Interdiction d’activités des organisations estudiantines : Une déferlante opposition, le rectorat prudent, le gouvernement apaise - Journal Educ'Action - Éducation au Bénin et dans le monde
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Interdiction d’activités des organisations estudiantines : Une déferlante opposition, le rectorat prudent, le gouvernement apaise

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Après l’adoption, le 28 septembre 2016, d’une nouvelle carte universitaire qui légitime désormais quatre entités universitaires publiques au Bénin (deux pluridisciplinaires, deux thématiques), le gouvernement du Président Patrice Talon est passé à la vitesse supérieure, interdisant sans ambages les activités des organisations estudiantines dans lesdites universités. Depuis lors, les voix s’élèvent, tous azimuts, au sein de l’opinion et les langues, parfois très acerbes, se délient pour, soit vertement critiquer la décision gouvernementale, soit l’approuver au grand dam de la posture syndicale affichée par les responsables des mouvements estudiantins. Educ’Action, dans ce papier spécial, se préoccupe aussi de la question pour vous donner à lire sur les tendances et camps qui s’affrontent verbalement au sujet de la pertinence de la mesure à polémiques.

Réunis dans la ville de Bohicon, du 13 au 16 septembre 2016, autour du séminaire-atelier d’évaluation de la mise en œuvre du système LMD (Licence-Master-Doctorat), les participants, en l’occurrence des acteurs de la communauté universitaire, ont suggéré la suppression, pure et simple, de la gratuité des inscriptions aux étudiants. Cette proposition a fait couler beaucoup d’encres et de salives. Des réactions de protestation et de dénonciation ont fusé aussitôt de partout, surtout dans le rang des organisations estudiantines qui ont marqué et affiché leur indignation. Car, à en croire leurs propos, la mesure de gratuité relève depuis des années d’un acquis. A cette situation déjà délétère qui présage d’un début de crise, vient se greffer la tumultueuse décision gouvernementale, celle qui consacre l’interdiction de manifestations des organisations estudiantines dans les universités publiques du Bénin. «… Le conseil réaffirme avec les autorités rectorales que l’université est un haut lieu du savoir où doivent être garantis à tout moment, la paix, la sécurité et le libre accès aux campus. Face à la recrudescence des faits de violence et de vandalisme et pour des raisons inhérentes à l’ordre public, le conseil a pris les deux décisions suivantes : la première, toutes les fédérations, unions, associations ou organisations faîtières d’étudiants sont interdites d’activités dans toutes les universités nationales. Deuxièmement : les conditions d’exercice d’activités et/ou de reconnaissance des associations d’étudiants sont définies par décret pris en conseil des ministres… », indique, en substance la décision du gouvernement. Dès lors, tous les ingrédients sont réunis pour assister à l’implosion en milieu universitaire. Et d’ailleurs, ça n’a pas raté. Depuis plusieurs jours, l’actualité fait le lit à cette préoccupation qui ne laisse plus personne indifférente. Dans les colonnes des journaux, sur les ondes des radios et télévisions, elle constitue le chou gras avec son cortège de menaces et d’invectives. A compter de la prise de ce Décret présidentiel, la Fneb, l’Uneb, encore moins l’Unseb ne pourront plus manifester sur le Campus d’Abomey-Calavi et dans les universités publiques du Bénin.

La révolte des responsables étudiants…

Comme on pouvait s’y attendre, les responsables d’étudiants n’ont pas caché leur indignation. A l’unisson, les présidents de la Fédération nationale des étudiants du Bénin (Fneb), de l’Union nationale des étudiants du Bénin (Uneb) et de l’Union nationale des scolaires et étudiants du Bénin (Unseb) ont marqué leur opposition à la décision gouvernementale. Prince Boris Aké, président de l’Unseb, estime qu’il s’agit d’un acharnement contre les responsables d’étudiants, eux qui défendent avec abnégation leurs syndiqués, leurs mandants qui sont les étudiants. « … les causes que nous défendons sont justes … c’est donc dommage que le gouvernement prenne une décision en conseil des Ministres pour restreindre les libertés publiques. Vous n’êtes pas sans savoir que la Constitution béninoise, en son article 25, dispose que les uns et les autres sont libres de s’associer et de manifester. Je pense que le gouvernement vient de piétiner cette partie importante de notre loi fondamentale », a-t-il dit avant de poursuivre : «… vous savez, nous sommes arrivés à un niveau donné dans la lutte. Les faits, les actes que nous contestons sont vérifiables. Nous avons été au séminaire d’évaluation sur le système LMD, il y a quelques semaines à Bohicon. On s’est accordé sur le fait que le système LMD, dans son contenu et en ce qui concerne ces fondamentaux, a bel et bien prévu une session de rattrapage en faveur des étudiants. Donc, je pense que ce problème est vidé ». Selon le président de l’Unseb, les étudiants syndiqués vont continuer à contester par toutes les mesures possibles la décision d’interdiction du gouvernement, une décision qu’il qualifie de liberticide. Son compère Lucien Nicolas Zinsou, président de l’Uneb, a aussi embouché la même trompette. De son avis, cette décision porte atteinte à la liberté d’expression et à la liberté d’association en République du Bénin. « Nous sommes un peu embêté par cette décision parce que nous avons été pendant longtemps secoués et nous sommes toujours secoués par des décisions qui favorisent l’arbitraire, la réaction et le soulèvement. Quand on ne s’attaque pas à la source de ce que nous vivons comme problème et que des décisions surgissent après des négociations vaines, je ne crois pas que c’est en interdisant des activités aux organisations estudiantines qu’on pourrait régler le problème. Je crois qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Si le secteur académique est indépendant, les organisations qui sont également enregistrées au Ministère de l’intérieur doivent être aussi indépendantes et autonomes. On ne va pas permettre à ce qu’on s’ingère dans le fonctionnement des organisations estudiantines pour porter entorse à la liberté d’expression et d’association », a-t-il indiqué. Pour lui, le point de presse du Ministre d’Etat comporte deux arguments majeurs dressés contre les organisations estudiantines et leurs responsables. « Le premier argument agité est que nous recrutons des anciens militaires et le second argument, c’est que nous avons des zones délimitées, des zones de tortures. Je crois que c’est excessivement grave. On n’accuse personne, mais on pourrait dire que c’est excessivement grave qu’on tienne de ces genres de propos à la face du monde. Les gens auront peur de nos universités », a conclu le président de l’Uneb.

