L’institut Cerco de Cotonou a abrité il y a quelques jours, un colloque en partenariat avec des universitaires français et américains sur le thème : humanités numériques. Il s’agissait essentiellement pour les participants de se poser un certain nombre de questions sur les humanités numériques qui constituent de nos jours, un sujet de développement en pleine expansion. Gilbert Capo-Chichi, directeur des relations publiques, de la coopération et du développement de l’Institut Cerco revient au cours de cette interview sur les tenants et les aboutissants de ce colloque.
Educ’Action : Qu’entend-on par humanités numériques ?
Gilbert Capo-Chichi : Les humanités numériques, c’est l’ensemble des usages, des productions et des matériels qui rentrent en compte dans la création, l’identification, la diffusion, le traitement, le stockage et la capitalisation des œuvres. C’est ce que je peux dire si je m’inscris dans une posture constructiviste.
Pourquoi avoir organisé un tel colloque au Bénin ?
Il faut comprendre que la création artistique numérique ou simplement la littérature numérique a toujours été un sujet complexe traité dans plusieurs secteurs de l’éducation et au niveau de la recherche. L’organisation de ce colloque s’explique par le fait que les années antérieures, ces colloques ont été organisés dans les pays anglophones tels que le Nigéria et le Ghana. C’est lors d’un colloque scientifique que nous avons rencontré les collègues français et américains à qui nous avons proposé de venir voir au Bénin les opportunités et les ouvertures qu’il y a en matière d’humanités et de littérature numériques. En réalité, il s’agit aujourd’hui de stimuler la créativité en matière de littérature artistique, d’œuvres artistiques au niveau d’un certain nombre d’acteurs, d’auteurs, de professionnels et de chercheurs et de voir dans quelles conditions on peut avoir des thèmes de recherche qui sont rattachés à la création artistique numérique et aux humanités numériques en Afrique en général et au Bénin en particulier. Il y a donc eu des séances de workshop c’est-à-dire des séances où nous avons organisé des formations sur des applications spécifiques pour passer d’une écriture simple de Word, Excel ou de n’importe quelle application vers une création numérique en matière de réalisation de bouquin. De même, comment passer d’un audio ou une vidéo pour une création numérique. Voilà les trois éléments autour desquels nous nous sommes appesantis pour travailler. Durant ce colloque, nous nous sommes posés un certain nombre de question : quelles sont les conditions de possibilités d’octroi de bourses aux étudiants en matière de pratiques et de créations d’œuvres numériques ou de littérature numérique. On s’est dit qu’il va nous falloir redéfinir ce qu’est la littérature numérique dans un contexte africain et au Bénin en particulier. On a constaté qu’au Bénin, il y a déjà un certain nombre d’acteurs qui s’investissent dans les créations artistiques numériques tels que Florent Couao-Zotti, Guézo, K Mal et autres. Tous ceux-là étaient venus pour discuter et voir quels types d’opportunités peuvent se présenter à eux à partir de ce colloque.
Quelles sont les activités au programme de ce Colloque ?
Au cours de cette conférence, il y a eu deux ateliers. Le premier a porté sur les bases sur lesquelles nous pouvons envisager la création d’axe de recherche et le deuxième, s’est adressé aux étudiants en licence et en master qui ont bénéficié d’une formation.
Quel est l’état des pratiques au Bénin en matière d’humanités numériques ?
Une étude de l’existant nous a montrée que les béninois sont vraiment outillés et opérationnels en matière de créations artistiques et littérature numérique. Mais le problème qui s’est posé, c’est qu’ils ne se rendaient pas compte qu’ils faisaient de la littérature numérique ou de la création artistique numérique. Ce sont des outils comme Aris, Fijus qui ont été évoqués par des chercheurs et qui ont été mis à la disposition de ce public pour qu’ils se rendent compte de ce qu’ils faisaient. Donc, ils ont compris qu’il y avait une passerelle entre leurs créations, leurs littératures et ce que nous appelons aujourd’hui littérature numérique et humanités numériques. L’intérêt n’était pas de bousculer ce qui existe comme dispositif mais d’y apporter une amélioration pour qu’aujourd’hui, la création béninoise en matière de création artistique numérique puisse avoir une place au plan national et international et également sur la toile.
