On croirait à un titre de livre, et pourtant ! De cette histoire de vie, on est bien excité de produire un récit livresque chatoyant, formidable aux couleurs actuelles sur cette rencontre atypique des années 1960 entre ‘’Zanmpanor’’, ce septuagénaire aux talents multiples, et les déchets de fer qui encombrent notre vie. Mais… Cette coïncidence de parcours et de vie va donner corps et forme à l’innovation et à la créativité exceptionnelle : des jouets en fer d’une autre finesse, puis des objets d’art qui comblent l’appétit de milliers de touristes.
Joseph Gbètokpè, personnage énigmatique est surnommé ‘’Zanmpanor’’. « Zanmpanor est le nom d’un acteur de film italien dans les années 1965. Il m’a été attribué par mes collègues d’arme de l’armée dahoméenne à cause de mon obstination », a confié à Educ’Action ce doyen des forgerons du marché Dantokpa, le plus grand marché du Bénin et de la sous-région. Svelte, environ 1m 80, le septuagénaire continue de faire le miracle artisanal à partir des déchets de fer, malgré le poids de l’âge.
Assis sur un petit tabouret en mousse installé à même le sol, il travaillait, ardu, dans son atelier de forge au quartier Yénanwa, à Akpakpa à l’Est de Cotonou, la capitale économique du Bénin. Fin dans ses créations et œuvres artistiques, cet artisan passionné réussit, depuis plusieurs années, à donner une seconde vie aux déchets de fer, en les transformant en jouets pour les enfants et objets d’arts pour les touristes nationaux et étrangers. Dans sa fabrique de fortune, cet ancien caporal de l’armée dahoméenne a disposé, sur des tapis en bâche, divers outils de travail qui lui permettent de nourrir sa passion. Il s’agit, entre autres, de marteaux, enclumes, pinces, burins, pointeaux, poinçons, compas, ciseaux, cisailles, étaux etc. Non loin, se trouve une métallurgie avec un feu incandescent, des fers à souder, un éteint, puis de l’acide. « Ces outils sont nécessaires pour tout forgeron, et moi, j’arrive à donner le sourire aux enfants avec les jouets que je fabrique, et du plaisir aux touristes français, allemands, américains, anglais et même chinois grâce à mes objets d’arts et œuvres artistiques qu’ils apprécient énormément», a-t-il dit, très enthousiaste de recevoir l’équipe de Educ’Action.
En effet, dans les années 1970, Joseph Gbètokpè a ouvert son atelier de forge dans l’enceinte du marché Dantokpa, d’abord sur le site Mawoulé, puis après à Gbogbanou. Avec un groupe d’amis, il crée dans le cadre du projet PNUD/BIT, ‘’Alo to Alomè’’, l’association des forgerons et ferblantiers du marché Dantokpa dont il a été le président. « Je n’ai pas demandé à être président de l’association, j’ai été carrément plébiscité par les amis forgerons et ferblantiers qui tenaient à me voir à la tête de l’association pour défendre nos intérêts à cause de ma ténacité, et valoriser davantage le métier de la forge », a-t-il confessé, très ouvert.
Depuis 2013, bientôt trois ans, il a définitivement quitté le marché Dantokpa pour s’installer chez lui à Yénanwa où il a, d’ailleurs, érigé son atelier. « En 2013, l’ancien ministre de l’environnement et de l’urbanisme, Blaise Ahanhanzo-Glèlè, a commis la police nationale pour démolir nos ateliers situés le long de la berge lagunaire du marché parce qu’il estimait mettre en œuvre un projet d’aménagement du marché afin de le rendre plus attrayant », a-t-il expliqué. Depuis ce temps jusqu’aujourd’hui, rien n’a été construit sur la berge lagunaire comme infrastructures touristiques et d’attraction, se désole le doyen des forgerons, lui qui fut également président de l’association des mécaniciens et dépanneurs du Bénin au temps de la révolution, dans les années 1972.
