Entretien exclusif avec Célestin Dembele, directeur pays de Helvetas Bénin : « Le PAEFE est non seulement ancré au niveau local, mais ... - Journal Educ'Action - Éducation au Bénin et dans le monde

Entretien exclusif avec Célestin Dembele, directeur pays de Helvetas Bénin : « Le PAEFE est non seulement ancré au niveau local, mais …

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Helvetas Bénin demeure un partenaire de taille du système éducatif béninois avec à son actif plusieurs mandats de la Coopération suisse, l’autre poumon financier de l’éducation au Bénin. Cette ONG internationale créée depuis 60 ans s’investit dans plusieurs domaines, en l’occurrence les alternatives éducatives à travers prioritairement le Programme d’Appui à l’Education et à la Formation des Enfants exclus du système éducatif (PAEFE) qui reste l’un de ses grands succès. A travers cet entretien exclusif avec votre hebdomadaire spécialisé Educ’Action, hier lundi 10 février 2020 à Cotonou, le directeur pays de Helvetas Bénin, Célestin Dembele fait le bilan sommaire de l’engagement de son institution pour la question éducative au Bénin. Aussi a-t-il présenté les programmes et projets exécutés ou en cours d’exécution par l’ONG avec un focus sur le PAEFE, les grandes réussites de ce programme éducatif atypique et adoubé au plan institutionnel, ses perspectives ainsi que les prochains chantiers de Helvetas Bénin dans le secteur de l’éducation. Lisez plutôt !

Educ’Action : D’entrée, nous allons découvrir Helvetas Bénin que vous avez la lourde et exaltante responsabilité de diriger, monsieur le directeur !

Célestin Dembele : Je dois dire que Helvetas est une ONG internationale qui travaille au Bénin depuis 1995, mais c’est une vielle organisation qui a déjà 60 ans d’existence. Helvetas travaille dans plusieurs domaines. Le premier, c’est l’éducation et la formation professionnelle. C’est dans ce domaine que nous avons le PAEFE sur lequel nous allons revenir toute à l’heure. Mais nous avons aussi un deuxième domaine qui concerne tout ce qui est économie rurale, l’agriculture et tous les métiers liés au secteur agricole. Le troisième domaine de Helvetas est celui de l’eau et de l’assainissement. Helvetas est connu mondialement comme étant un acteur qui intervient dans l’accès à l’eau potable et de l’hygiène et l’assainissement. Nous sommes aussi connus à l’international à travers notre engagement dans les questions environnementales, les changements climatiques et le développement durable et enfin nous avons un cinquième domaine qui est le domaine de la gouvernance et de la paix.

Quels sont les programmes et projets exécutés ou en cours d’exécution par Helvetas Bénin ?

