Le dossier du mois de février consacré aux dérapages sexuels en milieu scolaire aborde son dernier virage dans cette quatrième parution de thématisation. Après constat de terrain et recueil d’avis de l’administration scolaire et des parents sur la problématique, voici venu le moment pour les chefs religieux, psychopédagogues et psychologue cliniciens de partager leurs opinions sur le sujet et de formuler des pistes de solutions pour un retour à la normale des choses.
N’ayant pas de statistiques relatives aux cas des enseignants qui abusent des apprenantes, Sègbédé Aligbonon, psychologue clinicienne n’a pas manqué de réagir du point de vue psychologique. « C’est à l’enseignant de dire ce qui s’est passé dans sa tête. Il peut en être conscient comme il peut en être inconscient. S’il en est conscient et qu’il a envie de dire ce qui s’est passé dans sa tête, en l’écoutant dans un raisonnement de confiance, on peut l’aider à prendre conscience de ce qui s’est passé dans sa tête ou même dans son cœur. Ses émotions en général, ses ressentis, ses pensées. Chaque situation est singulière. Les gens ne sont pas forcément les mêmes et les contextes ne sont pas les mêmes si on a tendance à voir une répétition des faits », a-t-elle clarifié pour montrer l’importance d’écouter pour savoir ce qui a pu se passer dans la tête d’un enseignant qui en vient jusqu’au viol de son élève. Ce comportement peut émaner de l’éducation reçue par l’enseignant qui s’illustre dans cette mauvaise pratique ou une maladie. « L’enseignant peut être quelqu’un qui a développé ou qui entretient des comportements d’ordre vicieux. Cela peut être un comportement inadapté, c’est–à–dire un fonctionnement qui n’est pas cohérent, qui n’est pas accepté par la société, qui n’est pas harmonieux dans la société, qui peut blesser ou qui peut violenter l’autre. C’est un comportement inadapté ou cela peut être un fonctionnement aussi pathologique. L’inadaptation dont je parle peut aller plus loin et ne pas être juste un comportement ou un fonctionnement inadapté, mais une maladie. Cela peut être une pathologie parce que la façon dont l’individu voit les choses, comprend le monde, entre en relation avec les autres est une façon biaisée », a-t-elle argumenté. Quand on parle de maladies en psychologie, soutient-elle, ce n’est pas nécessairement de maladies visibles, des maux de tête où on peut quantifier, une fièvre qu’on peut mesurer. Mais, nuance-t-elle, ce sont des formes de pensées, d’émotions, de croyances ou de représentations de la vie que l’individu a, mais qui sont un ensemble de choses incohérentes et biaisées qui peuvent lui porter des préjudices ou porter préjudice à un tiers.
Déviances sexuelles en milieu scolaire : Les causes du phénomène, selon l’église catholique…
L’école est à la croisée des chemins et aujourd’hui les dérives sexuelles observées ci et là plombent l’atmosphère pédagogique et tous se demandent quelles en sont les causes. Selon le Père Ghislain Sanny, curé de la paroisse Saint Antoine de Padoue d’Abomey-Calavi, la déviance sexuelle commence d’abord par l’habillement. « Les gens s’habillent pour être nus. La dépravation devient un comportement. La prostitution en milieu scolaire devient de plus en plus courante », fait-il observer. Même si elle ne date pas d’aujourd’hui, le Père fait le constat que c’est « l’arrogance avec laquelle les gens s’affichent, tout en étant conscients d’être déviants qui surprend et choque ». Première au banc des accusés, c’est l’éducation familiale. « De plus en plus, on se rend compte que les parents fuient leurs responsabilités », soutient le curé. Au tour du Père Samuel Akanmadomènoukon, vicaire de la paroisse Saints Pierre et Paul d’Abomey d’ajouter : « à l’école, il faut parler de la sexualité avec pudeur, prudence et respect parce que c’est un acte très sacré. Si déjà on leur inculque la sacralité du sexe, ils sauront vraiment comment faire face à cette réalité sans se laisser entraîner précocement ». Après la question de l’éducation viennent ensuite les réseaux sociaux. Deuxième au banc des accusés, les deux prêtres reconnaissent que c’est bel et bien la goutte d’eau qui a fait déborder le vase au bout d’un clic. « Il suffit d’un clic et des petits enfants s’ouvrent à la réalité de la sexualité », martèle Samuel, le vicaire immédiatement rejoint par son aîné d’Abomey-Calavi qui renchérit : « les réseaux sociaux, la télévision, tout ce que les gens regardent sur internet, les feuilletons, les images érotiques qui passent et qui excitent les gens et leur curiosité. Quand on est engagé dans cet engrenage, on s’en sort très difficilement ». En un mot, se désole le Père Sanny, il y a eu une défaillance au niveau de l’éducation et un laisser-aller général ».
