puissent réussir à l’examen et passer en classe supérieure ? Déjà, l’année a été bouleversée par le recrutement des aspirants en pleine année scolaire. Le second défi est celui de la Covid-19 qui est intervenue maintenant avec la psychose que nous savons. Tout le monde se demande comment l’année va se terminer. Penser aujourd’hui au recrutement à la rentrée scolaire 2020-2021 n’est pas dans la ligne de mire des fondateurs et directeurs des écoles privées, déjà que l’on ne sait pas quand est-ce que l’Etat va recruter ces aspirants cette année. Est-ce que c’est pendant les vacances ou c’est encore au début de l’année ? Franchement, il n’y a pas de dispositions prises à ce niveau. Aujourd’hui, ce n’est pas notre préoccupation du moment ». Ainsi s’est exprimé Darius Célestin Awohouédji en sa qualité du Président du Patronat des Etablissements Scolaires Privés du Bénin (PESPB) et fondateur du Complexe Scolaire Monseigneur Brésillac à Akassato pour renseigner sur les préoccupations qui sont actuellement celles des promoteurs d’écoles privées qui ne trouvent pas réponses dans le communiqué du ministre des Enseignements Maternel et Primaire. L’avènement de la pandémie de la Covid-19 ralentit les activités scolaires et plusieurs acteurs de l’éducation sont dubitatifs sur l’issue de l’année scolaire. « En termes clairs, aucune disposition n’est encore prise en respect à cette décision au niveau du patronat. Mais ce qui est sûr, une concertation aura lieu dans les jours à venir », dira, pour sa part, Raphaël Tamadaho, Vice-président du PESPB et directeur du complexe d’enseignement technique et général Bethesda pour appuyer son homologue dans ses propos avant d’ajouter que des dispositions sont prises certainement au niveau de chaque école. En outre, ils n’ont pas manqué de réagir sur les raisons qui peuvent motiver l’autorité ministérielle à opter pour le recrutement de cette catégorie d’enseignants.
De l’appréciation du communiqué …
Compte tenu de la faiblesse généralisée du niveau des apprenants et des enseignants, le ministre aurait souhaité relever le niveau de l’enseignement. « Il y a la volonté du gouvernement de relever l’enseignement de base qui va désormais jusqu’en terminale. Donc, le minima de tout apprenant devrait être le niveau de la terminale. Entre temps, c’était le CEP et après BEPC. Maintenant, le gouvernement vise la classe de terminale comme niveau minimal de base des Béninois. Je pense que ce serait certainement pour ces raisons que cette note a été prise », a dit le Président du PESPB pour justifier la décision. Pour Robert Sovidé, directeur du CS Lumen Christ sis à Akpakpa, cette décision est attendue. « C’est salutaire. Il y a une grande différence en termes de connaissances entre les titulaires du BEPC et ceux des diplômes professionnels. Les titulaires du BEPC manquent de professionnalisme », a-t-il fait observer avant d’applaudir cette réforme dans le privé. « De nos jours, nous constatons que le niveau des apprenants baisse de façon inquiétante. Il suffit de les écouter parler et vous vous rendez compte des erreurs de tous genres. Ce qu’ils produisent comme devoir à l’école ou à l’examen laisse à désirer. Ceux qui ont le BEPC sont en quelque sorte le véritable problème de l’éducation dans le pays », dira, pour sa part, Raphaël Tamadaho, professeur d’histoire-géographique avant d’ajouter que le ministre a vu juste en prenant cette décision pour que la situation soit corrigée. A la lumière des différentes interventions, il ressort que les titulaires du BEPC sont les maillons faibles du système éducatif, notamment dans les établissements privés. Faut-il donc se contenter d’interdire le recrutement des détenteurs du BEPC pour allumer les faisceaux de l’espoir dans les établissements privés ? Avec le recrutement des titulaires du BAC, du Certificat Elémentaire d’Aptitude Pédagogique (CEAP), du Certificat d’Aptitude Professionnel (CAP) au cours de l’année scolaire 2020-2021 au privé, aura-t-il une amélioration parlant de la qualité de l’offre éducative ?
