Dépigmentation de l’enfant : Des spécialistes et acteurs opinent… - Journal Educ'Action - Éducation au Bénin et dans le monde

Dépigmentation de l’enfant : Des spécialistes et acteurs opinent…

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L’enfant, âme sensible et innocente, se voit administrer des produits cosmétiques de dépigmentation sur sa peau. Ce phénomène, à la mode et pratiqué par des parents sur l’enfant, ouvre la porte à des conséquences néfastes sur la progéniture et l’auteur de l’acte.

Eloïse A. (prénom attribué), femme au foyer et revendeuse de produits cosmétiques dans sa boutique à Agla Akplomey, est mère d’une fille de 8 mois. D’un teint noir d’ébène et d’une morphologie qui rappelle les amazones d’Abomey, elle a commencé à s’inquiéter depuis juillet 2022 de la peau de son enfant. Laquelle peau, selon ses dires, noircit davantage et devient semblable à un sachet noir. À un moment donné, avec une facilité déconcertante, du sourire aux larmes, elle a concocté, aux dépens de sa fille, un savon que n’a homologué aucun laboratoire de conception de produits cosmétiques. Aujourd’hui, sa fille a un teint clair, critiqué par l’entourage. En dehors de cette potion de savon qu’elle a préparée pour décaper son enfant, elle a, par ailleurs, acheté une pommade (sur la pommade se trouve la photo d’un enfant clair avec mention 5 mois, ndr) qu’elle fait subir à la peau de son bout de chou. Des enquêtes menées autour d’elle, il ressort que le père de l’enfant est clair. Pour ce faire, elle clame, selon les propos des personnes de son entourage approchées, que l’enfant ressemble à son père. Le mari, requérant en effet l’anonymat, déclare : « Ma fille est devenue noire. Cela ne m’a pas gêné. C’est seulement avec le temps, j’ai constaté que sa peau est lisse et claire. J’ai poussé ma curiosité et ma femme m’a dit qu’elle me ressemble. Je n’ai pas imaginé que c’est une pigmentation sur mon enfant. Mais votre préoccupation vient de me réveiller ». Des cas de dépigmentation sur enfant et suscités par des mères, sont légion dans les quatre pôles du Bénin. Dans les ménages, des mères refusent de voir noircir leur enfant, soutenant vouloir garder le teint de naissance. Une situation encouragée et suivie par plus d’une femme mais qui heurte la sensibilité de l’enfant. Des raisons sont évoquées.

Le maintien de la peau de naissance et le reniement de l’identité

« Les parents pensent embellir la peau de l’enfant. Ils veulent garder la peau que l’enfant avait à la naissance, le même teint. Ils ne savent pas qu’ils sont en train de dépigmenter leurs enfants », confie le docteur Nardège Hounkpè Mèlomè, dermato-vénérologue, soulignant ainsi l’ignorance des parents par rapport aux effets de la dépigmentation sur l’enfant. Relevant d’une question épistémologique, l’homme africain ayant subi une domination culturelle à travers la colonisation, subit aujourd’hui une domination structurelle à travers les standards occidentaux qui lui sont projetés en termes de réussite, d’idéal et de savoir. Le caractère mauvais de la peau noire, donc de l’enfant, forgé dans la tête des parents, est l’une des raisons. Une remise en cause de la peau s’observe, en effet. « C’est le reniement de la peau, de l’identité qui peut amener un parent à vouloir changer la peau de son enfant très tôt. Quand on grandit, dans la conception, à vouloir le faire, ça devient compliqué. Donc certains parents prennent la mesure très tôt pour commencer à agir sur l’enfant », a indiqué le docteur Bruno Montcho, sociologue de la débrouille et de la déviance. « Aujourd’hui, il n’est pas rare que les valeurs africaines que nous avons toujours chéries en matière de solidarité, de courtoisie, de respect, d’humilité sont des tendances baissières proportionnellement au fait que l’enrichissement, l’égoïsme, l’individu roi et ses corollaires sont portés en triomphe », va dire maître Fifa Marc Zinzindohoué, avocat stagiaire au Barreau du Bénin en guise de propos liminaires. Il ajoute donc : « Tout ceci induit donc une projection de l’homme africain dont le taux de mélanine lui confère une peau noire, projection sur un idéal occidental matérialisé par la quête d’une couleur de peau qui se rapproche plus des standards qui lui sont vendus par la société, notamment le capitaliste à travers la consommation de produits alimentaires, culturels et par finir, en matière de dépigmentation de peau ». La dépigmentation de la peau de l’enfant serait facile pour garder le teint clair de l’enfant à sa naissance. « D’aucuns disent que quand on commence dès le jeune âge, on a moins de difficulté. Si nous nous situons dans cette conception, dans les cercles les plus restreints, ce sont beaucoup plus les femmes qui sont habituées à cette dynamique », a affirmé le docteur Bruno Montcho, imputant ainsi le tort de la décoloration de l’enfant aux mères. Abondant dans ce sens, le docteur Nardège Hounkpè Mèlomè, dermato-vénérologue précise : « Elles ont souvent décidé de garder la peau de l’enfant joli. Bizarrement, elles veulent garder le teint de naissance. Ce qui est impossible. Les papas ne remarquent pas souvent ». Le docteur Bruno Montcho, maître-assistant dans le département de la sociologie-anthropologie à l’Université d’Abomey-Calavi, dans ses envolées explicatives, affirme : « c’est pour montrer qu’on a fait un enfant clair. C’est pour se donner une valeur à travers l’enfant que l’on a fait naître que amène le parent veut forcément garder le teint ». Les produits cosmétiques qui décapent l’enfant, avec une source de provenance peu ou prou identifiée, sont composés d’hydroquinone, de corticoïdes, de glutathion, etc.

