S’il existe un domaine dans lequel la plupart des systèmes éducatifs africains tirent le diable par la queue, c’est la statistique scolaire, mieux encore les indicateurs qui encadrent l’école. Dans le sous-secteur de l’enseignement secondaire, une plateforme est en train de relever ce défi : Educmaster. Après l’interview réalisée avec Bienvenu Blassou, directeur des systèmes d’informations du Ministère des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle, Educ’Action s’est rapproché de quelques acteurs en vue de s’imprégner de leur vécu quotidien avec cette plateforme. Reportage !
Il est 16 heures, cet après-midi du 25 Juin 2020 au Collège d’Enseignement Général (CEG) 2 d’Abomey-Calavi où les élèves des classes d’examen s’affairent dans leurs salles. Les plus jeunes de l’établissement jouent au football dans un coin de la vaste cour en attendant qu’il ne sonne l’heure de rentrer à la maison, pendant que Alphonse Djodohou, le surveillant général de l’établissement est presque statique. Voici plus de deux heures qu’il est scotché à l’écran en face de lui. Quand ses yeux quittent l’écran, c’est pour parcourir minutieusement l’une des nombreuses feuilles blanches sur lesquelles sont inscrits les noms des élèves des cinquante-deux (52) groupes pédagogiques de l’année passée et leurs moyennes. Il a besoin d’une concentration digne d’un moine tibétain en pleine méditation pour passer au peigne fin chacune des moyennes des milliers d’élèves de l’année scolaire 2018-2019. L’objectif de ce travail herculéen, c’est de corriger les erreurs commises lors de la saisie des moyennes inscrites dans Educmaster, la plateforme de gestion des établissements publics et privés et de l’administration dans l’enseignement secondaire. En face de lui, le surveillant adjoint balaie la cour de l’école du regard guettant la moindre anomalie quand une élève se pointe dans le bureau dont les portes sont largement ouvertes. Les yeux rouges de colère, elle se présente devant le surveillant général plongé dans ses lectures. A peine le temps de dire « Bonsoir monsieur », elle se plaint d’un camarade qui a, semble-t-il, pris ses stylos. « Toi-là, on vole toujours tes bics », dit le SG la tête baissée, avant d’ajouter : « vas voir le surveillant », en pointant du doigt son adjoint. Le SG est pris par le temps, et la connexion !
Une plateforme multifonctionnelle dévoreuse de connexion…
« Educmaster est une plateforme web créée depuis deux (2) ans, qui permet de piloter le système éducatif dans notre sous-secteur. En réalité, c’est le Système d’Information pour la Gestion de l’Education (SIGE) », affirmait Bienvenu Blassou, Directeur des Systèmes d’Information au Ministère des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle (MESTFP), lors d’un entretien accordé à Educ’Action. C’est pratiquement d’un commun accord que les responsables d’établissement rencontrés ont reconnu que Educmaster est une plateforme qu’il fallait créer pour que l’enseignement secondaire se porte mieux. Logée sur le web, la plateforme nécessite l’activation de forfait internet pour y avoir accès. Sur la question, toutes les personnes interrogées sont unanimes : c’est un vrai consommateur de connexion. La première chose à signaler c’est que, « tel que Educmaster fonctionne, il faut être connecté tous les jours », dixit Alphonse Djodohou, le temps de s’étirer un peu car, il est à la tâche depuis bientôt 48 heures à essayer de faire des corrections sur les moyennes de tous les apprenants de l’école de l’an passé. « Notre souci, c’est la connexion internet. Il faut acheter des forfaits illimités de quinze mille (15.000) francs CFA le mois. Nous avons un modem wifi et lorsque nous achetons les forfaits de quatre mille (4.000) francs CFA ou cinq mille (5.000) francs CFA, ça ne tarde pas », raconte Augustine Dénakpo, directrice du Complexe scolaire La Berceuse. En face d’elle, Alphonse Djodohou, vit la même galère mais à un coup moindre. « Nous sommes jusqu’à 5.000 francs CFA par mois pour la connexion internet », fait-il savoir. D’Abomey-Calavi, rendons-nous à Gogounou, une localité située dans le nord du Bénin. Là-bas aussi, le même problème se pose mais avec plus d’acuité. En plus du coût de la connexion, l’autre problème, c’est l’accès même à la connexion et par ricochet à la plateforme. « Il arrive des fois où on passe toute la journée à essayer de nous connecter. La plateforme ne s’ouvre pas du tout. Parfois, tu cherches une information mais la plateforme rejette pendant toute une journée », se plaint Corneille Anago, directeur du Collège Catholique Notre Dame de la commune. Cela ouvre la porte à l’autre difficulté rencontrée par les acteurs : le temps de travail.