Des conséquences de cette décision …
Suivant les résolutions du Plan Sectoriel de l’Education Post 2015, sont éligibles pour participer aux concours d’entrée dans les ENIs, les titulaires du BAC. Une réforme qui semble trouver un écho favorable chez Raphaël Tamadaho, professeur d’Histoire-Géographique et VP du PESPB. Néanmoins, il émet un bémol par rapport à cette réforme qui prend effet à compter de l’année scolaire 2020-2021 dans le privé. « Il faut ajouter que le tout ne suffit pas de prendre les gens qui ont le niveau BAC, le CEAP, le CAP dans les écoles privées. Il faut aussi un recyclage pour ceux-là afin qu’ils soient à la hauteur de la tâche, parce qu’on ne leur apprend plus la grammaire, la conjugaison, les notions élémentaires dans la formation professionnelle qu’ils reçoivent. Ils sont plus moulés dans la pédagogie, la psychopédagogie. Donc, si c’est quelqu’un qui a le CEAP avec niveau BEPC, le problème va demeurer », nuance-t-il pour monter aussi la limite des possesseurs des diplômes professionnels. Son collègue Darius Célestin Awohouédji du même patronat ouvre, à son tour, la boîte à pandore. Pour lui, trois problèmes vont se poser dès l’exécution de cette décision dans les établissements privés à la rentrée scolaire prochaine. La banalisation du Brevet d’Etudes du Premier Cycle dans le système éducatif surtout à la faveur des concours d’entrée à la fonction publique, la brutalité de la décision sans l’analyse des conséquences et le tâtonnement à observer dans le déroulement des activités pédagogiques par les titulaires des diplômes professionnels sans expériences. « En premier lieu, nous allons progressivement vers le sort qui est réservé au CEP. Aujourd’hui, on ne passe plus de concours avec le CEP comme diplôme de base. Nous passons progressivement à cette situation. Ce ne serait plus dorénavant le BEPC. Les anciens avaient le CEP, pourtant ce diplôme était d’une grande valeur que le BEPC et le BAC d’aujourd’hui. C’est vraiment dommage parce que pour relever le niveau, il n’est pas forcément question de s’en tenir aux diplômes académiques. Deuxièmement, l’année 2020-2021 est très tôt. On aurait pu demander que la décision prenne effet à partir de 2022-2023, parce que ceux qui sont enseignants aujourd’hui et titulaires du BEPC après 3 ans d’ancienneté ont la possibilité de passer le CEAP écrit et réussir. On aurait pu leur donner une chance de trois ans afin qu’ils régularisent leur situation. Cela pouvait créer une sorte d’émulation à ces titulaires du BEPC qui n’ont pas un diplôme professionnel. Donc, c’est trop tôt. Le troisième problème, nous allons tâtonner et nous rechercher, car les titulaires du baccalauréat qu’on demande n’ont pas de diplômes professionnels, ils n’ont pas d’expériences professionnelles. Ceux qui ont le BEPC ont des expériences professionnelles. On va les laisser et demander qu’on prenne les titulaires du BAC alors que ceux qui sont titulaires de diplômes professionnels, l’Etat les arrache et les recrute comme des aspirants pour servir dans les écoles publiques », a-t-il détaillé d’une voix gutturale sans occulter le fait qu’un chômage grandissant va s’observer dans le rang des titulaires du BEPC. « Attention », semble dire son collègue Raphaël Tamadaho en justifiant que : « cette décision vient pour renforcer ce que nous faisons déjà au niveau des privés, car avec les enseignants que nous avons, nous faisons déjà des merveilles et si le niveau est amélioré, nous ferons mieux. Il faut que les recrutements prochains puissent s’inspirer de cette décision pour le bien-être de nos enfants ».
C’est le désespoir dans le rang des titulaires du BEPC désireux d’embrasser le métier d’enseignant dans les établissements privés. Du moins, c’est la panique au sein de cette catégorie d’enseignants détenteurs de ce diplôme académique et qui ont des années d’expériences dans le métier. Ils ne sont plus éligibles pour être recrutés dans les établissements privés pour le compte du recrutement d’enseignants à la rentrée scolaire 2020-2021, si on s’en tient au communiqué cité plus haut. Pourtant, ils font partie intégrante des enseignants qui participent à la conduite et à l’évolution des activités pédagogiques dans ces établissements. Néanmoins, leur retrait du système éducatif n’est pas sans conséquences sur les séquences pédagogiques.« Avec cette décision, on ne va plus exiger les titulaires du BEPC. Ceux qui auraient le BEPC vont rentrer progressivement dans le chômage s’ils ne cherchent pas les moyens pour avoir d’autres diplômes», fait savoir Darius Célestin Awohouédji, Président du Patronat des Etablissements Scolaires Privés du Bénin (PESPB) pour avertir sur l’un des effets de ce toilettage dans le privé. Selon lui, aucune reconversion professionnelle n’est envisagée par les promoteurs et directeurs d’écoles privées au profit des détenteurs du diplôme du BEPC. La formation professionnelle est le recours proposé à cette catégorie d’enseignants pour rester dans les bonnes grâces des fondateurs d’établissements privés. Cependant, certains promoteurs d’établissements privés ne sont pas prêts à remercier cette catégorie d’enseignants qui restent d’une grande utilité pour leurs établissements.