Alors si on prend le secteur agricole, nous avons deux (02) projets en cours d’exécution au Bénin. Le premier, nous l’appelons Projet de réduction des pertes post récoltes. C’est un projet que nous menons dans l’Atacora et les Collines. C’est une région dans laquelle sévit l’insécurité alimentaire et il se trouve que les petits agriculteurs, après les récoltes, perdent encore entre 20 et 30% de leurs productions, dû à de mauvaises techniques ou habitudes de récolte, de conservation et de ventes des céréales. Entre la production et la commercialisation, il se passe d’énormes pertes. Grâce à ce projet, nous essayons de mettre en place des technologies qui sont de nature à réduire ces pertes en améliorant par exemple le grenier traditionnel qu’on a modernisé et qui se diffuse par des artisans dans toute la zone, sur les dix (10) communes couvertes par ce projet. Nous avons aussi quatorze (14) groupements dans ce qu’on appelle le Warrantage, qui est un système organisationnel au niveau des coopératives de producteurs de céréales pour conserver les céréales en attendant que le moment soit venu pour les vendre au niveau du marché et engrangé des bénéfices plus intéressantes. Alors avant cette commercialisation, des producteurs viennent déposer une partie de leur stock de production et reçoivent en contre partie de la monnaie leur permettant de patienter jusqu’au bon moment de la vente. Ça, c’est un exemple du secteur agricole. Le deuxième projet que nous avons dans ce domaine s’appelle Anfani. Dans ce projet, nous récupérons les jeunes qui ont l’intention d’entreprendre dans les métiers de l’agriculture. Vous savez que l’agriculture est considérée comme un domaine d’échec. Quand on a échoué dans les autres secteurs, c’est en ce moment qu’on s’investit à défaut dans l’agriculture. Dans ce programme, nous voulons démontrer que le jeune peut investir dans l’agriculture et s’en sortir. Et nous avons nommé ce projet-là ‘’Oser entreprendre’’. Si on prend le domaine de l’eau potable, l’hygiène et l’assainissement, nous avons aussi deux programmes : l’un s’occupe de la qualité des services de l’eau et de l’hygiène et un deuxième qui concerne le volet ‘’OmiDelta’’ au niveau des acteurs non étatiques. Dans ce volet, nous essayons d’intervenir dans le domaine urbain ou semi urbain. Nous faisons des adductions d’eau modernes avec un système solaire de pompage et un système qui permet aux communes de s’organiser, d’avoir des statistiques viables sur notre Pam hydraulique, mais surtout de mettre en place un système d’irrigation des ouvrages qui permet de collecter des redevances. Une fois que les redevances sont collectées, la commune va rendre compte aux populations chaque année en termes de recevabilité. Il suffit qu’il y ait une panne et il y a un mécanisme à partir de l’association des consommateurs de l’eau qui permet de remonter cette information à la commune et la commune peut agir directement, puisqu’elle dispose de ressource pour gérer ce secteur. Nous avons aussi le domaine de la gouvernance où nous avons pour l’instant un modeste projet qu’on appelle ‘’Immigration et développement’’. L’idée de ce projet est de faire en sorte que le jeune qui veut partir et qui a un projet de départ soit informé sur les risques de franchir les frontières et en même temps les dispositions à prendre pour se sécuriser et se protéger pendant son départ. Mais à l’inverse, nous récupérons les jeunes ayant déjà fait cette expérience de départ, cela peut être dans un pays voisin ou dans un autre département du pays et fort de cette expérience, ce jeune peut être un modèle pour montrer la voie à certains, soit en les décourageant de partir parce qu’il a échoué à son projet de migration. Il se trouve que deux (02) des jeunes que nous avons récupérés dans ce projet après les échanges et la sensibilisation, ont découvert tous les trésors cachés de leur terroir. Il se trouve que la plupart de ces jeunes décident finalement de rester chez eux et par un petit accompagnement, formation modulaire courte de trois (03) à quatre (04) semaines, ils se sont réinstallés dans leurs villages et aujourd’hui sont très fiers de prospérer. Voilà un peu l’envergure des activités que nous menons dans les projets que nous avons au Benin. Nous avons six (06) projets actuellement au Bénin dont certains sont financés par la Coopération suisse qui est notre partenaire financier privilégié. Nous avons aussi le Royaume des Pays-Bas qui a ce mandat OmiDelta géré par la SNV qui est aussi une source de financement pour nous. Nous avons aussi de nombreuses fondations et de petits bailleurs qu’on appelle les contributeurs au niveau de la Suisse. Chez Helvetas, il faut savoir que nous faisons la collecte de fonds que nous appelons le fundraising. Nous mobilisons le citoyen suisse à se rendre sensible aux questions de développement et comme ça, nous arrivons à collecter le quart des ressources que nous dépensons au Bénin.

Est-ce que le feedback de ces interventions sur le terrain est positif, selon vous ?