Des produits d’origine douteuse et sans précision

Une bonne partie des produits utilisés par les parents, est parfois des préparations magistrales. C’est le cas de dame Eloïse A. qui a pris le soin de préparer le savon pour les bains de sa fille. « Des conseils donnés de bouche à oreille, elles achètent des produits au marché qu’elles mélangent elles-mêmes pour, soi-disant, toujours protéger la peau du bébé », a dit le docteur Nardège Hounkpè Mèlomè, avant d’ajouter qu’elle est étonnée que des parents intellectuels refusent à l’enfant d’avoir son teint définitif. Sur dix femmes, pour la plupart analphabètes approchées, elles tiennent compte des conseils et de l’image de l’enfant postée sur le produit cosmétique pour opérer leur choix. Ce constat illusionniste, la dermato-vénérologue Nardège Hounkpè Mèlomè, l’a corroboré en arguant : « Dans d’autres cas, elles achètent déjà les produits sur lesquels est mise la photo d’un bébé au marché. Quand les mamans voient l’image d’un bébé, selon elles, c’est bon. Elles achètent pour leur enfant ». Mais ces laboratoires qui fabriquent ces genres de produits, précise-elle, ne mettent qu’une partie de la composition dessus. « Les produits cosmétiques sont souvent des médicaments utilisés pour guérir d’autres maladies. Nous avons remarqué qu’il y a certains laboratoires cosmétiques qui ont détourné ces produits pour en faire des cosmétiques pour dépigmenter la peau », se désole un autre dermatologue qui a refusé de décliner son identité. La peau de l’enfant est fragile, immature, perméable par rapport à celle de l’adulte. Cet état de chose en vogue, n’a de cesse de porter atteinte à l’intégrité physique de l’enfant.

Que dit le code de l’enfant en la matière ?

Le Bénin, pays de l’Afrique de l’Ouest, a ratifié un certain nombre d’instruments juridiques qui édictent la protection de l’enfant comme principe fondamental. Cet élan juridique est consacré et constaté surtout par la loi N°2015-08 du 8 décembre 2015 portant code de l’enfant en République du Bénin. Suivant les dispositions de loi sus-évoquée en son article 18 alinéa 1 : « l’enfant a également droit au respect de son intégrité physique et morale ». Partant de ce postulat que l’article sus-cité reconnaît comme droit à l’enfant, entre autres, le respect de son intégrité physique et morale, maître Fifa Marc Zinzindohoué, avocat stagiaire au Barreau du Bénin joue la carte de l’explication de l’expression « intégrité physique ». « Il y a lieu de préciser que l’intégrité physique est une notion fonctionnelle du droit. Elle fait appel à la notion consacrée de liberté individuelle. De façon générique, on peut retenir l’intégrité physique comme le droit en vertu duquel tout individu, spécialement l’enfant, en la présente occurrence, a droit au respect de son corps : le droit de la liberté et le droit à la liberté. Le droit à la liberté commence donc par le respect de l’intégrité physique, de la dignité de l’autonomie de la personne », fait savoir l’homme de droit.
Est-ce que les parents surfant sur le terrain de la dépigmentation de leur enfant, encourent à des peines juridiques ? Maître Fifa Marc Zinzindohoué répond en ces termes : « En lien avec l’article 353, le non-respect du droit à l’intégrité physique de l’enfant appelle une répression traduite par des peines délictuelles de 6 mois à 5 ans d’emprisonnement et d’une amande de 150 mille ». Mesurant la récurrence de ce phénomène de dépigmentation sur l’enfant, il ajoute en effet : « c’est pour dire que l’atteinte à l’intégrité physique et morale de l’enfant est sévèrement réprimée en droit béninois. Pour être fidèle à l’esprit du législateur, on pourrait concevoir et envisager, de façon objective, que le fait d’administrer à un enfant des produits décapants, peuvent sur la durée, et les études scientifiques l’ont démontré, porter une atteinte à son intégrité physique ».
À la lumière de ces articles cités plus haut, on peut bel et bien envisager et soutenir pleinement que le phénomène de dépigmentation sur l’enfant est réprimé en droit béninois. Du moins, les parents infracteurs sont dans le viseur de la loi. Suscitant autant d’engouement dans le rang de quelques parents, nommément les femmes, la dépigmentation de l’enfant fait le lit à de nombreuses conséquences.

