Gérer une université n’est pas une sinécure. Pour y arriver, l’histoire académique a développé divers outils de gouvernance au nombre desquels le règlement pédagogique. Si une certaine accalmie demeure encore dans les universités du Bénin, cet instrument peut aussi servir à la prévention des crises à répétition si son contenu est connu et vulgarisé auprès des différents acteurs en présence dans les établissements d’enseignement supérieur. Enquête sur la place stratégique de ce document soigneusement gardé dans les tiroirs.
05 juillet 2019, Khaled Adénon et ses coéquipiers, joueurs de l’équipe nationale de football, viennent de qualifier le Bénin pour les quarts de finale de la Coupe d’Afrique des Nations 2019 sur la terre des Pharaons. Le pays tout entier est en liesse. Le campus universitaire d’Abomey-Calavi ne déroge pas à la joie populaire malgré l’heure avancée de la nuit. Justement, dans cette nuit, les étudiants, torses nus, vêtements à la main, crient leur joie, aux côtés des agents de la Police Républicaine et leur fameux véhicule anti-émeute. Même s’ils ne peuvent retirer leur tenue de service, les policiers jubilent discrètement aux côtés des étudiants dans cette « grande maison » qui leur est généralement hostile. La paix des braves, pour une fois ! En effet, cela n’a pas toujours été le cas. Généralement, le face-à-face étudiants-policiers a toujours été une occasion d’échanges de jets de pierres contre des coups de matraque et arrosage forcé. Les causes de ces manifestations impliquent parfois la gouvernance même des entités universitaires. Ainsi, le règlement pédagogique qui est censé régir la vie des entités, se retrouve fouler aux pieds par les différents acteurs de la maison université, notamment les étudiants, pour la simple raison qu’ils n’en ont pas nécessairement connaissance. Rencontré dans le jardin de l’Université d’Abomey-Calavi, Epanette Tonoukouin, étudiante en 2ième année de Physique-Chimie à la FAST, s’est voulue franche : « Je ne sais pas ce que c’est que le règlement pédagogique. J’en ai entendu parler mais je ne sais pas ce qu’il en est de mon entité ». Comme lui, de nombreux étudiants rencontrés dans le même jardin affirment ne pas connaître le document, ni son contenu même si certains admettent en avoir déjà entendu parler. Contrairement à eux, Issa Ismaël, étudiant en 3ième année d’Analyse Biomédicale à l’EPAC, associe bien ces mots à un contenu. Pour lui, « un règlement pédagogique, c’est l’ensemble des règles qui ont été mises en place de commun accord avec les représentants des étudiants et l’administration. Ce sont les règles que les étudiants doivent respecter. Ces règles, quand on les viole, il y a des sanctions. Je ne sais pas tout ce qu’il y a dans le règlement de l’EPAC, mais je connais certaines dispositions qui sont habituelles. Par exemple, il y a le respect de la tenue du jour, le retard et l’absence aux cours. A l’EPAC, c’est en première année qu’on nous a parlé du règlement pédagogique ». Rebelote sur la question avec Olympass Rodolpho Vignon Dah-Kindji, ancien président de l’UNSEB-UAC. Entre les deux extrêmes, Rodolpho précise qu’il en entend parler, mais a une idée confuse de celui de l’ex FLASH. Voilà qui est dit, toutefois, revenons sur ce qu’est le règlement pédagogique.
Règlement pédagogique, le gardien du temple
Selon le Professeur Antoine Viannou, Vice-recteur honoraire de l’Université d’Abomey-Calavi, « le règlement pédagogique, c’est le document qui décrit comment les formations, les enseignements et les évaluations sont organisés. Il précise les organes pédagogiques et régit la vie de l’établissement ». Rencontré dans son bureau à l’Ecole doctorale des sciences de l’ingénieur de l’EPAC dont il est le directeur, l’ancien vice-recteur Souaïbou Farougou fait savoir qu’il a été la cheville ouvrière de la rédaction de nombreux règlements pédagogiques des établissements de l’UAC. Son successeur, le Professeur Marcel Zannou, 1er Vice-recteur chargé des affaires académiques de l’UAC, abonde dans le même sens et va plus loin. « Dans ce règlement pédagogique, on présente les organes de l’établissement qui sont impliqués dans la pédagogie. Il y est aussi précisé l’organisation des formations suivant les grades LMD. On précise les conditions d’accès, l’organisation des cours, les conditions d’évaluation, le déroulement des examens, les conditions d’obtention et de délivrance des diplômes, de même que les sanctions disciplinaires », détaille le 1ier Vice-recteur, Professeur Marcel Zannou. Enseignant-chercheur en sciences de l’éducation et spécialiste de la pédagogie universitaire qu’il enseigne au Département des Sciences de l’Education et de la Formation (DSEF) de l’UAC, le docteur Patrick Houessou, quant à lui, aborde l’aspect relationnel du précieux document comme si cela préfigurait les récents scandales sexuels de la Doctrine qui ont obligé l’actuel Recteur, le Professeur Maxime da Cruz, à prendre des mesures pour mettre fin à la pratique. « Le règlement pédagogique va au-delà du relationnel pédagogique, c’est-à-dire que cela règle aussi bien le rapport que l’enseignant doit avoir avec l’enseigné en situation de