Hervé Kinha, coordonnateur CBO-EPT, à propos de l’extension de l’éducation de base : « Nous sommes à l’étape d’actualisation de la note d’analyse du système éducatif » - Journal Educ'Action

Hervé Kinha, coordonnateur CBO-EPT, à propos de l’extension de l’éducation de base : « Nous sommes à l’étape d’actualisation de la note d’analyse du système éducatif »

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Ambition portée par le gouvernement depuis plus d’un an, l’extension de l’éducation de base jusqu’en classe de Terminale n’est pas encore concrétisée. Cette réforme est encore dans les arcanes administratives. Pour en savoir davantage, votre journal Educ’Action a réalisé cet entretien avec Hervé Kinha, coordonnateur de la Coalition Béninoise des Organisations pour l’Education Pour Tous (CBO-EPT). Avec lui, il est question de rappeler le contexte d’annonce de cette réforme et le niveau d’avancement des travaux de sa mise en oeuvre. Lisez plutôt !

Educ’Action : D’où est venue cette réforme ?

Hervé Kinha : Depuis 2014, à l’issue du forum national sur le secteur de l’éducation, les acteurs du système éducatif ont identifié un certain nombre de défis majeurs. Ces défis s’arriment à la vision mondiale de l’éducation qui était en construction en ce moment. Vision qui a été adoptée finalement à l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2015 et est entrée en vigueur à partir du 1er janvier 2016. Il s’agit des ODD. Dans ce partenariat pour le développement durable, c’est l’ODD 4 qui se focalise sur le secteur de l’éducation. Je puis dire que le Bénin s’est déjà préparé pour entrer dans cette cadence en arrimage avec la vision que prône l’ODD 4 qui est de faire en sorte que tous les enfants puissent aller à l’école sans discrimination, sans distinction de race et qu’il y ait des opportunités d’apprentissage pour tout le monde tout au long de la vie. Dans cet ODD, ce qui est soumis est que l’éducation de base va jusqu’en classe de 3 ième. Pour fixer ce seuil de l’éducation de base jusqu’en 3ième, on est parti des constats antérieurs. Par exemple, lorsque nous avons parlé de l’éducation pour tous jusqu’au CM2, on s’est rendu compte que les enfants qui atteignent la classe de CM2 et abandonnent le système retombent dans l’analphabétisme. Ça veut dire que les acquis scolaires n’étaient pas bien solides et qu’il faille rehausser un peu le niveau de l’éducation de base pour que ces enfants qui atteignent l’éducation de base puissent être autonomes de façon permanente durant toute leur vie. C’est pourquoi l’éducation a été mondialement portée jusqu’en classe de 3ième.
Deux ans de préscolaire et 10 ans pour le primaire et le secondaire. Donc c’est l’engagement que le Bénin a pris aux Nations Unies en septembre 2015 et en novembre de la même année, à la faveur de l’élaboration du cadre de l’éducation 2030 à l’UNESCO. Le Bénin a participé à l’élaboration de ce cadre de l’éducation et a pris l’engagement de veiller à ce que l’éducation de base universelle soit 12 ans. C’est sur cette base qu’au niveau de la société civile, les PTF et même les acteurs institutionnels se sont engagés pour élaborer, concevoir la politique nationale de l’éducation que nous avons appelé le Plan Sectoriel de l’Education 2018-2030. Ce plan a été endossé par tous les PTF dont la CBO-EPT. Dans ce plan, il y a des phases. La première phase, c’est de 2018 à 2021 où on devrait faire une première évaluation pour voir si les hypothèses de départ ont été fructueuses ou qu’est-ce qu’il faut arranger pour la deuxième phase. Nous en étions là quand à la rentrée scolaire 2019-2020, le chef de file des ministres de l’éducation a annoncé le démarrage de la mise en œuvre effective de la politique nationale de l’éducation 2018-2030. Quelques mois plus tard, les autorités au plus haut niveau nous (PTF, organisation de la société civile) ont réunis pour nous annoncer leur ambition de porter l’éducation de base jusqu’en classe de Tle.