Le feedback est totalement positif. Quand on va dans les villages où nous sommes intervenus et on constate que les jeunes, les femmes ont commencé à entreprendre, qu’ils sortent leurs cahiers et qu’ils nous montrent les chiffres de toutes les formations qu’ils ont faites, les ventes, les bénéfices, les chiffres d’affaires, c’est vraiment encourageant. J’ai aussi l’impression que certains maires maitrisent nos projets mieux que le personnel de Helvetas Bénin. C’est un meilleur indice pour moi.
L’un des grands succès de Helvetas Bénin, c’est bien le PAEFE conduit par Nadine Obitayo Oké, la coordonnatrice basée à Parakou au Nord du Bénin appuyée par une équipe pluridisciplinaire sur place. Aujourd’hui, que retenir du bilan de ce programme éducatif ?

Je dois dire que ce programme a une particularité assez intéressante. La chose qui me marque le plus dans ce programme, c’est justement sa capacité à offrir une deuxième chance à des enfants qu’on peut considérer comme exclus du système éducatif. Nous récupérons des enfants déscolarisés précoces ou qui n’ont pas du tout été à l’école et dont l’âge est compris entre 9 et 15 ans à l’entrée dans le modèle. Mais comme c’est un modèle à 4 ans, l’éducation de base alternative, à la sortie du modèle, nous n’avons plus des enfants. 2/3 des effectifs deviennent de jeunes adolescents voire de jeunes adultes. Donc entre l’entrée et la sortie du modèle, il y a une problématique intéressante qui n’est pas seulement scolaire. C’est pourquoi je considère le PAEFE comme étant un programme qui concilie l’enseignement, mais qui donne aussi des perspectives professionnelles aux jeunes adolescents ou aux jeunes adultes pour qu’à la sortie d’un centre Barka, ils soient en mesure d’entreprendre directement un métier et d’assurer la stabilité de leur foyer ou alors, de rentrer dans une formation professionnelle plus ou moins longue. Toutes ces choses font de ce programme, un programme phare au niveau de Helvetas Bénin et nous avons la chance d’avoir des autorités béninoises dans le secteur éducatif qui sont pleinement engagés dans ce programme. J’ai été émerveillé de voir que l’année dernière, deux ministres se sont déplacés pour visiter ce programme jusque dans Malanville, Karimama. Il s’agit des ministres chargés des Enseignements Maternel et Primaire et des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle. Chaque année, nous avons les deux directeurs de cabinet de ces deux ministères qui font au moins une visite de terrain. Ça veut dire que le programme est non seulement ancré au niveau local mais, il commence à s’institutionnaliser par une prise en main au niveau des acteurs, décideurs de l’éducation nationale.

Quelles sont les grandes réussites de ce programme éducatif qui sauve les enfants de rue et les déscolarisés du système formel ?