De l’obligation d’une formation professionnelle à la non-rétroactivité de la loi…
« S’ils veulent continuer dans le système éducatif, ils doivent se faire former et revenir. S’ils reviennent, on va les prendre. Nous n’avons pas de problème avec eux », a déclaré à Educ’Action Robert Sovidé, directeur du CS Lumen Christ à Akpakpa renvoyant ainsi les enseignants détenteurs du BEPC à régulariser leur situation académique et professionnelle afin de bénéficier à nouveau de la confiance de leurs établissements de provenance. Darius Awohouédji, Président du PESPB va renchérir en martelant que : « ceux-là seront obligés de se conformer parce que l’Etat a fixé les normes. Donc, ils doivent s’organiser pour avoir le diplôme professionnel ou le baccalauréat. C’est suicidaire de mettre en application cette décision à la rentrée scolaire 2020-2021, mais nous serons obligés de faire recours aux compétences des titulaires du BEPC qui ont une certaine expérience que nous allons former, car les détenteurs de diplômes professionnels sont vite recrutés par l’Etat ». Il y aura, justifie-t-il, une bataille à faire parce que les brevetés qui sont dans les écoles devront rester à la maison. Se fondant sur la non-rétroactivité de la loi, Raphaël Tamadaho, VP du PESPB pense que c’est à la faveur des nouveaux recrutements que cette décision sera applicable. Cependant, la reconversion professionnelle des titulaires du BEPC n’est pas sa préoccupation de l’heure. « Nous ne pouvons pas dire que les titulaires du BEPC avec des années d’expériences seront, du coup, reconvertis. Ils seront toujours là, on va continuer à travailler avec eux. Nous ne pouvons pas du jour au lendemain les remercier », a-t-il confié renouvelant ainsi sa confiance à cette catégorie d’enseignants pour ce qui concerne son école. Par ailleurs, cette réforme qui va prendre effet à la rentrée scolaire 2020-2021 dans les établissements privés n’est pas sans conséquences sur l’enseignement. « L’enseignement, c’est de l’art et la pédagogie est une science. La pédagogie ne s’acquiert par du jour au lendemain. Même si on prend celui qui a la licence et la maîtrise pour commencer l’enseignement au Primaire aujourd’hui, il va tâtonner avant d’acquérir de l’expérience. On ne s’improvise pas enseignant et cela se forge durant des années », alerte Raphaël Tamadaho avant d’ajouter qu’une meilleure place est réservée depuis des années aux titulaires du BAC dans son complexe. Ayant la moitié de ses enseignants dans cette condition, Darius Awohouédji, fondateur du Complexe scolaire Monseigneur Brésillac à Akassato plaide pour qu’on donne une chance à ces enseignants pour leur permettre de se présenter aux examens professionnels. Par ailleurs, il déclare qu’il est normal de faire des réformes dans le système éducatif mais qu’elles soient à visage humain en tenant compte des réalités sociales.
Des explications du DEP…
Selon Blaise Agossa, directeur de l’enseignement primaire du Ministère des Enseignements Maternel et Primaire, cette décision s’inscrit dans le cadre des réformes en cours et précisées dans le Plan Sectoriel de l’Education Post 2015 qui se veut rectangulaire. « Si on a dit de recruter les titulaires du BAC, c’est sous réserve de leurs formations. Même si on recrute les titulaires du BEPC, on ne pourra pas les former plus tard. Il n’y a pas une formation à leur profit. Nous avons fini avec la formation des enseignants à niveau BEPC. Nous sommes désormais dans une situation transitoire. Ceux qui ont le BEPC et le CEAP peuvent être recrutés, c’est également en respect au PSE-Post 2015 que cette décision a été prise », a-t-il clarifié pour montrer ainsi que c’est une décision qui tire sa légitimité dans les résolutions ayant débouché sur l’adoption de la nouvelle charpente du système éducatif dans notre pays.
Enock GUIDJIME