Comment avez-vous reçu cette information dans le temps ?

J’avoue que nous étions tous étonnés. Selon les explications des autorités, c’est que le Bénin a l’ambition de développer davantage le sous-secteur de l’enseignement technique et de la formation professionnelle. Et lorsqu’on regarde l’âge des enfants qui atteignent l’éducation de base dans le système, on voit qu’ils sont trop petits et ne sont pas employables. La solution qu’ils ont trouvée, c’est de porter l’éducation de base jusqu’en classe de Tle et comme ça, on fera en sorte que ces enfants puissent avoir un âge vraiment raisonnable avant d’intégrer le marché de l’emploi afin d’être autonomes. Pour nous, c’est vraiment une belle réflexion. Nous respectons la décision, mais nous leur avons fait savoir nos craintes. Il y a beaucoup de dysfonctionnements qui persistent depuis l’éducation pour tous jusqu’en classe de CM2 et qui continuent de s’aggraver avec le portage de l’éducation jusqu’en Tle. Et, ces dysfonctionnements ne sont pas encore résolus. Il s’agit de la question du financement, de l’égalité genre, le parcours scolaire des élèves dans le système éducatif (c’est à peine 54% des enfants qui entrent au CI et qui arrivent au CM2). Dans ces circonstances, c’est à peine 60% de ces enfants qui atteignent la classe de 3ième. Au fur et à mesure qu’on monte dans le système, l’écart se creuse. Bref, il y a beaucoup de déperdition en milieu scolaire.
Ce que nous comprenons de l’éducation de base est que le gouvernement doit mettre en place des mécanismes pouvant permettre à tous les enfants qui entrent de rester jusqu’à la fin de l’éducation de base. Lorsque les enfants ont des difficultés dans leur parcours, on peut les orienter dans le sous-secteur de l’enseignement technique. Voilà qu’on veut porter l’éducation de base jusqu’en classe de Tle et on n’a pas fini de régler les problèmes de déperdition, la prise en charge éducative des enfants hors du système scolaire. Le dernier recensement général de la population affiche qu’il y a au Bénin 1.900.000 enfants de 3 ans à 17 ans qui sont hors de l’école. C’est préoccupant et ça nous interpelle tous parce que le Bénin fait beaucoup d’efforts en matière de financement du secteur de l’éducation. Le souci c’est comment contenir le flux des enfants qui entrent au CIpour leur permettre de rester dans le système jusqu’en classe de 3 ième comme ce qui est mondialement souhaité. Maintenant, dire qu’on veut porter l’éducation de base jusqu’en classe de Tle, cela voudra dire que le Bénin va être un pays isolé de notre point de vue. C’est une ambition noble qu’on doit soutenir mais au regard des expériences antérieures, nous, nous ne sommes pas sûrs que nous avons les dispositifs institutionnels, matériels qu’il faut pour le faire. Pour porter l’éducation de base jusqu’en classe de Tle, nous devons normalement élaborer ce qu’on appelle ‘‘le cadre commun de compétences’’ c’est-à-dire le profil qu’un enfant qui quitte le CI aura en classe de Tle ou son profil de sortie de la classe de Tle.

A quelle étape est le processus d’actualisation de cette réforme ?

Je puis dire que j’ai participé à deux travaux de relecture de la note d’analyse du système éducatif. Nous sommes à l’étape d’actualisation de la note d’analyse du système éducatif. Il s’agit de connaître la situation actuelle de l’éducation sur le plan de la scolarisation, de la qualité, de l’égalité genre, du pilotage et de la gouvernance.

Quel est votre mot de la fin ?

L’initiative du portage de l’éducation de base jusqu’en classe de Tle n’est pas mauvaise en soi si le gouvernement s’y engage. L’engagement du gouvernement doit se traduire par les moyens financiers et la mise en place d’un certain nombre de dispositifs institutionnel et organisationnel pour réussir ce portage. Si le gouvernement est prêt pour ça, nous le soutenons fermement.

Propos recueillis par Enock GUIDJIME

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