Il est important de comprendre le modèle pour ensuite voir son impact sur la scolarisation. C’est un modèle bilingue ; donc quand on ouvre un centre Barka dans une communauté, cette communauté décide déjà de certaines langues communes utilisées dans la zone, qu’on va utiliser dans le modèle et donc les enfants, en première année, mettent l’accent sur l’une de leurs langues locales. Vous savez que l’enfant de 9 ans, dans sa langue, sait déjà compter. Il connait l’essentiel des opérations ordinaires qu’on pourrait lui apprendre au CE1 ou CE2. Ainsi, on essaie de prendre en compte ce référentiel qu’il a dans sa langue locale pour ensuite le transférer dans le modèle francophone (langue française). Donc la première année est consacrée à la langue du milieu, et ensuite en deuxième année, on remet encore la langue du milieu, puis on commence avec le français. Si bien qu’au bout des 4 ans, c’est d’ailleurs l’un des résultats de ce programme, tous les enfants qui ont pris par le modèle Barka, sont déjà alphabétisés ; ils savent déjà lire, écrire, compter, faire toutes les opérations dans leur langue. C’est l’un des succès importants. Le 2ème succès de ce programme est que les enfants qui passent par le centre Barka, sont présentés au CEP au même titre que les autres enfants des autres écoles formelles ou classiques et nous avons des succès au CEP qui ne sont pas ridicules du tout. Au dernier CEP, nous avons atteint un taux de 77% de réussite. Ce n’est pas négligeable. Pour tous les enfants qui passent dans un centre Barka, il y a une personne ressource qu’on identifie dans la communauté, qui a un savoir dans le domaine de l’agriculture, et qui vient une fois par semaine transférer son savoir culturel. De ce fait, l’enfant est mieux ancré dans le terroir, et a une meilleure connaissance du sens de la zone dans laquelle il est, et du fonctionnement des valeurs. C’est extrêmement important parce que c’est ça qui va lui servir plus tard en tant qu’adulte dans la vie courante. Il y a aussi l’initiation au métier. L’enfant qui est au centre Barka n’apprend uniquement pas à lire, écrire et compter. On l’initie à un métier, ou plusieurs d’ailleurs, pour qu’il puisse saisir les opportunités de métiers dans son milieu. Comme je le disais, ils sont déscolarisés, donc ils n’ont pas fait assez de temps sur les bancs. Du coup ça devient beaucoup plus facile pour eux comme passerelle de s’inscrire dans une formation populaire, ou dans un CQP de qualification professionnelle, et ensuite devenir un professionnel pour un métier artisanal ou agricole. Nous avons à peu près 8.000 enfants qui sont dans ce modèle, qui sont alphabétisés. Les premiers enfants qui ont eu le CEP, ont franchi déjà l’étape du BEPC.

La mise en œuvre de vos actions est sans doute financée par des partenaires. Avez-vous un message à leur endroit ?

Un message extrêmement important. Je voudrais saisir cette occasion pour remercier nos partenaires traditionnels qui nous font confiance jusqu’à maintenant et en même temps, remercier la participation des nouveaux partenaires qui arrivent. Cette année, nous avons un nouveau projet financé par l’Union européenne qui nous fait confiance dans le domaine de la formation professionnelle et de l’emploi des jeunes et donc, nous espérons que nos nouveaux partenaires feront confiance à Helvetas sur certaines opérations.

Helvetas Bénin continuera certainement de s’investir dans le secteur de l’éducation qui a tant besoin de soutien et de synergie d’actions. Quels seront vos prochains chantiers pour l’éducation béninoise ?

Les prochains chantiers sur les alternatives éducatives est la stratégie de communication que nous allons déployer sur le territoire national en lien avec notre partenaire technique et financier grâce à la Coopération suisse pour mieux faire connaitre le modèle PAEFE au Bénin. L’autre défi se trouve dans la formation professionnelle ; il y a beaucoup de jeunes aujourd’hui qui ont des compétences, mais n’ont pas des perspectives d’emploi. Donc, nous allons beaucoup insister là-dessus avec l’accompagnement financier de l’Union Européenne. Nous voulons donner la chance aux jeunes de déployer leurs talents en termes de création d’entreprises afin d’employer de nouveaux jeunes.

Un mot pour conclure cet entretien monsieur le directeur ?

Je vais remercier les collaborateurs parce qu’il n’est pas possible d’arriver à un résultat de projet sans une équipe solide. C’est une équipe sur laquelle je mets extrêmement beaucoup de pression et d’exigence. Je vais les remercier et leur demander de redoubler d’effort parce que beaucoup de Béninois attendent encore des résultats des projets mis en route. Je remercie aussi les autorités nationales et locales qui nous accompagnent dans la mise en œuvre de ces projets-là et nous devons garder à l’esprit qu’une ONG internationale laisse beaucoup d’aides au développement, mais ça laisse quelque chose d’éphémère. Les projets dont nous avons parlés restent éphémères. J’attire donc l’attention de tous les partenaires (bénéficiaires) à s’approprier des programmes pour qu’ils aient une durabilité. Qu’à la fin des projets, les activités qui ont porté des fruits puissent continuer au-delà de la vie des projets ; c’est ça mon souhait.

Propos recueillis par Serge David ZOUEME

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