Un établissement scolaire est une machine dans laquelle chaque acteur a une place bien précise. Parmi ces acteurs, les personnels de soutien apportent une touche presqu’indétectable. C’est le cas pour les gardiens dans les établissements qui sont les sentinelles de la sécurité des biens et des personnes dans leur espace. Pour le meilleur et pour le pire, ils sont exposés à diverses situations avec le peu de ressources dont ils disposent. Si certains d’entre eux, ne facilitent pas la tâche aux responsables pédagogiques, d’autres, par contre, se débrouillent comme ils peuvent pour le bien-être de tous. Bienvenue dans l’univers des gardiens d’établissement.
Il est 6 h 45 à Cotonou. Au marché Dantokpa, c’est le grand déballage. Les camionnettes et gros porteurs font le bal des allers et retours pour décharger leurs marchandises sur les deux rives du grand caniveau à ciel ouvert. La fraîcheur matinale de ce 11 février 2022 n’empêche pas le brouhaha sur cette voie pavée des quartiers Mahoulé et Hindé. C’est l’unique artère que les usagers de ce grand marché et les élèves du Collège d’Enseignement Général (CEG) du même nom empruntent pour vaquer à leurs occupations. Bousculades, frottements et gymnastiques diverses sont nécessaires pour se frayer un chemin et ne pas être éclaboussé par les nombreuses flaques d’eau noirâtres qui jonchent le sol. Exit bavettes et autres cache-nez ! Les cure-dents passent et repassent entre les lèvres pour parer au plus pressé et ne pas perdre de vue les coxeurs et tireurs de charrettes qui poussent les marchandises ou les retirent des véhicules. Le parfum des haleines est vite dissipé par l’odeur de putréfaction avancée des différents produits, elle-même, absorbée par les odeurs nauséabondes du grand caniveau.
Au milieu de cette valse matinale rythmée par une cacophonie qui ne dit pas son nom, les apprenants du CEG Dantokpa essaient de se frayer un chemin pour ne pas être en retard. Efforts vains pour la majorité d’entre eux, ils ont été rattrapés par le temps. Il est 7h00 et le second portail se referme. Si certains ont pu franchir in extremis l’entrée secondaire de ce lieu de savoir, les retardataires devront faire le guet. Dans leur position de planton devant le fronton de l’établissement, ils attendent leur salut qui viendra de la bonne volonté de celui qui leur ouvrira le portail. Ce sauveur, c’est le gardien de l’établissement.
Un sous-effectif qui menace la sécurité des usagers
Au CEG Dantokpa, le bloc administratif est l’un des premiers bâtiments qui vous accueille. La directrice est Rachidatou Seydou Orou Bagou. Rencontrée dans son bureau au retour d’une visite de certaines classes de son établissement, la responsable fait la lumière sur la situation des gardiens qui veillent au grain dans son établissement. « Pour ce grand collège, on devrait avoir normalement quatre agents de sécurité mais on en a qu’un seul en poste affecté par l’État. Nous avons été obligés nous-mêmes, avec nos maîgres ressources, d’en recruter un en plus. Humainement parlant, la même personne ne peut pas assumer sa fonction vingt-quatre heures sur vingt quatre », se plaint la cheffe d’établissement dans sa tenue locale multicolore. Ce deuxième gardien a été recruté il y a quelques années sur appel à candidatures après que deux (02)autres gardiens ont été réaffectés par l’État.
Situé à vol d’oiseau de Dantokpa, le CEG du Lac a aussi deux agents de sécurité. Dans cet établissement de plus de trois mille cinq cent (3500) élèves, cet effectif d’agents de sécurité est insuffisant. Ici, explique le directeur de l’établissement, les gardiens étaient là avant son arrivée. Idem pour le CEG 3 Abomey-Calavi, où l’établissement sans clôture dispose d’un seul gardien.
Compte-tenu de l’ampleur de leurs tâches et des vulnérabilités particulières des établissements, ce sous-effectif ne contribue pas à la qualité du service que les gardiens doivent rendre. « Nous n’avons qu’un portail opérationnel pour tous, enseignants et apprenants », souligne Sylvain Assogba, surveillant général adjoint du CEG du Lac, pour montrer comment cet état des choses rend difficile la gestion du flux des élèves. Au CEG 3 Abomey-Calavi, le conseil intérieur a dû ménager le seul gardien pour qu’il assure davantage la sécurité des biens de l’établissement. « On a déterminé une période fixe pour lui, la nuit. On lui a dit qu’il doit être là à notre arrivée le matin, et quand on vient il peut partir. Il doit être là quand on veut partir le soir. Les week-ends, il fait des tours de temps en temps », fait savoir Jean-Olivier Chéou, le directeur de l’établissement.