Le temps consacré à la plateforme…
Un autre responsable d’établissement qui a requis l’anonymat fait savoir : « sincèrement dit, si le gouvernement devait sanctionner, on serait tous sanctionné parce que nous n’arrivons pas à renseigner correctement sur la plateforme. Si tu veux bien le faire, tu ne pourras pas faire autre chose dans l’école ». La plateforme est un concentré d’activités scolaires qui doivent être enregistrées en continu, dans une démarche d’instantanéité car, comme l’avait souligné Bienvenu Blassou, « avec Educmaster, nous savons de façon quotidienne tout ce qui se passe au niveau de l’administration et des établissements ». La plateforme exige ainsi l’implication de l’ensemble des acteurs des établissements. « A mon niveau, j’ai été obligée de me mettre aussi à la tâche afin qu’on y arrive », affirme Augustine Denakpo. Interrogé aussi sur le temps consacré à l’outil de pilotage de l’enseignement secondaire, Alphonse Djodohou, surveillant général du CEG 2 Abomey-Calavi partage, à son tour, son expérience : « vous voyez l’heure qu’il fait [16h45 mn, ndr], il faut renseigner les élèves qui viennent en retard et ceux qui ne sont pas venus au cours. Il faut faire la même chose pour les enseignants. Pour un grand établissement comme ici, c’est à chaque heure. La plateforme est conçue de telle sorte que tout ce qui se fait dans l’établissement doit être là-dessus : les registres, les moyennes, la vie scolaire, etc. », fait savoir le surveillant.
L’insertion des enseignants, un os dans la gorge…
Dans le bureau de Augustine Dénakpo, les enseignants défilent. Tantôt pour prendre un registre des notes, demander le cahier de texte ou pour avoir un renseignement sur le reste du temps de l’année scolaire. Le temps d’une accalmie, le pavé est jeté dans la marre : qu’en est-il de l’importation des enseignants sur la plateforme ? Sur la question du reporter de Educ’Action, la directrice se sent gênée et se redresse avant de faire savoir que tout se passe bien même si les choses traînent. Joint au téléphone, Corneille Anago, se veut plus clair : « il y a beaucoup de mouvements au niveau du personnel enseignant à cause des recrutements par-ci et par-là ». Pour Alphonse Djodohou, il y a du travail à faire pour sensibiliser ses collègues qui ne lui facilitent pas la tâche. « Depuis vendredi, j’ai appelé certains pour leur dire que nous devons faire la mise à jour de leurs informations. La liste est affichée, mais ils ne viennent pas. On était obligé de leur dire de fournir les dossiers. C’est à partir de cela que je saisis les données », souligne le principal utilisateur de la plateforme, le visage assombri, avant d’ajouter que généralement, ils n’amènent pas les informations à temps pour qu’on renseigne le site. Comme l’a fait savoir Bienvenu Blassou, Educmaster permet de gérer les heures supplémentaires des enseignants aspirants, les emplois du temps des enseignants et le paiement des heures de vacation. Comme le dit l’adage, on ne fait pas des omelettes sans casser des œufs, le deuxième numéro de ce spécial Educmaster, va aborder les autres facettes de cette innovation.
Adjéi KPONON
Résultat de l’année scolaire 2023-2024