Présents dans les Collèges d’Enseignement Général (CEG), les gestionnaires-comptables sont ces hommes et femmes dont les attributions, à la connaissance des profanes, se limitent au recouvrement des contributions scolaires. Pourtant, le rôle qui est le leur, dépasse bien plus ce qu’on s’imagine. Pour mieux connaître ces hommes qui se chargent de la gestion des sous et du patrimoine d’un CEG, Educ’Action, spécialiste des questions éducatives, a rencontré des comptables qui sont autrefois des hommes à la craie. Avec eux, plusieurs questions ont été abordées afin de comprendre d’une part, le processus par lequel ils sont passés de la craie à un gestionnaire de compte et d’autre part, le contenu de l’agenda d’un comptable. Bien évidemment, la question des subventions que l’Etat accorde au collège d’enseignement général n’a pas été occultée.
Autrefois enseignants de mathématiques exerçant dans les établissements publics de la place, Isaac Ismaël Hougbe et Pascaline Nounagnon sont tous aujourd’hui comptables respectivement en service aux CEG Kouhounnou-Vêdoko et CEG Zogbo. Détentrice d’une maitrise en sciences économiques, le choix des autorités s’est porté sur Pascaline Nounagnon pour gérer la comptabilité des établissements secondaires qui relève du giron de l’Etat. Ainsi, depuis dix ans, elle assure les fonctions qui sont celles d’un comptable. Ces trois dernières années, c’est le CEG Zogbo qui bénéficie de ses compétences en comptabilité. Isaac Ismaël Hougbe, quant à lui, s’est vu confier également la tâche de gestionnaire-comptable depuis bien des années à cause de son diplôme de maitrise en sciences de gestion et de son DESS en audit et contrôle de gestion. Pour se donner beaucoup plus de chance de réussir dans sa tâche, il ajoute à tous ses parchemins une formation de chef-comptable au Cenafoc. Dans un collège d’enseignement général, outre le recouvrement des contributions des élèves, quelles sont les autres rôles dévolus au comptable ? Comment arrivent-ils, ces comptables à s’installer au poste de comptable dans un Collège ? A ces questions, les deux hommes apportent des précisions sur la désignation et le contenu de la journée d’un comptable dans un CEG.
De la désignation d’un comptable dans un CEG…
« Il ne relève pas des prérogatives d’un directeur d’établissement de désigner le comptable de son collège ». A ces propos de Isaac Ismaël Hougbe, comptable au CEG Kouhounnou-Vêdoko, on comprend donc que la désignation des comptables des CEGs ne relève pas des compétences des directeurs. Sa collègue Pascaline Nounagnon du CEG Zogbo dira de façon explicite que « le comptable d’un CEG est une personne nommée par arrêté signé du ministre des Enseignements Secondaire Technique et de la Formation Professionnelle». A en croire ces spécialistes des comptes, en dehors des quelques comptables envoyés par le ministère des finances, les comptables actuellement en poste dans les CEGs sont, à l’origine, des professeurs à la craie. « Il y a quelques comptables qui sont toujours parmi nous et qui ont pris par le Ministère de l’Economie et des Finances, mais ils ne sont plus nombreux. C’est nous qui avions fait les sciences économiques et qui étions à la craie entre temps, qui faisons désormais office de comptables et nous sommes en grand nombre », a expliqué Isaac Ismaël Hougbe qui profite de l’occasion pour renseigner sur le processus qui lui a permis d’échouer à ce poste de comptable dans un CEG. « Il y a des comptables que l’Etat a recruté sur la base soit du BTS ou du Bac G2. L’autre catégorie à laquelle j’appartiens, c’est que nous étions des enseignants de mathématiques qui avions fait les sciences économiques et ayant d’autres diplômes dans le domaine de la comptabilité. Donc, ce sont ces diplômes que j’ai réunis pour demander que l’Etat m’affecte à un poste de comptable au CEG ; ce que le ministre d’alors avait étudié, apprécié et m’a accordé la place », a renseigné le comptable du CEG Kouhounnou-Vêdoko.