La disponibilité, principal critère de recrutement

Les gardiens sont, pour la plupart, recrutés sur la base de leur disponibilité, parfois avec l’aide des associations des parents d’élèves. C’est le cas dans presque tous les établissements visités, tant du primaire que du secondaire. « Je suis ici depuis un moment mais je ne me rappelle pas l’année. Je remplace mon père à ce poste. Je venais ici pour lui rendre visite jusqu’à ce qu’il commence à perdre progressivement la vue. Je suis resté avec lui et lorsque la situation s’est aggravée, je l’ai remplacé. Je suis à la charge de l’Association des parents d’élèves », confie Toussaint Dambiokou, gardien au Complexe scolaire Sikè-nord. Sur la même question du critère de recrutement, Jean-Olivier Chéou, directeur du CEG 3 Abomey-Calavi, qui a hérité du gardien de l’établissement confie : « Il faut être libre, être disponible, capable de faire le job. Il a été proposé par l’Association des parents d’élèves. »
Davantage au fait de la situation de ce personnel de soutien, Irénée Gnonlonfoun, président de l’Association des parents d’élèves (Ape) du département du Littoral commence à retracer la genèse de l’intervention de ces agents dans les écoles maternelles, primaires et secondaires. S’agissant de leur profil, il indique que, après des plaintes des parents d’élèves pour diverses raisons, il a été recommandé de recruter des gardiens. « Nous avons dû recruter vaille que vaille ces gardiens qui ont des âges différents, on négocie avec eux des contrats et nous exécutons », explique le responsable, la soixantaine dépassée.
Ce principal critère de recrutement est parfois handicapant pour les responsables administratifs qui héritent des gardiens qu’ils ont trouvé sur place. Raison pour laquelle, avant de procéder à de nouveaux recrutements, « il faut s’assurer de son sérieux. Si on le prend, il va pourvoir honorer son cahier de charges, ce qui n’est pas souvent le cas », martèle la directrice du CEG Dantokpa. Et pour cause !
Une collaboration pas toujours au rendez-vous des défis éducatifs

C’est un spectacle peu commode pour un espace scolaire. Au CEG Dantokpa, pendant que les apprenants se pressent pour entrer avant une nouvelle fermeture de leur portail d’accès à l’établissement, sur l’autre portail, c’est un autre type d’usager qui entre et sort. En effet, divers colis en mains, les vendeuses sortent discrètement à partir du portail destiné aux enseignants et autres officiels. Leurs marchandises sont entreposées à divers endroits, autour du local destiné aux gardiens. Une situation qui n’est pas du goût de la directrice. « Faites semblant de traîner un peu devant notre portail et prenez le temps d’observer. Vous allez voir qu’au lieu de garder le portail, ils vont devenir des agents collecteurs », fustige Rachidatou Seydou Orou Bagou, directrice du CEG Dantokpa, au sujet du comportement des agents de sécurité de son établissement. La récurrence des faits a même nécessité l’intervention du préfet, il y a deux ans, pour mettre fin à ces pratiques, révèle la cheffe d’établissement. Puisque cela a semblé être de l’eau jetée sur les plumes du canard, dame Rachidatou a flanqué une demande d’explications aux agents vu que leurs actions exposent l’établissement à l’insécurité, sous ces divers aspects, alors que l’établissement est déjà dans un environnement plus ou moins hostile.
Au CEG du Lac, la situation se présente sous une autre facette. En effet, les agents de sécurité n’arrivent pas à prendre la mesure de certains enjeux éducatifs. « On peut aussi parler du faible niveau des gardiens. La conséquence, c’est qu’ils ne maîtrisent pas les textes du système éducatif. Il faut être à chaque fois à côté d’eux pour leur dire ce qui doit être fait selon les règles de l’art », reconnaît Sylvain Assogba, surveillant général adjoint du CEG du Lac. Sous le regard attentif de la surveillante générale et de son autre adjoint, Sylvain Assogba, dans sa tenue locale, assis les bras posés sur le dossier de l’une des chaises du bureau de sa cheffe, poursuit sur ce plan : « Au vu de leur faible niveau, ils n’apprécient pas de la même manière les objectifs que nous avons. Parfois ils passent à côté et nous sommes obligés de taper du poing sur la table et de rendre compte à l’autorité hiérarchique pour que les décisions soient prises. » A côté de cette collaboration qui est parfois sur le fil du rasoir, les gardiens font aussi face à d’autres difficultés.
Les difficultés rencontrées par les gardiens d’établissement
Ecouter une leçon de morale. C’est la condition sine qua non pour entrer au CEG Dantokpa après 8h ce matin du 11 février. L’enseignant, ce n’est pas le professeur de morale, ni d’éducation civique, d’ailleurs il n’en existe plus, mais c’est l’un des gardiens de l’établissement. Sous les regards des passants, devant la multitude d’élèves retardataires, le gardien vêtu d’une chemise à carreaux bleue porte l’évangile de la ponctualité aux apprenants. Attentifs pour certains, distraits pour d’autres, filles et garçons, tous de kaki vêtus, s’impatientent de l’autorisation d’accéder à l’établissement. Certaines dames sortent à toute hâte avec leurs marchandises durant ce temps. Le même gardien qui a refusé de décliner son identité, indique que l’obstacle majeur, ce sont les apprenants qui viennent en retard et exigent de passer par l’entrée destinée aux enseignants et autres officiels. Autre difficulté : la sécurité de l’établissement vu qu’il est absorbé par le marché. S’agissant des marchandises entreposées dans le local et tout autour, la question a soigneusement été ignorée.
