Après le constat d’une disparition progressive des veillées de conte à l’ancienne, place cette semaine à l’état des lieux de la pratique du conte en milieu scolaire. Spécialistes de l’éducation et acteurs culturels opinent sur le sujet, sans langue de bois, dans ce deuxième numéro de la série de quatre (04) publications portant sur le conte au Bénin.
«Nous nous sommes rendus dans des écoles pour distribuer des questionnaires aux enseignants. Nous leur avions demandé d’être directs avec nous. Après la collecte, on a eu la réponse de chaque enseignant. Chaque vendredi soir, une heure est réservée au conte. L’enseignant doit dire un conte aux apprenants.Mais, nous avons constaté que cela ne se fait pas. Des enseignants nous ont confié qu’ils ne connaissent pas de conte. D’autres disent que le temps destiné à la pratique du conte est pris pour régler d’autres choses parce que le vendredi soir, il faut remplir le cahier. Les enfants sont donc laissés à eux-mêmes ».
Ce témoignage de Christian Serge Djossa Missigbèto, artiste-conteur, a suffit pour faire l’état des lieux de la pratique du conte en milieu scolaire. Directeur artistique de l’association Passion Culture Art (PCA), l’acteur culturel renseigne que face à ce tableau peu reluisant de la pratique du conte en milieu scolaire, son association a pris l’initiative d’intervenir dans les écoles. Enseigné depuis la classe de la maternelle, le conte fait partie aussi des disciplines inscrites dans le champ de formation de l’Education Artistique (EA), composante Arts Visuels, au primaire.
Ce que pensent les acteurs culturels de la pratique du conte dans les écoles

C’est une réforme majeure, confie le conteur Serge Zossou, que l’Education Artistique en l’occurrence le conte soit introduit dans l’enseignement primaire et évolue vers le secondaire. Mais il s’interroge sur la mise en œuvre dans les écoles. « L’intention est bonne. Mais malheureusement sur le terrain, la formation des enseignants est bâclée parce que ceux qui doivent les former, n’ont pas reçu la formation nécessaire pour faire le travail. Ils ne maîtrisent pas la pédagogie nécessaire pour pouvoir aller à la rencontre des enfants. Quand ils ont terminé toutes les autres matières et qu’ils arrivent à l’EA, surtout le conte, ils ne savent pas comment le rendre, et ils se contentent de faire lire le conte aux enfants pour les présenter à l’examen », déplore le conteur. Sa collègue de la même corporation, la conteuse Sylviane Zannou, pense qu’un enseignant qui est appelé à enseigner les mathématiques, le français et tout le reste, n’a pas forcément le temps pour apprendre encore vingt-deux (22) matières dans l’EA aux apprenants. Rencontré dans son centre d’excellence « Adjrou Houé », situé au village Agnonmin, dans la commune d’Akassato, département de l’Atlantique, l’artiste polyvalent Fidèle Anato alias « le Baobab » estime que le conte est dans l’école, mais n’est pas encore de l’école. « Le conte est mis dans le programme, mais il n’est pas encore au programme. Il faut ramener les arts et la culture comme des matières officielles et non des matières facultatives. Le théâtre, la danse, le conte, la musique, doivent venir à l’école de manière officielle », plaide-t-il.
Les spécialistes de l’éducation se prononcent sur la pratique du conte en milieu scolaire
Joint au téléphone par rapport à la place qu’occupe l’Education Artistique notamment le conte dans les activités pédagogiques, Edmond Adanvessodé, Conseiller Pédagogique (CP) de la zone n°3, Région pédagogique n°28, Cotonou-Gbégamey clarifie : « Le conte occupe une place importante, d’autant plus qu’il s’apprend depuis la maternelle. Depuis la maternelle, on enseigne aux tout-petits le conte. A l’école primaire, l’enseignement du conte continue jusqu’au CM2. Au CEP, l’EA se fait à travers deux épreuves. Une épreuve écrite qui peut être la couture ou le dessin, et une épreuve orale qui peut être le chant, la poésie ou le conte ».
Dans les emplois du temps, le conte est programmé pour se dérouler généralement dans la soirée du vendredi. Mais suivant nos investigations sur le terrain, ce programme n’est souvent pas respecté et souffre de manque d’application. Un enseignant d’une école primaire publique dans la commune d’Abomey-Calavi, rencontré à la sortie du cours, dans la soirée du vendredi 25 mars 2022, évoque les raisons. Sous le couvert de l’anonymat, il explique : « C’est souvent difficile pour nous de dérouler le programme de l’Education Artistique, parce qu’il faut régler l’utile avant l’agréable. Au même moment où on doit tout faire pour achever le programme des cours, il y a aussi l’éducation artistique qui est à côté. Cela fait que parfois, on préfère surfer sur le programme de l’AE pour avancer dans les cours. L’autre chose aussi, c’est que nous n’avons pas reçu les compétences artistiques nécessaires pour dire des contes aux enfants comme des professionnels. » Un avis que semble partager Fidèle Johnson, directeur de l’Ecole Primaire Publique Cococodji-Jardin, qui renchérit : « Les enseignants attachent de moins en moins d’importance au conte, vu qu’ils ne sont pas équipés eux-mêmes. Ils n’ont pas une banque de contes, ce qui fait qu’il y en a qui bredouillent. » Il poursuit en faisant observer que : « Le conte a sa démarche pédagogique particulière qui n’est pas souvent respectée dans les écoles primaires. Il faut rester sous un arbre, il faut mettre les enfants dans une certaine disposition pour pouvoir leur dire le conte. Les enfants sont beaucoup intéressés. » La responsabilité de l’absence du conte dans les écoles peut être attribuée aux enseignants. Car, pense le directeur, « ce sont les enseignants qui ont aujourd’hui une certaine paresse même s’il y a le matériel qu’il faut. Sans vous mentir, le matériel ne coûte pas grand-chose. »
La formation des enseignants pour la pratique efficace du conte
À la question de savoir si les enseignants sont aguerris comme cela se doit pour dire le conte aux apprenants, le Conseiller Pédagogique Edmond Adanvessodé répond : « Ils ont été formés pour les différentes démarches enseignements-apprentissages de l’EA, et aussi pour le conte. Cette démarche se trouve dans les guides et les mesures correctives. Ils sont bien outillés et plus loin, à travers le module de conte que nous élaborons et administrons lors des formations de proximité que nous faisons dans les Unités Pédagogiques (UP). » Pour améliorer la pratique du conte dans les écoles, Edmond Adanvessodé exhorte les enseignants à suivre rigoureusement l’emploi du temps et à enseigner le conte à son horaire indiqué. « Nous, Conseillers Pédagogiques, nous y veillons beaucoup. Quand nous allons dans la classe d’un enseignant au cours du déroulement du conte et qu’il ne le fait pas, nous lui demandons des explications par écrit. Vous ne pouvez pas abandonner une discipline au profit d’une autre », conclut-il. Face aux difficultés des enseignants à dire le conte aux apprenants, certains professionnels des arts et de la culture viennent à la rescousse avec des initiatives. C’est de cela qu’il sera question dans la troisième parution de ce dossier consacré à l’état des lieux du conte en milieu scolaire.
Edouard KATCHIKPE