La dépigmentation de l’enfant : une boîte de maladies ?

Il est de rares familles où la décision de la décoloration de l’enfant est consentie. Au Bénin, l’enfant clair fait l’objet de toutes les attentions et de tous les appétits. « On ne peut pas administrer de produits cosmétiques pour dépigmenter la peau de quelqu’un. Ce n’est pas bon. C’est du poison. Si un adulte décide de s’empoisonner parce que ce sont les mots que j’utilise, qu’il s’empoisonne seul, mais laisse l’enfant », a dit la dermato-vénérologue Nardège Hounkpè Mèlomè, avant de soutenir que si elle emploie ce verbe (s’empoisonner, ndr), c’est pour montrer combien le phénomène est néfaste et toxique. L’enfant, au fil du temps, avec sa couleur de peau normale, en tant que béninois, s’affirme parce que la mélanine est là et commence à se développer. « À un certain niveau, les produits que les uns et les autres utilisent, sont de nature à étouffer le développement de cette mélanine », fait constater le sociologue de la débrouille et de la déviance, le Dr Bruno Montcho, avant de souligner que cela porte le stigmate de la déviance ou de quelque chose qui n’est pas normal.
L’enfant sur qui sont administrés des produits décapants, est d’une peau fine qui peut contracter certaines maladies plus tôt dans leur vie. « Il y a le retard de croissance de l’enfant. On empêche les enfants de grandir convenablement quand on leur utilise ce genre de produits. C’est un peu comme si on dimunue l’espérance de vie de ces enfants », alerte le Dr Nardège Hounkpè Mèlomè. Cependant, des complications découlent de la dépigmentation de l’enfant. « Du point de vue cutané, selon le produit, en dehors de la finesse de la peau, il y a des vergetures, la couleur de la peau qui n’est pas uniforme, c’est-à-dire la dyschromie », explique d’une voix gutturale le docteur Nardège Hounkpè Mèlomè. Ces complications sont généralement cutanées sans oublier les complications infectieuses. « Comme complications infectieuses, il y a les infections fongiques, les infections parasitaires, les infections bactériales et virales. Ça ouvre la porte à toute sorte d’infections cutanées. Mais les complications, les plus redoutables, sont les complications systémiques puisque le produit entre dans le sang. Ces produits sont toxiques », signale le Dr Nardège Hounkpè Mèlomè. Dans le futur, avertit-elle : « c’est comme s’il n’y a pas de barrières cutanées. Ça entre dans le sang et les dégâts sur les autres organes sont énormes. Il y a le diabète, la tension, l’insuffisance rénale, des complications neurologiques ». Cependant, elle postule, en termes de conseils pour l’usage des dermocosmétiques fabriqués par les laboratoires dermatologiques agréés pour bébé. Les barrières de la peau ne sont pas aussi fortes que celles de l’adulte. « Lorsqu’on met un produit sur la peau de l’enfant, s’il y a une infection, elle va s’aggraver. Si l’enfant avait de l’allergie, l’utilisation des produits cosmétiques dépigmentants va faire accroître cette allergie de la peau. Il y a également le cancer de la peau lorsque le sujet est à un âge plus avancé », fait savoir le Dr El’Mourchid Bello, médecin pédiatre, mettant ainsi un point d’honneur à la fragilité de la peau du tout-petit. Dans le rang des parents, il y a la bonne foi de certains qui ignorent les conséquences néfastes à l’endroit de leurs progénitures d’une part. D’autre part, en dépit des implications néfastes connues des parents, ils s’évertuent à surfer sur le terrain de la dépigmentation de leur enfant. Maître Fifa Marc Zinzindohoué s’adresse aux parents informés des conséquences par ces mots : « seule une thérapie profonde dans le sens de l’élévation du niveau d’éducation de la population pourra permettre d’envisager un bannissement total d’une telle pratique ».

Enock GUIDJIME

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