Le même exercice de sensibilisation sur la ponctualité, le surveillant général adjoint du CEG du Lac, le fait régulièrement. La gestion de l’unique portail de l’établissement que cela sous-entend est le principal point d’achoppement entre gardiens et apprenants. « La collaboration entre gardien et apprenants est parfois difficile. Les apprenants sont souvent nombreux à être en retard ou à vouloir sortir en dehors des heures réglementaires d’ouverture du portail. Parfois les gardiens s’y opposent et cela crée un conflit. Nous arrivons à gérer ces conflits conformément au règlement intérieur » , fait savoir le second surveillant dans sa tenue locale aux forts motifs bleu sombre. Le directeur de l’établissement, Justin Yaovi Sessou ajoute qu’il y a des fois où celui qui devait rester au portail n’est pas là au moment où il devrait l’être. Cela oblige, poursuit-il, certains usagers à rester dehors pendant longtemps. À tout cela s’ajoute, selon le chef d’établissement, le problème d’entretien des biens du collège qui ne se fait pas comme cela se doit.
En poste dans l’un des grands CEG d’Abomey-Calavi, un agent de sécurité qui a tu son nom souligne que les principales difficultés sont au niveau des élèves. À l’en croire, il faut avoir de la sagesse pour pouvoir les encadrer. Au vu de son âge avancé, il affirme être plus un conseiller pour eux car ils se rapprochent de lui quand ils peuvent.
La nuit, au Complexe scolaire Sikè nord, Toussaint assure la sécurité en veillant sur certains points stratégiques. Les soucis majeurs pour lui, ce sont les déséquilibrés mentaux qui se présentent parfois dans l’établissement et les apprenants qui, à la sortie des classes, refusent de rentrer et préfèrent jouer dans la cour ou dans les classes. Pour accompagner ces acteurs face à la pénibilité de leur travail, la plupart des établissements leurs offrent un parapluie à travers leur couverture sociale.
Une prise en charge sociale à double tranchant
« Il y a des gardiens qui sont agents de l’État. Si on nous envoie un ou deux gardiens qui ne sont pas à la charge de l’établissement, cela fait une bouffée d’oxygène. Nous payons le salaire et nous payons la charge patronale. L’année dernière nous avons payé des centaines de mille pour régulariser son cas à la [Caisse Nationale de Sécurité Sociale, ndr] CNSS. Il était inscrit mais sa situation n’était pas régularisée. On lui paie régulièrement les cotisations. A lui de faire ce qu’il doit pour bénéficier de tout cela », dixit Jean Olivier Chéou, directeur du CEG 3 Abomey-Calavi. Comme lui, tous les chefs d’établissement du Secondaire prennent en charge ces agents, malgré l’insuffisance de moyens. Le manque de ressource est aussi vécu au CEG du Lac dont les gardiens sont aussi déclarés à la CNSS, sinon davantage de moyens seraient affectés à la sécurité. En effet, l’établissement a, à de nombreuses reprises, subit l’assaut d’usagers indélicats qui y ont perpétré des vols.
Rachidatou Orou Bagou, quant à elle, est face à un dilemme car l’indélicatesse des gardiens lui pose problème. Même si l’un émarge au budget national, l’autre, par contre, est à la charge de l’établissement et ne jouit pas encore des cotisations sociales. Alors faut-il poursuivre la période d’observation pour espérer un changement de comportement et entamer le processus d’inscription à la CNSS ? Ou bien faut-il le faire automatiquement, et voir la situation de défi de l’autorité s’aggraver ? En attendant, la directrice attend la réponse à sa demande d’explications. Maintenant, que faire pour que ces agents dont le rôle est non négligeable soient épanouis.
Améliorer les conditions d’un corps en disparition
« L’État devrait nous doter d’agents de sécurité pour que, une fois les activités pédagogiques terminées, ces personnes puissent garder la maison et dans la journée veiller aux allers et retours, aux mouvements des usagers de la maison et la sécurité des personnes et des biens », fait savoir la directrice du CEG Dantokpa. Pour le surveillant adjoint du CEG du Lac, « il faut définir de bons profils. Il faut aussi beaucoup les former à la gestion des affaires en milieu scolaire avant de les mettre dans les écoles ». Quant à eux, gardiens dans les établissements, ils espèrent la régularisation de leur situation. En effet, certains émargent au budget national et d’autres pas, suite au dernier reversement de certains d’entre eux sous l’ancien régime, comme l’explique Irenée Gnonlonfoun. Ces derniers ont les regards tournés vers les autorités pour espérer un traitement équitable.
Adjéi KPONON