La vie des nations démocratiques est caractérisée par le jeu d’acteurs de différentes institutions à côté desquelles la presse joue le rôle d’observateur en se faisant l’écho interrogateur du peuple. Le rôle du journaliste est de poser des questions à tout le monde, partout et toujours. Du Président de la République au dernier des citoyens du plus petit village, personne n’échappe à son micro, à ses questions, à sa collection de documents et autres. Cela s’appelle la collecte de l’information. Cependant, cette collecte d’informations est parfois stoppée nette par le devoir de réserve. Bienvenue dans ce deuxième acte de notre série consacrée au devoir de réserve et à l’accès à l’information.
«Vous a-t-on empêché d’avoir une information sous le motif de devoir de réserve ? » C’est la question que nous avons posé à des professionnels des médias, des rédacteurs en chefs plus précisément. Voici les avis de ceux qui nous ont répondu. Pour Jacques Boco, du quotidien Matin Libre : « sous ce motif, je ne saurais être affirmatif, puisque pour ce que j’ai vécu, on ne m’a même pas fait un retour pour me dire ou me notifier quoi que ce soit ». Kokouvi Eklou de La Nation répond : « Oui, ça m’est arrivé de ne pas disposer d’informations sous ce motif ». Côté presse en ligne, Léonce Gamaï, journaliste et Manager à Banouto répond : « évidemment ! C’est un motif auquel les agents de la fonction publique et même de certaines structures non étatiques font recours pour éviter de répondre aux questions du journaliste. Plus souvent, on est confronté à cela sur les sujets d’enquête ». Dernier à intervenir, Saturnin Djossou de Soleil FM : « ce que nous avons vécu est peut-être à tort confondu à l’obligation de réserve. C’est carrément un refus de donner accès à des sources d’informations qui plus encore sont des sources d’informations publiques. Je ne pense pas qu’on pourrait appeler devoir de réserve le refus d’un fonctionnaire de donner un document public qu’il a en sa possession ». Comme eux, de nombreux journalistes sont stoppés dans l’exercice de leur profession dont le principal intrant est l’information. Pourtant, l’accès à cette information est garanti par le code qui en parle.
L’accès à l’information publique…
Dans la précédente parution, nous avons abordé les articles 71 et 73 de la loi N°2015- 07 du 20 mars 2015 portant Code de l’Information et de la Communication en République du Bénin. La répétition étant pédagogique, on peut en faire un bref rappel pour rafraîchir les mémoires. L’article 71 stipule : « Tout agent ou organisme qui refuse le droit d’accès aux sources publiques d’information doit en justifier la décision. Toute entrave aux droits d’accès à l’information est passible de sanction administrative et/ou judiciaire ». Ensuite, l’article 73 : « Les agents peuvent dévoiler et fournir des preuves de tous comportements illicites dans l’administration publique. Sauf dénonciation calomnieuse, ils n’encourent, ce faisant, aucune sanction administrative ou mesure disciplinaire». A cela, on peut ajouter l’article 76, relatif aux documents publiés et non encore publiés. Il est écrit : « Le droit d’accès à un document produit par un organisme public ou pour son compte et ayant fait objet d’une publication ou d’une diffusion, ne s’exerce que par consultation sur place pendant les heures habituelles de travail ou par l’obtention d’informations suffisantes pour permettre au requérant de le consulter ou de se le procurer là où il est disponible. De même, le droit d’accès à un document produit par un organisme public ou pour son compte et devant faire l’objet d’une publication ou d’une diffusion dans un délai n’excédant pas six (06) mois à compter de la demande d’accès s’exerce par l’un ou plusieurs des moyens suivants : la consultation sur place pendant les heures habituelles de travail, l’obtention d’informations suffisantes pour permettre au requérant de le consulter là où il est disponible ou de se le procurer lors de sa publication ou de sa diffusion, le prêt du document, à moins que cela ne compromette sa publication ou sa diffusion ». Cela dit, l’information publique est rendue disponible après avoir suivi une procédure d’accès explicitée par le Code.
