Environnement familial conflictuel : Un frein à l’épanouissement des enfants - Journal Educ'Action - Éducation au Bénin et dans le monde
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Environnement familial conflictuel : Un frein à l’épanouissement des enfants

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« Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne », disait Victor Hugo. Seulement, certaines failles dans l’éducation des enfants laissent peu d’espoir pour la formation d’un citoyen de qualité. Ainsi, un désamour peut naître entre parents et enfants. Ce qui n’est pas sans conséquences les relations familiales. Votre journal Educ’Ation a rencontré quelques spécialistes de l’enfant sur la question. Voici la moisson !

Nous sommes dans le quartier Ahozon, dans la commune d’Abomey-Calavi, ce mercredi 20 avril 2022. Il est 10 heures, Auriane (prénom attribué) n’est pas dans ses beaux jours. Cette élève âgée de 12 ans est traumatisée par le comportement de son père. « Je n’aime pas du tout mon papa parce qu’il est méchant et mauvais. Il n’est pas gentil. Pour la moindre chose, il me bat. Il ne sourit jamais avec nous à la maison et quand mes frères et moi allons vers lui pour un problème, il nous rejette. Je veux devenir avocate pour juger les parents qui font une telle chose », fait-elle savoir d’un air triste. Toujours dans la commune d’Abomey-Calavi, précisément dans le quartier Zogbadjè, une autre raison du désamour d’une fille pour son père se fait connaître. Cette fois-ci, nous sommes le jeudi 21 avril 2022. Il est 15 heures et les apprenants sont toujours en congés de Pâques. Ici, c’est Déborah (prénom attribué), élève en classe de 3e qui se plaint. D’un teint ébène, svelte et vêtue d’une robe jaune, elle ne partage pas les réactions de son géniteur. « Je déteste mon père parce qu’il frappe trop ma maman. J’ai souvent du mal à rester à la maison quand il est là. Il ne répond pas à mes besoins scolaires. Souvent, c’est maman qui fait tout. Elle joue à la fois le rôle de mère et de père à la maison. Quand elle demande à mon père de l’aider dans les dépenses, cela commence par les disputes et finit souvent par la bagarre », lâche d’un ton colérique Déborah. Elle poursuit par ailleurs : « Aujourd’hui j’ai 15 ans, mon père ne sait pas comment je me nourris ni comment je vais à l’école pourtant nous vivons sous le même toit. J’aimerais devenir médecin mais si jamais mon père tombe malade, je ne lui viendrai pas en aide. »
Les situations que vivent Auriane et Déborah à la maison à cause des comportements de leurs pères, ne sont pas propres à elles. Ils sont nombreux, ces enfants, à subir de la part de leurs pères ou de leurs mères, cette forme d’éducation qui ne dit pas son nom. Laquelle est viciée par le repoussement, le manque d’affection, les crises de colère et le défaut de communication. Ces habitudes de certains parents proviennent de plusieurs sources.