classe, mais aussi le rapport que le volet administratif doit avoir avec les étudiants aussi. Les enseignants doivent avoir des comportements donnés avec les étudiants en classe et hors de la classe. L’enseignant, l’étudiant et l’administration doivent le connaître parce que sa mise en œuvre concerne tout le monde », a-t-il martelé avant de faire une nuance sur les différentes formes du document en ce sens que certains sont exempts du volet disciplinaire, mais d’autres l’intègrent en même temps. Ainsi, certaines structures élaborent à la fois le règlement intérieur et le règlement pédagogique. S’il est vrai que ce document, vu son importance, sert de boussole à tout le monde, la question qui se pose est de savoir qui le conçoit ? Rappelez-vous la réponse de Issa Ismaël de l’EPAC : « Un règlement pédagogique, c’est l’ensemble des règles qui ont été mises en place de commun accord entre les représentants des étudiants et l’administration ». Faux ! Répond Marcel Zannou, le 1ier Vice-recteur dans un langage clair et formel : « Sa rédaction incombe aux promoteurs des offres de formation, c’est-à-dire les établissements. C’est en fonction de l’offre de formation qu’on rédige le règlement pédagogique. C’est au cours de la mise en œuvre, lorsqu’on est confronté à des difficultés qu’on peut associer les étudiants qui sont déjà dans le système afin de recueillir leurs suggestions. Mais à l’origine, on ne peut pas demander à un apprenant de rédiger un règlement pédagogique ». A cette étape-ci, plusieurs questions se posent. Qu’y a-t-il de cacher là-dedans à part ce qu’on voudrait bien montrer ? Serait-ce un instrument de pression en cas de problème ? Bref, que comprendre de la non-vulgarisation et de la non-appropriation du document par les étudiants ?
Un « fétiche » à l’Université ?
Les impressions des uns et des autres, notamment des étudiants, laissent croire que le règlement pédagogique est un fétiche dont le rituel est strictement réservé aux seuls initiés, enseignants et responsables académiques. A la question de savoir si le règlement pédagogique ne serait-il pas un document caché, la réponse de l’ancien président de la FNEB, Alimi Gounou, rencontré à l’occasion de la rentrée solennelle 2018 de l’UAC, est sans fard : « Le règlement pédagogique pour ma part n’est pas accessible aux étudiants ». Poursuivant dans ses explications, il relate son expérience malheureuse en la matière. « Je me rappelle que j’avais mené une démarche au niveau de la FADESP, il y a quelques années, mais je n’avais pas pu l’avoir. Alors que c’est normalement un document qui devait être à la portée de tous les acteurs afin qu’ils sachent le rôle qu’ils doivent jouer dans leur entité ». Partageant l’avis de son camarade responsable d’étudiants, Rodolpho justifie la méconnaissance du document par les siens en indiquant qu’« à priori, on pourrait mettre cela sous le coup de l’ignorance, mais en réalité, il faut que les autorités universitaires travaillent à obliger l’étudiant dès son inscription à prendre connaissance du règlement de son entité ». Expliquant ce manque d’information des apprenants, le professeur Marcel Zannou révèle d’abord que « c’est ce qui choque les étudiants qu’ils disent, mais ils oublient facilement ce qui leur a été donné comme information et qui n’a pas un caractère de sanction. Ils sont informés des règles à respecter dès le début ». Ensuite, il fait savoir que le rectorat a toujours recommandé la vulgarisation du document en début d’année académique, mais cela n’est pas régulièrement le cas. Pointant du doigt les effets collatéraux de la mise en place du système LMD, il poursuit indiquant que « puisqu’on a mis en place le système LMD, les offres de formation doivent être révisées. Depuis 2010, ce processus est en cours et une révision des offres de formation appelle à une révision du règlement pédagogique ». Le docteur Houéssou, quant à lui, n’y va pas du dos de la cuillère. Selon lui, la méconnaissance du document est imputable à une mauvaise communication des autorités académiques à tous les niveaux alors que c’est un droit pour l’étudiant d’en connaître le contenu qui est ignoré parfois même des enseignants. « C’est un droit pour l’étudiant d’être informé de cela. Même les enseignants ne sont pas informés du règlement pédagogique alors que tout cela participe à mettre l’enseignant et l’étudiant à l’aise à l’université ». Tout en épousant les avis des deux enseignants sur le LMD et le manque de communication, le Professeur Viannou pointe du doigt certains aspects du contenu comme l’inscription en thèse. « Un exemple, j’ai entendu dire que pour aller au doctorat, il faut avoir 14 de moyenne. C’est une aberration, car cela n’existe pas dans le LMD. Il n’y a même pas de moyenne dans le LMD. A la rigueur, il peut avoir une moyenne dans le cours que j’enseigne, mais il ne peut pas avoir de moyenne entre mon cours et le cours d’un autre. Tout cela doit être contenu dans le règlement pédagogique ». Cela révèle donc la sensibilité du document et la pertinence de son contenu pour la gestion de la vie académique. Cela dit, ce mieux-être académique peut être aussi objet de tribulations.