Demande écrite ou verbale, cinq jours francs pour répondre…
« Tout citoyen qui veut obtenir un renseignement ou un document auprès d’un organisme public en formule la demande. Cette demande est écrite ou verbale. Lorsqu’il s’agit d’une consultation sur place, la demande verbale est assortie d’un écrit. Ladite demande d’accès est adressée aux supérieurs hiérarchiques de l’agent public qui détient le document ou le renseignement au sein de l’organisme », stipule l’article 78 du Code. Quant au délai de mise à disposition de l’information, l’article 80 en fait une explication détaillée dont nous prenons certains extraits.Dès le début, il est indiqué : « L’agent ou le responsable public qui a reçu une demande est appelé, avec diligence et, dans les cinq (05) jours francs qui suivent la date de la réception à … ». Plus loin, le dernier alinéa précise : « Si le traitement de la demande dans le délai prévu au premier alinéa ne lui paraît pas possible sans nuire au déroulement normal des activités de l’organisme public, l’agent ou le responsable public peut, avant l’expiration du délai, le prolonger d’une période n’excédant pas trois (03) jours francs. Il en donne alors avis écrit au requérant par courrier express ou par les moyens les plus rapides ». Pour finir sur ce registre, l’article 82 ajoute : « Tout refus de donner communication d’un renseignement ou d’un document public doit être motivé ». Cette procédure, les journalistes la connaissent bien mais la réalité du terrain est là. Ceux interrogés ici le soulignent unanimement avec les mots de Kokouvi Eklou : « très souvent vous n’avez jamais le retour. Vous avez beau les relancer mais c’est peine perdue ». Jacques Boco revient sur un exemple palpable. « Les deux expériences, je dirai malheureuses, dont je me souviens, il y a qu’en 2016 dans le cadre de la réalisation d’un dossier sur la centrale de Maria Gleta 1, la rédaction a adressé formellement une demande à la SBEE, assortie d’une décharge pour solliciter des entretiens avec des personnes ressources qu’elle lui plaira de nous recommander. Deux semaines après, en dépit des relances, c’est resté sans suite », informe-t-il. Ne baissant pas les bras, son équipe rédactionnelle décide de passer à la tutelle hiérarchique. « Ainsi, dans les mêmes formes, le ministère de tutelle fut saisi. Jusqu’à ce jour, rien à signaler non plus », fait savoir le professionnel des médias. Cette infortune, Educ’Action la rencontre jusqu’à ce jour. Nombreux sont les courriers envoyés dans le cadre des différents thèmes abordés mensuellement qui n’ont pas connu de suite à ce jour malgré les nombreuses relances. Face à ce constat, on pourrait avancer la thèse du contenu des demandes des journalistes. A ce sujet, abordons les cas où l’accès à l’information pourrait ne pas avoir de suite.
Restrictions du droit d’accès à l’information…
« Les restrictions du droit d’accès aux sources publiques d’information ne se justifient que dans des circonstances exceptionnelles commanditées par l’intérêt public : le secret défense et le secret de l’instruction judiciaire », tel est l’article 83 du Code. Un autre article sur la question qu’on pourrait aborder est le 90. En voici la substance : « Ne peuvent pas être communiquées avant l’expiration d’un délai de six (06) mois à compter de la date d’émission : les communications du Gouvernement à l’un de ses membres ou à un comité ministériel ; les communications d’un membre du Gouvernement à un autre membre du Gouvernement ; les recommandations d’un comité ministériel ou interministériel au Gouvernement ; les recommandations d’un membre du Gouvernement au Gouvernement ; les analyses au sein du Gouvernement, portant sur une recommandation ou une demande faite par un ministre, comité ministériel ou un organisme public ou sur un projet de texte législatif ou réglementaire. De même, ne peuvent pas être communiqués avant l’expiration d’un délai de deux (02) ans à compter de la date d’émission : l’ordre du jour d’une réunion du Conseil des ministres ; les mémoires des délibérations du Conseil des ministres. Sous réserve de leurs statuts et de leurs règlements intérieurs les mêmes dispositions sont applicables, avec les adaptations nécessaires aux mémoires des délibérations des institutions constitutionnelles ». De nombreux autres cas de restrictions sont prévus par la loi que nous ne pourrons aborder ici. Nul n’étant censé ignorer la loi, il appartient à chacun d’en prendre connaissance. Cela dit, la loi prévoit aussi des voies de recours pour faire face aux goulots d’étranglement de l’accès à l’information. Ces voies seront abordées dans le troisième acte de cette série en plus du vécu des journalistes et de l’action de la HAAC sans oublier la bataille juridique entre devoir de réserve et Code de l’Information et de la Communication.
Adjéi KPONON