Quel intérêt le Bénin a-t-il à adhérer aux pratiques des humanités numériques ?
Le Bénin est aujourd’hui dans un monde globalisé. On parle aujourd’hui de la globalisation et de la numérisation des procédures. On ne peut travailler aujourd’hui dans n’importe quel domaine sans évoquer l’introduction des TIC. La question est de savoir quel intérêt le Bénin a aujourd’hui à se faire connaître en matière de créations artistiques numériques. Je vous donne un exemple. Nous avons un grand cinéaste et artiste qui a beaucoup de productions au « frigo », mais qui se plaint toujours du fait que ces œuvres ne sont pas connues à l’international. Aujourd’hui, il est prêt à ce que certains jeunes l’accompagnent pour la création d’une plateforme numérique afin de mieux faire connaître ses productions. Je veux nommer le cinéaste Tola Koukoui. Ce dernier est venu ici et a fait des projections cinématographiques qui nous ont montrées que l’histoire du Bénin, qui, aujourd’hui, est connue par les béninois mais est rejetée par des gens qui ont été à la base de cette histoire peut être travaillée, convertie, mise sous forme de créations artistiques numériques pour avoir plus d’ora, et avoir plus de visibilité au plan international. Tola Koukoui a plaidé pour que des jeunes formés à CERCO et lors de ce colloque puissent prendre leurs responsabilités et accompagner eux-autres acteurs de cinéma à ne plus avoir une antipathie pour les TIC, afin que par elles, ils fassent connaître à l’international, leurs œuvres. Un autre cas, c’est un enseignant de l’UAC qui est auteur et dramaturge qui a été invité à ce colloque mais qui n’est plus revenu pour participer aux activités. Je lui ai demandé : « mais professeur pourquoi vous n’êtes plus revenu pour participer aux activités ? » Il m’a répondu ceci : « je savais qu’il y aura un groupe de jeunes qui vont maitriser beaucoup de choses et qui vont évoquer des thèmes que je ne vais pas maîtriser. C’est pour cela que pour ne pas me mettre dans une situation où je ne vais rien comprendre, je me suis dit qu’il fallait me soustraire ». Et à moi de lui répliquer : « vous avez eu tort professeur car il y avait Tola Koukoui qui est aussi de votre génération mais qui était là ». Il y avait un représentant du recteur qui est venu de la Flash et qui a loué l’initiative.
Quel était le réel intérêt de ce Colloque ?
L’intérêt de ce colloque était d’amener ceux qui sont encore réticents à remettre leurs créations pour qu’elles soient numérisées afin de leur donner encore plus de visibilité. Mieux encore, on a été formé sur des bases de données qui existent aujourd’hui au plan mondial où la création artistique béninoise peut désormais avoir une connotation c’est-à-dire être publiée et indexée via ces bases de données qui constituent des revues internationales de cote A, où, nous pourrons aussi publier nos activités en matière de recherche.
Quels impacts ces humanités numériques peuvent-elles avoir sur l’éducation ?
Nous avons des pratiques endogènes qui ne sont connues de personne mais qui constituent des richesses aujourd’hui. Nous parlons de la numérisation des vestiges et des documents sensibles qu’on doit pouvoir conserver et mettre en ligne. Si on ne forme pas aujourd’hui cette génération sur ces pratiques, comment pourront-ils le faire ? A partir de cela, il est question de voir comment la littérature électronique ou les écritures numériques peuvent répondre à la culture béninoise. Comment les pratiques numériques peuvent-elles contribuer au développement culturel béninois ? On doit pouvoir l’intégrer dans l’enseignement, car cela devient une obligation aujourd’hui. Mais malheureusement, vous savez plus que moi que nos programmes ne sont pas conçus pour aller dans cette direction. C’est vrai que nous ne prenons pas tout pour faire tout, mais nous aussi, nous essayons d’être présents sur les thématiques qui font le développement aujourd’hui tout en tenant compte de nos réalités sociologiques et anthropologiques. Nous arrivons à adapter ces réalités à nos cultures pour que le Bénin existe sur le plan mondial.
Propos recueillis par Adjéi KPONON (Stg)