De son amour pour l’artisanat…
Malgré cette mutation brusque du lieu de travail et le poids de l’âge, Joseph Gbètokpè aux cheveux grisonnants n’a pas perdu ses réflexes de forgeron réputé et continue de recevoir des commandes de structures et touristes qui apprécient la qualité de ses œuvres. « J’ai actuellement une commande de fabrication de jouets et d’objets d’art divers », a-t-il déclaré, très enthousiaste, indiquant qu’il avait commencé le travail de forge à l’âge de 7ans dans l’atelier de son père, lui qui n’a pas été à l’école. Grâce aux objets de récupération, les déchets de fer, les tôles usées, les fers ronds de 6, 8, 10, 12 usagés, les conteneurs dégradés, les boîtes vides de peinture, les tuyaux frigorifiques amortis, les carrosseries des voitures pourries, les bougies d’engins en fin de cycle, les pièces de monnaies gâtées qu’il se procure au port de Cotonou, auprès des sociétés de commercialisation d’articles divers, chez de vils individus et parfois même sur les tas d’ordures, Joseph Gbètokpè fabrique des jouets tels que les avions de course, hélicoptère, voiture, vélo, éléphant, chameau, caméléon, dinosaure, requin, mouton, cheval, etc. Il fabrique également des articles utilitaires comme les bagues, lampions à quatre mèches, entonnoirs ménagers, râteau, foyers économiques à charbon et à bois, seau, arrosoir, moule à gâteau, râpe de cuisine, tamis de cuisine, cage d’oiseaux, gongs, paumelle et balance de bijoutier, castagnette, fourche, hache, couteau, mallette, ainsi que des objets décoratifs.
« Quand je récupère les déchets de fer, je procède à leur tri avant de passer à la fonte. Dès lors, je peux concevoir et donner la forme voulue à l’objet que je décide de créer », a rapidement expliqué le septuagénaire, avant d’ajouter « Chez moi, l’article le moins cher est à 1.000 Francs Cfa et le plus cher coûte 10.000 Francs Cfa. » Pour Joseph Gbètokpè, le métier de la forge nourrit bien son homme à condition qu’on s’y adonne avec abnégation. Il n’a pas occulté les difficultés liées au métier de la forge. « Il y a les blessures, la difficulté pour collecter les déchets de fer et enfin les débouchées pour vendre les articles fabriqués qui deviennent un peu rares », a-t-il insisté. « Le métier est porteur, il suffit d’être professionnel et de s’y adonner réellement », a témoigné Joseph Gbètokpè, confiant qu’il a pu construire, à partir du métier de la forge, deux maisons, une à Akpakpa à l’Est de Cotonou et une seconde à Atchoukpa, son village natal. Selon le rapport sur la contribution de l’artisanat au Produit intérieur brut (Pib) du Bénin publié en 2011, par l’Institut National de la Statistique et de l’Analyse Economique (INSAE), le secteur de l’artisanat contribue à hauteur de 11% au Produit intérieur brut (Pib) du Bénin et représenterait 51% des entreprises béninoises. Ces chiffres qui renseignent hélas sur l’état de santé comateux du secteur de l’artisanat au Bénin, n’émoussent nullement l’ardue du doyen des forgerons, lui qui a été enrôlé de force dans l’armée dahoméenne comme activiste de la Jeunesse Pionnière Dahoméenne (JPD) en 1964, alors qu’il n’avait que 16 ans. A 18 ans, a-t-il confié, il obtient le grade de caporal de l’armée dahoméenne et a servi comme forgeron au sein de l’unité des forces armées aériennes du Dahomey (Bénin). En 1968, soit quatre ans plus tard, il sort de l’armée à la suite d’un départ volontaire. « Je suis sorti de l’armée dahoméenne volontairement parce que je ne gagnais pas grand-chose, seulement 1.190 Francs Cfa comme salaire à l’époque, alors que j’avais plus d’opportunités en dehors de l’armée », a-t-il avoué à Educ’Action, précisant qu’il a enfin décidé d’ouvrir son atelier au marché en 1970. Sobre dans sa chemise Lacoste soutenue par un pantalon de couleur à paremment marron, il a invité les autorités béninoises à s’intéresser autrement au secteur de l’artisanat pour en faire un véritable levier de développement, exhortant les partenaires financiers du Bénin à y investir.
Serge David ZOUEME