Des sources du désamour entre parent et enfant…

Le rejet de la grossesse, le comportement de l’enfant, le rejet du sexe, la personnalité psychologique du père, une pathologie psychologique non identifiée ou non soignée, la relation de couple entre les conjoints. Ce sont quelques raisons évoquées par les spécialistes de la question de l’enfant. Ces raisons vont déclencher des comportements nocifs des parents contre leurs enfants. « Le rejet de la grossesse constitue l’une des premières raisons qui peuvent amener un parent à détester son enfant depuis l’étape embryonnaire jusqu’à ce que, cet enfant né et devenu grand, quitte le parent car sa présence l’indispose », fait savoir le psychopathologue Denis Comlan Yèlouassi. Propos qu’approuvent globalement Valère Ouinssou, maître maçon et parent d’élève. « Les pères de famille qui ont ces comportements, sont des personnes qui ne désirent pas avoir d’enfant dans leur vie. Celui qui désire avoir un enfant ne peut pas le rejeter à chaque fois que ce dernier manifeste un besoin ou sollicite son aide pour un problème donné. Quand on fait des enfants, on assume les responsabilités », affirme-t-il. « Le père de mes enfants ne fait pas preuve d’amour envers les enfants à la maison. Il est tout le temps dur et ne veut pas du tout les sentir. Quand ils viennent à lui pour un problème donné, il les rejette et moi-même, j’ai pitié d’eux », lâche tout abattue la maman d’Auriane, corroborant ainsi les propos de sa fille. Le psychologue clinicien Denis Comlan Yèlouassi tente d’y apporter des explications : « Il arrive qu’un parent rejette un enfant lorsqu’il a énormément investi à avoir un sexe donné alors que l’échographie ou la naissance lui en donne un autre. Ce nouveau-né n’est pas alors admis dans la vie psychique de ce parent. A défaut de l’avorter ou de le jeter, l’enfant est gardé mais avec une maltraitance psychologique ». Il indique par ailleurs que « ce choc émotionnel de la part du ou des parents doit être pris en charge de façon adéquate par les professionnels, les parents proches ou les prêtres de sa religion afin que cet enfant soit accepté ». Dans ce cas, l’enfant qui naît constitue à son tour un véritable casse-pied pour le couple parental. Avec des exemples à l’appui, le psychologue clinicien affirme que l’enfant ne sourit jamais, il remercie à peine pour les cadeaux et rejette tout ce qui est injonction à son égard.
Partant des cinq (05) blessures présentées par Bourbeau (dans un ouvrage paru en l’an 2000) en ce qui concerne la personnalité psychologique du père, Dénis Comlan Yèlouassi affirme que le parent porte un masque de rejet (fuyant), d’abandon (dépendant), d’humiliation (masochiste), de trahison (contrôlant) et d’injustice. Dans le cas de la pathologie psychologique non identifiée ou non soignée, le comportement du père pourrait être lié à une pathologie. « Il importe de chercher à comprendre le début et les contextes de cette forme d’agressivité afin d’identifier s’il s’agit d’une pathologie ou non. Une telle violence pourrait avoir pour base, un alcoolisme, une perte du travail, la séparation du couple etc. Tout ceci masque une dépression, un trouble de la personnalité, ou autres troubles psychologiques ou psychiatriques, un stress permanent au travail qui, par la suite, peut entraîner un burn out », précise notre spécialiste. Pour ce qui est de la relation de couple entre les conjoints, nous avons constaté sur le terrain une relation de tension entre les conjoints. Celle-ci a provoqué un amour de surprotection de la part de l’un ou des deux conjoints qui rivalisent à montrer à l’enfant qu’il est le parent qui l’aime le plus. « Une telle affection étouffe l’enfant en question qui n’a plus la peine d’exprimer ses besoins avant que cela ne soit comblé. Cette rivalité n’a aucun intérêt ni à court terme ni à long terme pour l’enfant car elle fausse les leviers de la vraie éducation espérée des géniteurs », alerte le psychopathologue. De tout ce qui précède, il n’en demeure pas moins que des conséquences découlent des comportements présentés plus haut.