Aux attributions d’un gestionnaire-comptable dans un CEG …
Vêtue de sa tenue traditionnelle bohoumba (tenue locale propre au béninois) et bien installée dans son bureau devant une pile de dossiers, dans l’après-midi de ce vendredi 23 janvier 2020, Pascaline Nounagnon, de teint clair, semble être épuisée malgré ses atouts corporels dignes des femmes combattantes de Dahomey. Ceci à cause de tout le travail abattu depuis le matin. Pourtant, bien qu’elle ait droit au repos après 12heures comme tous fonctionnaires de l’Etat, elle ne put s’empêcher de continuer son travail après le départ des élèves. « Le rôle du comptable dans un établissement est dense. Quand je prends une journée d’un comptable dans un établissement par exemple, surtout en période de recouvrement, c’est un travail énorme que le comptable abat parce qu’il faut recevoir la contribution des élèves, faire le reçu à tous ceux qui se seraient présentés », a commencé à expliquer Pascaline Nounagnon. Son collègue Isaac Ismaël Hougbe, rencontré un peu plus tôt dans la journée du jeudi 16 Janvier 2020, renseigne que « lorsque le gestionnaire-comptable se rend au CEG, il y a des opérations à effectuer, c’est-à-dire les opérations de recettes et de dépenses », a fait savoir le gestionnaire de compte du CEG Kouhounnou-Vêdoko avant de faire la lumière sur les types de recettes. « Parlant des recettes dans les CEGs, elles se composent des droits de scolarité ; les frais de cartes d’identité scolaires ; des livrets scolaires (qui, une fois établis pour un élève de la classe de 6ème est valable jusqu’en Terminale pour l’élève qui poursuit les cours dans ce même CEG) ; les droits de place des vendeuses ; les certificats de scolarité ; les attestations de scolarité», a détaillé Isaac Ismaël Hougbe. Se référant au propos de ces deux comptables, il ressort de leurs explications que le comptable est obligé de faire le point des recettes à verser de façon journalière dans leurs comptes respectifs à la banque. Le comptable, informe Pascaline Nounagnon, fait toutes les opérations ainsi que les reçus en sa possession et à la fin d’une journée, il doit aller faire le versement à la banque avant sa fermeture. Du retour de la banque, il doit pouvoir enregistrer toute nature de recettes, que ce soient contribution ou autres dans le livre de trésorerie. S’il y a eu des dépenses dans la journée, il doit aussi l’enregistrer ; enregistrer également le versement qui a été fait dans le livre de banque, s’il y a eu décaissement, il doit aussi l’enregistrer. Même son de cloche chez Isaac Ismaël Hougbe qui ajoute que « nous avons aussi le livre journal qui nous permet de suivre les mouvements du trésor et de la caisse puisque j’ai une caisse de menu dépenses pour les petites dépenses courantes inférieures ou égales à 10.000francs CFA ». Pour les dépenses qui doivent être effectuées ou quelconque décaissement, les deux comptables renseignent qu’il est obligatoire d’en informer le directeur d’établissement qui est le premier signataire. « Pour décaisser les sous, il n’y a que l’ordonnateur pour signer et c’est le directeur lui et lui seul. L’Etat lui a conféré ce pouvoir, il vérifie d’abord dans le budget si la dépense est éligible, est-ce qu’elle est prévue ; dans le chapitre combien on a consommé et combien il reste, est-ce qu’il y a possibilité d’effectuer une telle dépense », a détaillé le comptable Isaac Ismaël Hougbe. Si dans son collège, le directeur est le seul signataire, ce n’est pas le cas au CEG Zogbo. « Pour le décaissement, c’est le directeur et le comptable qui sont signataires des chèques », a nuancé la comptable du CEG Zogbo. En nous situant sur les frais de scolarité dans le secondaire public, Isaac Ismaël Hougbe explique que ces frais varient d’un élève à un autre.
Quid des droits de scolarité payés par les élèves du Secondaire
Habillée d’un Lacoste bleu nuit assorti d’un jean noir, Isaac Ismaël Hougbe surpris en plein recouvrement des contributions scolaires ne s’est pas fait prier pour nous renseigner sur les frais de scolarité payés par les élèves dans les collèges publics dans notre pays. « Les droits de scolarité des garçons de la sixième en terminale sont de 15.000 francs CFA. Quant aux filles, celles de la classe de 6ème en 3ème ne paient rien. Ce sont les filles de la seconde en terminale qui paient 15.000francs comme les garçons. En ce qui concerne les élèves étrangers, selon les textes, quel que soit leur sexe, ils paient au premier cycle 100.000francs CFA et au second cycle, 150.000francs CFA », a-t-il fait comprendre tout en faisant observer que « les élèves étrangers peinent à concevoir cette décision, mais nous leur donnons copie des textes qui exigent cela et c’est souvent difficile pour eux de solder ce montant jusqu’à la fin de l’année». En dehors des recettes perçues par les établissements et rappelées un peu plus haut, l’autre recette importante est la subvention que l’Etat accorde aux filles de la classe de 6ème en 3ème.