Des conséquences de la non-vulgarisation du règlement pédagogique
Les explications du directeur adjoint de l’EPAC, le docteur Clément Ahouannou, éclaire mieux sur les conséquences de la méconnaissance du règlement pédagogique. « Les conséquences sont énormes. Si vous êtes dans un système et que les règles du jeu qui sont établies ne sont pas mises à la portée de tout le monde à la base, il sera difficile de pouvoir appliquer ces règles-là », avoue le docteur et ingénieur.
Le règlement pédagogique, un instrument de prévention des crises
Rappelez-vous en 2016, c’est par la décision rectorale N°070-16/UAC/SG/VR-AARU/SA portant sanctions disciplinaires infligées à des étudiants de l’ex Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines (FLASH) de l’UAC, que Brice Sinsin, le Recteur, a entériné l’exclusion pour cinq (05) ans de vingt-un (21) étudiants. Cette décision fait suite aux manifestations de boycott des compositions à l’ex FLASH, les 25 juin et 04 juillet 2016, ayant conduit à la marche réprimée du 26 juillet 2016. Les vingt-un (21) étudiants sont reconnus coupables de faits de boycott de la composition, d’incitation au boycott de la composition, d’instauration d’un climat de trouble en salles d’examens, de violence préméditée et d’incitation à la violence, au terrorisme et aux agressions caractérisées. « Si nous avions connaissance du règlement pédagogique de la FLASH en ce temps, on aurait pu faire les choses autrement », souligne Alimi Gounou, ancien président FNEB avec conviction dans cet amphi B-750 où se tient cet entretien sous le regard de l’un de ses collaborateurs, posté à l’entrée du bâtiment vide. En effet, s’il y a un point sur lequel tous ont été d’accord, c’est la capacité du règlement pédagogique à prévenir les conflits. D’abord, Rodolpho Dah-Kindji : « Le règlement pédagogique est le premier outil de prévention des crises dans nos universités si seulement il est adopté de façon consensuelle par les acteurs du milieu et divulgué par la suite ». Ensuite, Antoine Viannou : « Chaque étudiant et chaque enseignant qui doit démarrer une nouvelle année doit commencer par le règlement pédagogique afin que chaque enseignant, en fonction de sa disponibilité, ne puisse changer les règles du jeu comme il veut. Il faut dire à tous les règles sur lesquelles nous allons travailler. C’est cela aussi qui a fait que l’université a connu d’autres crises sous prétexte que les gens sont trop nombreux et ils ne peuvent pas corriger les copies ». De son côté, le 1ier Vice-recteur admet la contribution évidente du document à prévenir les conflits. « Puisque lorsque vous êtes informé des règles dans la formation dans laquelle vous êtes, chacun joue sa partition », dira-t-il. Patrick Houéssou aussi abonde dans le même sens. « Oui, parfaitement », s’exclame-t-il avant de marteler la nature évolutive du document qui doit être régulièrement revu. « Un règlement pédagogique s’améliore chaque année en fonction des nouvelles situations qui se créent. C’est en cela que même l’existence d’un règlement pédagogique n’empêche pas après que de nouveaux comportements ne soient régis par lui. On ne peut pas prétexter de ce que quelque chose n’est pas dans le règlement pédagogique pour ne pas être sanctionné. Au-delà de ce règlement, il y a aussi des lois et des règles qui nous régissent », indique-t-il, indexant certains comportements qui se développent à l’UAC comme le proxénétisme. Comme quoi, nul n’est donc censé ignoré la loi. Tout compte fait, « les règlements pédagogiques ont été établis. Malheureusement, les chefs d’établissements n’ont pas diffusé et n’ont pas échangé avec leurs collègues enseignants sur le contenu de ces documents. Cela fait que les étudiants n’ont pas du tout été au courant de ces règlements. Ils doivent être sortis des tiroirs et époussetés, s’il le faut », conseille le professeur Viannou. Si le règlement pédagogique est un instrument de gouvernance de la vie des entités de formation, de quel instrument disposent les étudiants pour s’enquérir des formations qu’ils suivent à l’heure du LMD ? En maitrisent-ils les contours et les débouchés ? Le débat reste ouvert !
Adjéi KPONON