Des conséquences dans le rang des parents et des enfants…

Les situations de conflits permanents qui s’observent dans les foyers ne laissent aucun enfant ni parent indemnes. Chez l’enfant, les séquelles sont énormes. « Mes enfants n’ont pas la paix du cœur quand leur papa est à la maison. Ils sont confus et troublés et pour la moindre chose, ils sont apeurés. À plusieurs reprises, j’ai essayé de savoir les raisons de son attitude envers les enfants mais il me repousse toujours sans rien me dire », a témoigné la maman d’Auriane pour renseigner sur sa souffrance de mère. Ce qui n’a pas manqué d’avoir un impact sur la vie en société de sa fille Auriane. « Je vis dans la peur et pour un rien, je ne fais que crier et demander l’aide de Dieu. Je demande souvent à Dieu de faire en sorte qu’on ne m’accuse ni me bat. Toutes ces choses font que je n’arrive pas à m’amuser avec les enfants de mon âge. J’ai peur que pour un oui ou un non, l’on m’accuse de ce que je n’ai pas fait », laisse-t-elle entendre d’un air triste. « Ces comportements des parents ont des conséquences désagréables sur les enfants. D’abord, ils ne développent pas un amour à l’égard de leur père. Aussi ces enfants ont-ils du mal à vivre en société et à nouer des relations professionnelles et familiales », a déclaré Valère Ouinssou, maître maçon et parent d’élève avant d’ajouter : « Toutefois, il est important de rappeler aux parents que les enfants ont besoin d’assistance, du soutien et surtout de leur amour pour grandir en sagesse. » Mesurant la portée des conséquences liées aux différentes causes soulevées, le psychologue clinicien Dénis Comlan Yèlouassi avertit sans fioritures : « Cet enfant vivant le rejet de la part de ses parents, cherchera à combler son manque affectif à partir d’autres relations extrafamiliales. Le risque auquel il sera exposé, sera plus grand ». Au-delà des effets nuisibles que peut engendrer le rejet des enfants par les parents, il y a une autre réalité : « Il peut y avoir des répercussions sur leur personnalité psychologique avec une immaturité psychoaffective comme le contraire est possible avec une maturité précoce où l’enfant apprend à se prendre en charge très tôt avec l’aide du soutien social. D’autres troubles possibles peuvent apparaître. Les victimes se débrouillent avec les mécanismes de défense qu’ils mettent en place sans forcément présenter une décompensation proprement dite », lâche Dénis Comlan Yèlouassi. Par ailleurs, un conflit dans le couple géniteur peut s’avérer plus destructeur et traumatique pour l’enfant. « Si la fille en question ressemble à sa mère ou est identifiée complice à sa mère, sa seule récompense de la part de son père est l’une des blessures ci-dessus énumérées », soutient le psychologue clinicien. Il poursuit : « Si la thérapie du « pardon » n’est pas faite depuis le bas-âge, cet enfant cherchera peut-être son mieux-être dans les relations avec ses paires et surtout, risque les drogues qui, en effet, émoussent sa conscience et lui permettent d’oublier, pour l’heure, sa relation à ses parents. La délinquance sexuelle n’est pas aussi exclue. »
Dans le rang des parents, ces troubles de comportement de violence et d’agressivité qui sortent du cadre de l’éducation africaine, peuvent cacher un trouble à prendre en charge. Selon le recoupement des propos recueillis sur le terrain, la conséquence lointaine est que les parents se sentent abandonnés ou peu fréquentés dès que leurs enfants deviennent autonomes. Bien avant leur autonomie, les enfants se plaignent de la dégradation de leur relation avec le parent concerné. Faut-il souvent donner du crédit à tout ce que les enfants disent à cet effet ?

De la vérification des affirmations de ces enfants à leur prise en charge…

Dans le discours rapporté, c’est souvent le parent qui est décrié. Lorsque le thérapeute se met dans sa posture et réécoute le même discours de façon active, il fait d’autres observations. « Il importe de prendre avec des pincettes le discours de certains enfants et de vérifier les faits par une enquête sociale sur l’enfant et sur le parent mis en cause », dit Dénis Comlan Yèlouassi, psychologue clinicien, remettant ainsi en cause la véracité des déclarations de quelques enfants au moment de l’audition. Il est nécessaire de faire une enquête sociale pour plus d’assurance. « Une enquête sociale sur les enfants pourrait montrer une attitude désobligeante de la part des enfants. A cause de leur rejet, les mécanismes de défense de leur part amènent les parents non patients à devenir violents au lieu de se référer à un professionnel pour apprendre à s’y prendre », argue Dénis Comlan Yèlouassi. Par ailleurs, le contexte de puberté ou d’adolescence apporte une autre vision et perception de la part de l’enfant. Ce qui entraîne de fait, des changements plus ou moins stables sur les plans psychologique, émotionnel, comportemental et social.
En termes d’accompagnement, il est difficile pour les spécialistes de proposer une approche thérapeutique unidirectionnelle et universelle à toutes les victimes. Du moins, la première chose est d’abord de contextualiser les cas et les contextes d’agression. « L’étape suivante serait de recourir à un oncle ou une tante, pas celui que l’on connaît être en conflit avec son géniteur, afin de bénéficier de son soutien. Pour les élèves, ils peuvent en parler avec certains enseignants qu’ils jugent aptes à la confidence et à prodiguer de bons conseils », suggère le psychologue clinicien. Le concours de structures intervenant dans la protection des enfants est souhaité. « La dernière étape serait d’appeler certains numéros comme ceux de la Croix-Rouge, d’Amour & Vie, du Centre de Promotion Social ou du Centre d’Accueil et Protection de l’Enfant afin de se faire écouter », ajoute-t-il.
Du côté des parents, il est souhaitable qu’ils fassent recours à un professionnel lorsqu’ils constatent de pareilles attitudes vis-à-vis de leurs enfants. « Une intervention avec une neutralité bienveillante permet d’identifier les causes de ces symptômes et de mettre en place, des conditions de vie épanouissante pour la famille. Le premier recours chez nous ne serait pas la Police pour une convocation ; mais plutôt un professionnel », conclut le psychologue clinicien Dénis Comlan Yèlouassi.

Gilles-Christ OROBIYI (Stg)

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