Tabous sexuels et conséquences de la sexualité précoce …
Les tabous de nos sociétés sont, pour beaucoup de citoyens, la cause de la précocité sexuelle au niveau des jeunes, notamment en milieu scolaire. Sur la question, le Père Sanny s’interroge : « je me demande si le fait que la sexualité ait été un sujet tabou pendant longtemps n’a pas discipliné plus ou moins certaines tranches d’âge de la société, qui, ne pouvant pas dire n’importe quoi et traiter de ces sujets de façon vulgaire et publique, avaient quand même une certaine sagesse ». Cependant, il ne manque pas de faire observer qu’il ne s’agit pas de cultiver une certaine ignorance ou hypocrisie dans la société, mais tout ce qui mérite d’être traité doit l’être avec une certaine sagesse, surtout ces sujets de moralité. Les conséquences de ce manque de sagesse sont connues de tous y compris du vicaire. « Les risques sont nombreux. Comme par exemple les infections, les grossesses non désirées qui empêchent les enfants de s’épanouir et d’atteindre leurs objectifs, les maladies sexuellement transmissibles, etc. Les élèves n’ont plus le goût aux études, le goût de la facilité s’installe et ce sont là les risques pro éminents », reconnaît le Père Samuel Akanmadomènoukon. Poursuivant dans ses explications au sujet des impacts d’une sexualité précoce, le prêtre d’Abomey ajoute : « si de plus en plus les grossesses en milieu scolaire s’accroissent, cela veut dire que notre société manque de maturité parce qu’avant d’avoir une grossesse, il faut une certaine maturité, une sexualité responsable vécue en pleine conscience, ce qui manque aujourd’hui. Les filles tombent vite enceinte, elles se mettent facilement en couple en n’ayant pas l’expérience qu’il faut ». L’avenir des enfants est ainsi hypothéqué à cause d’une famille fondée sur des parents précoces.
Affaire « Sacré-Cœur » : Ce n’est pas une école catholique
Récemment, une vidéo a été diffusée sur les réseaux sociaux, vidéo dans laquelle il y a eu les dérapages d’un homme âgé dont on a même montré le visage dans une école Sacré-Cœur située à Abomey-Calavi. « Certains racontent qu’il s’agit d’une école catholique. Il n’y a aucune école catholique ici à Abomey-Calavi qui s’appelle Sacré-Cœur. Nous avons fait l’enquête », martèle Ghislain Sanny, curé de la paroisse Saint-Antoine de Padoue. Dans cette affaire, le prêtre pointe du doigt « des gens mal intentionnés qui peuvent vouloir détruire de l’intérieur le bien qui se fait », avant de faire la lumière sur l’appartenance d’une école à l’Église Catholique : « l’école catholique est une école que l’Église tient, qui est dirigée par l’Église et dont l’Église répond ». Vu que c’est la dénomination de l’école qui aurait causé cette confusion, Ghislain Sanny fait des clarifications. « Il peut y avoir une école créée par quelqu’un qui lui a donné le nom de Sacré-Cœur alors, c’est une école privée. Il y a de nombreuses écoles qui portent des noms de saints. Ce n’est pas parce que vous êtes catholique, que vous avez créé une école que vous appelez Jésus que l’école est catholique », martèle-t-il.
Les dérapages des enseignants : Un mal indétectable au recrutement …
Quand on lui demande qu’est-ce qui peut conduire des enseignants à vouloir abuser de leurs élèves, la réponse du Père Samuel Akanmadomènoukon est claire : un dérèglement. « C’est une maladie de l’âme qu’ils ont, c’est le raisonnement qui a pris un coup », justifie le prêtre d’Abomey. L’autre piste à explorer selon le clerc, c’est la recherche de gains faciles qui se traduit par le fait de pratiquer des rituels divers pour avoir de l’argent. Pour séparer le bon grain de l’ivraie, le vicaire s’interroge aussi sur la capacité des écoles à pouvoir détecter ce mal pernicieux au moment du recrutement de ces enseignants gangrenés de l’intérieur. « Quand on recrute quelqu’un, on n’a jamais idée de qui cette personne est au fond. Vous pouvez faire des enquêtes, mais la personnalité morale de la personne est toujours voilée. Les dossiers que les gens fournissent ne nous donnent pas de détails sur le passé des gens et sur leur état psychiatrique et psychique », explique-t-il. Pour endiguer le phénomène des bancs de l’école, le vicaire d’Abomey, partage ses solutions. « Pour recruter les gens, il faudra fouiller leur passé, fouiller leur palmarès, ne pas se fier seulement à ce que les gens mettent sur les papiers, il faudra faire des enquêtes de fond pour voir de quoi ils sont capables, comment ils ont traité les enfants de par le passé, chercher à savoir s’il n’y a pas eu de leur part des comportements qui pourraient faire soupçonner des élans du genre », conseille le prêtre avant d’inviter la justice à frapper fort pour exorciser l’école béninoise de ce mal qui le ronge. A son tour, le père Sanny invite les enseignants à la prise de conscience et les autorités éducatives à œuvrer pour leur formation, leur discipline en exigeant un minimum d’eux.
