Encadrement des mémoires et thèses à l’UAC : Les étudiants à l’épreuve du rançonnement - Journal Educ'Action - Éducation au Bénin et dans le monde
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Encadrement des mémoires et thèses à l’UAC : Les étudiants à l’épreuve du rançonnement

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100.000F CFA à 150.000F CFA par étudiant ou parfois plus. C’est la somme empochée par certains encadrants de mémoire de Licence ou de Master à l’Université d’Abomey-Calavi (UAC). Le rituel s’impose à tout étudiant désireux d’obtenir son parchemin et qui, par infortune, tombe sur un enseignant véreux.

Sur le terrain, le mode opératoire qualifié de rançonnement par les victimes, est connu de bien des « mémorants » (étudiants préparant leurs mémoires) aujourd’hui titulaires des diplômes de Licence ou de Maîtrise. Les faits ne se déroulent pas devant tout le monde. La victime et son rançonneur (le professeur ou son assistant) définissent les paramètres. Ils conviennent de l’agenda, du lieu et des conditions de travail. Paul Henri Dagbénon, étudiant ayant fraîchement soutenu son mémoire de Maîtrise à la Faculté des Sciences Humaines et Sociales (FASHS) de l’UAC, témoigne : « Lorsque je devais faire ma soutenance de Maîtrise, je n’ai rencontré que deux fois mon encadrant de mémoire pour l’identification et la validation du thème. Passée cette étape, je ne l’ai plus jamais croisé si ce n’est son collaborateur qui m’a toujours pris de l’argent en son nom jusqu’à l’obtention du bon à déposer de mon mémoire …». Comme les enseignants à l’Université en général sont très pris (beaucoup d’étudiants à gérer ; préparation et animation de cours ; évaluations ; travaux de recherche pour l’inscription au CAMES ; colloques et autres, etc.) ils n’arrivent pas à contrôler toute la chaîne de rédaction et d’élaboration des mémoires. « Alors, pour les aider, ils piochent parmi les étudiants, mais généralement ceux dont ils s’assurent de la compétence. Et c’est à ces genres de personnes qu’ils confient les « mémorants », explique Tony Adagbé, maîtrisard de la Faculté des Lettres, Langues, Arts et Communication (FLLAC) de l’UAC. Profitant du vide créé par les titulaires de la charge ou à leur demande, les collaborateurs troquent le vêtement scientifique contre celui de rançonneur. Ou alors, c’est parfois l’enseignant lui-même qui joue ce rôle avec un mode opératoire bien rôdé, à l’abri des regards. Au fil de la rédaction du mémoire, le « tuteur » (à qui le maître de mémoire confie l’étudiant), se rend incontournable. « Ainsi, m’a-t-il grugé aisément prétextant que l’argent allait à l’enseignant. »,raconte un étudiant victime. Si les témoignages d’enseignants et autres victimes montrent bien la réalité du phénomène, réunir les preuves qui le révèlent n’est pas aisé. Prenant exemple sur son école, Dr Wenceslas Mahoussi, directeur adjoint de l’Ecole Nationale des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication de l’Université (ENSTIC) de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC), assure qu’aucun règlement n’oblige un « mémorant » à payer quelque argent à son encadrant.

Motus et bouche cousue …

Une jeune enseignante de la FASHS confirme l’existence de cette pratique mafieuse qui alourdit les dépenses des étudiants. D’autres étudiants y font également leur beurre, faisant le pont entre les encadrants de mémoire et les mémorants qui travaillent déjà, qui ont un métier et qui veulent un diplôme. Si les faits sont connus, leur dénonciation n’est pas aisée, car il règne sur l’Université une omerta. « L’université est une vaste République où le bien et le mal se côtoient. Une jungle de sectaires », chuchote la jeune enseignante de la FASHS qui n’ose élever une protestation contre cette filière mafieuse. Du haut de ses 36 années de pratique enseignante à l’Enseignement supérieur, Pr Félix Iroko tout en reconnaissant que cette pratique n’est pas nouvelle, se dit « choqué » par l’ampleur inquiétante qu’elle a prise, alors que les jeunes assistants sont pourtant « bien rémunérés ». Un assistant fraîchement recruté touche mensuellement 450.000 FCFA (plus de 650 Euros) net et son doyen perçoit à la titularisation 1.665.000 FCFA (plus de 2500 Euros). C’est en 2010 que le salaire des assistants est porté à 450 000 F CFA, soit le triple des 150 000 F CFA (229 Euros) mensuels précédemment perçus.
L’aggravation de la situation de rançonnement universitaire est en harmonie avec la situation globale du pays où le respect de l’éthique devient rare. Le rançonnement est courant à l’échelle nationale et par conséquent, « ceux qui le font à l’Université ont bonne conscience », tranche Félix Iroko. Mais comment l’Université en est arrivée à cette dérive alors que les principaux acteurs mis en cause sont des éducateurs ? Wenceslas Mahoussi tente une explication : « Quand vous voyez par exemple qu’on exige de l’enseignant lui-même de payer de l’argent pour passer des grades, vous vous imaginez que s’il n’est pas lui-même moralement solide, quelle peut en être la conséquence. Ce sont des réalités, à ne pas esquiver, qui ne devraient pas justifier ces agissements mafieux ».

Quid du règlement académique du CAMES et des lois …

Sur la question du rançonnement du « mémorant », le vice-recteur en charge des affaires académiques de l’UAC, Pr Djimon Marcel Zannou, se veut formel : « Pas un seul copeck à payer par le « mémorant » à son encadrant. Toutes les obligations monétaires à l’Université d’Abomey-Calavi qui lient l’étudiant à l’administration universitaire ont une traçabilité puisque bancarisées ».Tout ce que l’étudiant doit légalement au titre de ses frais de scolarité et d’encadrement de son mémoire ou sa thèse est versé à la banque, de sorte que la seule relation qui devrait lier l’étudiant à son professeur ou son encadrant est académique. Si aucun texte du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES) ne s’est penché sur les rapports pécuniaires entre l’enseignant et le « mémorant », Pr Bertrand Mbatchi, secrétaire général de l’institution académique internationale martèle cependant que « ces rapports devraient généralement être envisagés sous le prisme des différentes valeurs que promeut le CAMES à savoir : l’équité, la déontologie, la responsabilité, la transparence, l’objectivité, etc.… ». Ce sont ces valeurs morales que promeut l’Autorité Nationale de Lutte contre la Corruption (ANLC) en entamant une tournée dans les collèges et universités, afin d’entretenir les apprenants et les étudiants sur les dangers de la corruption et l’obligation de la combattre. Mais la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) est déjà passée à la phase de répression. S’appuyant sur la Loi du 12 octobre 2011 portant Lutte contre la Corruption et autres infractions connexes, elle a déféré un enseignant en prison dans un dossier de corruption à l’Université et attend de mettre la main sur ses complices en cavale. « Les faits pour lesquels nous sommes saisis sont des faits criminels et lorsque le fait est criminel, la sanction commence à partir de 5ans et peut aller à la réclusion ou à la perpétuité », avertit Ulrich Gilbert Togbonon, le procureur spécial de la CRIET.

Romuald D. LOGBO

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