La part de vérité de Serge Prince Agbodjan

Invité, ce dimanche, de l’émission 3 D sur la télévision nationale (Ortb), Serge Prince Agbodjan, juriste et analyste politique, a longuement spéculé sur la situation actuellement viciée sur le Campus, une situation née de la décision d’interdiction de manifestations des organisations estudiantines dans les universités publiques prise par le conseil des Ministres. Selon cette personnalité avertie, certains agissements des étudiants, de nos jours, sont à proscrire. Pour lui, l’université n’est pas un ‘’No Man’s land’’, un environnement de non droits où tout peut s’y passer au gré et à la volonté des étudiants. Toutefois, il désapprouve la procédure du gouvernement. La liberté d’association est consacrée par la Loi fondamentale. Il s’étonne alors que le gouvernement veille réviser une disposition constitutionnelle à travers un Décret. A l’en croire, l’impunité et la légèreté font partie des maux dont souffre le campus d’Abomey-Calavi.

L’Alliance FCBE à la rescousse des étudiants

Le regroupement politique de l’ancien chef de l’Etat, l’Alliance Forces Cauris pour un Bénin Emergent (FCBE), s’est dit consterner par le compte rendu du conseil des Ministres du 05 Octobre 2016. A la faveur d’une déclaration de presse, Eugène Azatassou, président de cette alliance, a désapprouvé le contenu du relevé gouvernemental. « Par une telle mesure, le gouvernement de la rupture a violé allègrement les dispositions de l’article 25 de la Constitution du 11 Décembre 1990 qui consacrent les libertés démocratiques, notamment la liberté d’association et d’organisation acquise par notre peuple à la Conférence nationale des Forces Vives de février 1990. Il s’agit là d’une décision anti-constitutionnelle qui rétrograde le processus démocratique dans lequel s’est engagé notre peuple depuis 26 ans. Aucun gouvernement avant l’avènement du régime de la Rupture et même aux plus forts moments des contradictions entre les acteurs sociaux et les régimes successifs, n’a osé franchir un tel cap », a-t-il souligné. Selon lui, il plait à l’Alliance Forces Cauris pour un Bénin Emergent de rappeler à la mémoire du peuple béninois le rôle déterminant joué par les mouvements et associations d’étudiants ainsi que les énormes sacrifices consentis par eux, pour l’avènement de la démocratie au Bénin. « Cette mesure anti-démocratique, à l’analyse, fragilise notre modèle démocratique et interpelle toutes les organisations et les partis politiques épris de paix, de liberté et de justice quelles que soient les contradictions et autres considérations par ailleurs. C’est pourquoi, au-delà des condamnations justes et légitimes enregistrées à ce jour, l’Alliance FCBE estime que la riposte doit-être collective… », a-t-il lâché au cours de sa sortie médiatique.

Les syndicats haussent le ton…

Les syndicats ont aussi leurs avis sur la situation. C’est le cas des centrales et Confédérations syndicales qui ont aussi critiqué la décision du gouvernement. Dieudonné Lokossou de la CSA-Bénin, Paul Essè Iko de la CSTB et Noël Chadaré de la COSI-Bénin ont vertement dénoncé la mesure gouvernementale. Selon eux, il est à criante qu’après les étudiants, le gouvernement décide de museler les syndicats et bien d’autres corps de métiers et corporations. Ils invitent donc le gouvernement à revoir sa copie au nom de la liberté d’association et d’expression. Pour le secrétaire général de la CGTB, il s’agit d’ « une grave entrave aux liberté ».

La réaction des autorités rectorales attendue

Joint au téléphone dans la conduite de ce dossier, Serge-Armel Attenoukon, le Chef de la Cellule de communication du Rectorat de l’Université d’Abomey-Calavi se refuse de se prononcer sur cette actualité qu’il qualifie par ailleurs de sensible et de délicat. Il s’en remet à la voix la plus autorisée qui est celle du Recteur Brice Augustin Sinsin ou de ses adjoints, tous absents pour raison de mission. On attendra encore leur retour pour enfin avoir l’avis officiel du Rectorat sur cette déferlante actualité.

Le gouvernement apaise…

Du côté du gouvernement, on joue à la carte d’apaisement. Selon l’équipe gouvernementale, il ne s’agit pas de restriction des libertés, mais d’une mesure qui participe d’un ensemble de dispositions visant à réformer le fonctionnement des entités et institutions universitaires publiques du Bénin. Elle invite tout le monde au calme, en l’occurrence les étudiants à ne pas verser dans le désordre.
Pour l’heure, la situation demeure critique et il est à souhaiter que les différentes parties aillent à une table de négociations et de discussions pour une sortie de crise.

Edouard KATCHIKPE

 

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