Les premières parties des subventions libérées depuis Octobre 2019 …
Si les directeurs des écoles primaires peinent à entrer en possession des subventions pour le compte de cette année scolaire 2019-2020, il n’en est pas de même pour le Secondaire. Le Ministère des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle s’est précipité pour pourvoir les caisses des établissements secondaires en une partie dès le début de la rentrée scolaire. Du moins, c’est ce que nous confirment les deux hommes rencontrés dans le cadre de ce travail. « En ce qui concerne les subventions, l’Etat a affecté à chaque collège public, une somme correspondant à environ le quart de ce qui est prévu au budget. L’Etat paie en fonction du nombre de filles au premier cycle », a déclaré serein, le comptable du CEG Kouhounnou-Vêdoko. En prenant exemple sur son collège, il témoigne que sur le budget prévisionnel de 15.690.000francs CFA établi, l’Etat a libéré en octobre 2019, une première part qui est de 3.442.131francs CFA. Il en est de même pour le CEG Zogbo qui a reçu, pour une première partie, selon les propos de Pascaline Nounagnon, un montant de 4.335.730francs CFA sur une prévision de 19.575.000francs CFA pour cette année en cours. Le reste est attendu pour les prochains jours, informe-t-elle. Conscients que l’Etat ne paie jamais la totalité des subventions en une année, Pascaline Nounagnon certifie quand même que l’Etat solde au moins 80%. Pour preuve, « l’année passée, nous avons eu plus de 80% des subventions au CEG Zogbo », témoigne-t-elle. Comme tout métier, l’exercice de la fonction de comptable dans un établissement secondaire d’enseignement public n’est pas sans risques.
Des conditions de travail des comptables …
« Les difficultés que nous rencontrons sont énormes et les risques aussi parce que notre responsabilité pécuniaire est engagée. C’est le comptable qui touche l’argent, c’est lui qui règle tous les problèmes liés à l’argent. C’est le même comptable qui gère les matériels et tout. Lorsqu’il y a perte, le comptable est seul à répondre de ses actes. En plus de tous ces travaux, il y a le stress. C’est de gros risques que nous prenons », a laissé entendre Pascaline Nounagnon qui se fait appuyer par son collègue du CEG Kouhounou-Vêdoko sur un autre aspect des risques. « Les conditions ne suivent pas trop parce que le gestionnaire-comptable a beaucoup à faire. En dehors de ses heures qui passent au-delà de 20heures dans le collège, il doit travailler les week-ends, soit il vient travailler dans l’établissement soit il envoie les documents à la maison pour travailler s’il a un véhicule. Le comptable se déplace presque tous les jours pour aller au trésor, aux impôts, à la CNSS pour les déclarations, à la direction départementale », a renchéri Isaac Ismaël Hougbe. Face à ces risques, Pascaline Nounagnon, comptable-gestionnaire au CEG Zogbo et Isaac Ismaël Hougbe comptable-gestionnaire au CEG Kouhounnou-Vêdoko n’ont pas manqué de formuler à leur autorité de tutelle, des demandes.
Des doléances à l’endroit des autorités administratives …
Les doléances de ces spécialistes des comptes varient d’une personne à une autre mais se complètent. « La prime de caisse que l’Etat nous octroie est un peu dérisoire ainsi que la prime de déplacement. Donc si l’Etat peut voir dedans, ce serait très bien pour améliorer un tant soit peu notre condition de travail », a souhaité le comptable du CEG Kouhounnou-Vêdoko. Quant à Pascaline Nounagnon, face à toutes les tâches qui incombent au comptable, un adjoint l’aiderait à mieux faire son travail. « Si on doit demander de l’aide au gouvernement, on pourrait demander qu’on puisse avoir aussi comme les censeurs, un adjoint qui pourra nous aider dans certaines tâches parce que le comptable gère beaucoup de choses. Tout ce qui est gestion dans l’établissement, c’est le comptable. Si on peut nous donner des adjoints pour gérer un volet dans nos multiples et variées attributions, cela nous soulagerait», a-t-elle conclu.
Estelle DJIGRI