La performance est le premier mot qui caractérise le secteur privé de l’enseignement. Avec leurs résultats, qu’ils soient confessionnels ou non confessionnels, les établissements privés contribuent, dans une large mesure, au bien-être du système éducatif béninois. Aux premiers jours de la rentrée, Darius Awohouédji, le président de leur faîtière dénommée ‘‘patronat des établissements scolaires privés’’, association qui regroupe les fondateurs des établissements scolaires privés de la maternelle, du primaire et du secondaire général, technique et professionnel, fait le point de l’état de cette association. Au passage, il se prononce aussi sur l’état du système éducatif au Bénin, en pointant du doigt les défis à relever. Entretien !
Educ’Action : Comment se portent les établissements privés ?
Darius Awohouedji : Les établissements privés du Bénin se portent bien et mal, à la fois. Bien parce qu’au niveau du privé, nous avons des obligations de résultats. Beaucoup d’établissements ont bien commencé la rentrée. Si j’ai dit mal, c’est parce qu’en réalité, les effectifs connaissent des fluctuations d’une année à l’autre. Généralement, à cause des difficultés financières des parents, nous constatons que les effectifs se stabilisent ou baissent. En plus de cela, il y a de nouvelles écoles qui sont créées. Quand ces établissements viennent sur le marché avec la faible démographie par rapport aux années antérieures, nous constatons que le rythme d’implantation de nouvelles écoles n’est pas au rythme de l’évolution démographique. L’arrivée des nouvelles écoles et de nouveaux collèges, qui partagent la même demande sur le même territoire, influence un peu les effectifs dans les écoles et collèges qui existaient. Cependant, d’une année à l’autre, il y a des écoles qui connaissent des évolutions positives en effectif. Au même moment, d’autres connaissent une stabilité ou une régression de leurs effectifs. Il y a des collèges qui ont fermé à la rentrée, faute d’effectif.
Quel regard les acteurs du privé portent-ils sur l’état du système éducatif ?
En 2021, il y a beaucoup de perspectives qui s’offrent car il y a de nombreuses réformes en vue. Il y a deux (02) ou trois (03) ans, on avait des inquiétudes par rapport à l’état de notre système éducatif. Le niveau des apprenants baisse, du primaire à l’université. Cette baisse n’est pas spécifique au Bénin. C’est un constat mondial. Ainsi, le Conseil National de l’Education a été mis en place afin d’œuvrer à la qualité du système éducatif. Il y a aussi des réformes en cours dans l’enseignement du français et de la mathématique. A partir de cette rentrée, au niveau du CI, nous sommes en train de revenir à la lecture syllabique. Ce qui n’était pas accepté auparavant. En plus de la qualité, les réformes visent à faire en sorte que nos écoles et collèges ne soient pas des endroits où on forme des gens qui ne peuvent pas servir sur le marché. L’enseignement technique et la formation professionnelle sont envisagés de sorte que d’ici à 2030, on formerait plus de 70% de nos enseignants et de nos apprenants. Ainsi en sortant du collège, ils pourront intégrer la vie active. Ce sont des perspectives mais dans la réalité, nous allons voir ce que cela va donner.
Quelle est la place des établissements privés dans cette vague de réformes ?
Nous sommes en train de faire des propositions. Nous avons dans les collèges privés, des salles qui sont vides d’apprenants. Alors que dans le public, il y a encore un effectif pléthorique dans les écoles et collèges jusqu’au point où avec la pénurie d’enseignants, l’État est obligé de faire recours aux Aspirants au Métier d’Enseignant (AME). Au moment où nous, nous avons des salles, des infrastructures qui sont sous-employées, l’Etat aurait pu voir dans quelle mesure envoyer le surplus d’apprenants dans les écoles et collèges privés et avoir un œil sur la qualité des enseignements qui y sont dispensés. Cela aurait pu améliorer ce qui se passe aujourd’hui. Du point de vue de l’enseignement technique et la formation professionnelle, l’État veut renverser la tendance par rapport à l’enseignement général. Pour y arriver, si l’État ne met pas à contribution les collèges privés, cela poserait un problème. L’État investit énormément dans le système éducatif en mettant beaucoup plus l’accent sur l’implantation des infrastructures dans les lycées et collèges publics. Pour nous qui sommes du secteur privé et qui avons déjà investi dans les infrastructures, nous demandons à l’État de s’appuyer sur nous pour atteindre cet objectif. Mais si l’État voit autrement, nous ne pourrons rien. C’est l’État qui a la vision de sa stratégie.
Comment pourrait fonctionner ce partenariat public-privé ?
Si l’État envoie le surplus de cette pléthore d’apprenants dans le privé, cela peut permettre à l’État de régler les problèmes. Dans le public, un apprenant a un coût de revient à l’État. L’État paie les enseignants, met en place les infrastructures, supporte le fonctionnement des établissements publics, etc. Si l’État envoyait le surplus d’apprenants dans le privé avec le coût que chaque apprenant lui revenait, les parents pourraient compléter ou pas. Cela peut régler beaucoup de problèmes. Le coût d’un apprenant dans le public est parfois supérieur à ce que prennent certains établissements privés. Il pourrait avoir un contrat de partenariat spécifique entre le privé et l’État. Certains privés n’en voudraient pas, mais ceux qui en voudraient, avec les conditions qui seraient définies, pourraient accepter le surplus de ces apprenants-là.
Dans cette option, nous signons des contrats avec l’enseignant pour des durées bien déterminées et des tâches bien définies. L’enseignant qui n’arrive pas à accomplir les tâches contractuelles peut être renvoyé par le privé. Mais s’il vient avec le couvert de l’État, il peut se prévaloir de cette tutelle et ne pas répondre au contrat qui est fixé dans l’école. Si l’État envoie l’apprenant en versant son coût de revient, et que ce coût est inférieur à ce que prenait le collège en question, le collège peut demander un complément aux parents. Mais si ce coût de revient est supérieur à ce que prend le collège, cela arrange l’État. Lorsque ce principe serait convenu, il y aura des échanges pour qu’on connaisse les termes, les modalités de ce partenariat public-privé. Les idées sont avancées et les discussions sont à des niveaux donnés.
Quels sont les défis du système éducatif aujourd’hui, pour vous acteurs du secteur privé ?
Des stratégies sont en train d’être élaborées et il faut de la volonté politique pour y arriver. Nous sommes tous concernés et il faut un travail commun pour atteindre les objectifs. A notre niveau, il s’agit de voir qu’est-ce qu’on fait pour accompagner l’État. Actuellement, nous nous battons sur la question de la fiscalité des écoles privées. Sur ce point, il n’y a pas encore d’entente entre nous et l’État,
car on estime que toute personne qui exerce une activité économique doit payer des impôts. Nous ne refusons pas de payer des impôts, cependant quel type d’impôt payer ! C’est là que le problème se pose aujourd’hui. J’estime que d’ici là, nous allons nous entendre par rapport à cela. Sinon, autrement, si l’État veut quelque chose et adopte des comportements contraires à ce qu’il veut, l’objectif ne sera pas atteint. Si les écoles privées, avec les résultats et la performance qu’on leur connaît, ont des difficultés de fonctionnement à cause des stratégies mises en place par l’État, elles vont fermer comme cela a été le cas lors de la Révolution.
Propos recueillis par Adjéi Kponon