Dérapages sexuels : Les solutions de l’Église …
«En tant qu’homme d’église, je dis, revenons aux valeurs. Aujourd’hui, l’Eglise ne prend aucune décision dans le social sans tenir compte de certains principes. De façon globale, on peut les résumer en 4, ce sont les principes fondamentaux de la doctrine sociale de l’Eglise : la dignité de la personne humaine, le bien commun, la solidarité et la subsidiarité. L’option qu’on fait en quoi respecte-elle la dignité de la personne humaine ? En quoi va-t-elle dans le sens du bien commun ? En quoi va-t-elle dans le sens de la subsidiarité et de la solidarité ? », observe le Père Sanny. Par ailleurs, rappelle-t-il, chaque chose en son temps. Ainsi, quand on dit aux jeunes d’attendre, cela ne veut pas dire qu’on est en train d’abuser d’un pouvoir, qu’on est en train de créer une ascèse inutile, une contrainte, non ! C’est pour le bien de la personne. « Ce qui est interdit aujourd’hui à un mineur, demain sera permis parce qu’il est adulte et qu’il peut prendre la mesure de toute sa responsabilité dans l’acte qu’il pose », fait savoir le prêtre. Groupes et mouvements de divers charismes pour tous âges, écoles de mariage et autres initiatives sociales sont les actions posées par l’Église pour favoriser l’épanouissement et le bien-être de la personne humaine, souligne le prêtre pour montrer de façon concrète ce qui se fait. Aux responsables du système éducatif, il ajoute : « j’aimerais demander quels sont les repères par rapport aux options qu’on fait en matière d’éducation ? On ne peut pas vouloir une chose et son contraire, on ne peut pas dire enseigner le sexe aux enfants et au même moment dire que les enfants ne seront pas tentés d’aller appliquer ce qu’on leur enseigne. Il faut être responsable dans l’option qu’on fait et faire des options pour construire une société, pour construire l’avenir d’un peuple ».
Déviances sexuelles : L’imam d’Aïdjèdo conseille
Pour Abdoul Jalili Yessoufou, imam de la Mosquée Centrale d’Aïdjèdo-Cotonou, plusieurs raisons militent en faveur de ces dérapages sexuels. « il y a le contact, le mauvais accoutrement des filles, la naïveté, la peur, la vie de la fille dans un couple séparé, ce qui pousse celle-ci à la recherche d’un pouvoir parental, l’adolescence, le manque d’encadrement des parents, le trafic d’influence, de notes, le manque d’éducation, le manque de responsabilité, la misère de la fille, le mauvais traitement de l’enseignant », a-t-il confié peiné à Educ’Action. Il invite, dans ce cas, les parents à échanger avec leurs filles, à subvenir aux besoins de leurs filles. Il poursuit qu’il faut éviter l’isolement avec l’enseignant et amener les filles à apprendre leurs leçons tout en évitant de dispenser tardivement des cours. « Il faut éviter ou interdire des tenues sexy aux apprenantes, appliquer les sanctions et si possible renforcer l’arsenal juridique en la matière », suggéra-t-il.
Respect des valeurs endogènes : La solution des gardiens de la tradition pour changer la donne…
William Fahouégnon est dignitaire du culte Thron Kpéto Déka Alafia dans le quartier Dèvoukanmè à Tori-Bossito. De l’avis du dépositaire de la tradition, la recherche du gain facile et le refoulement des valeurs sacrées sont en partie responsables des nombreuses dérives enregistrées sur le plan du sexe dans le milieu scolaire. « Sous le couvert de la mode ou de la mondialisation, les enfants ne veulent plus entendre parler de valeurs, ni de respect des mœurs qui caractérisent la société béninoise et africaine. Nous avons une culture qui caractérise notre identité, mais malheureusement, cette culture est la chose la moins partagée aujourd’hui en milieu scolaire où le sexe est devenu un jeu d’enfant et des enseignants qui en viennent au sexe avec leurs apprenantes. C’est ahurissant qu’on dise que des enseignants, éducateurs pour les enfants tiennent des relations sexuelles avec leurs élèves. Quelque chose ne tourne pas rond. Mais cela se comprend quand on voit tout ce que diffuse dans les télévisions, les portables et les médias sociaux qui sont aujourd’hui à la portée des élèves », déplore le prêtre de Fâ qui s’offusque qu’on ne devrait pas perdre de vue les valeurs endogènes sous prétexte que le monde évolue. Pour changer la donne, le dignitaire exhorte les enseignants à une prise de conscience de leur rôle d’éducateur pour les enfants et la mise en application ferme et sans état d’âme des sanctions à l’endroit des enseignants qui ne voudront pas prendre le pli.