L’école béninoise déjà hémiplégique et grabataire, doit désormais faire face à une recrudescence de violences allant des injures aux coups et blessures volontaires avec l’usage de plus en plus répandu d’armes blanches et à feu. Une situation préoccupante qui laisse des séquelles indélébiles chez certains apprenants et parfois les conduit de vie à trépas. A travers le dossier de cette semaine, Educ’Action se propose de vous montrer comment les couteaux, les armes à feu, les bagarres se partagent le quotidien des élèves et étudiants. Voici une enquête sur l’une des faces ténébreuses de l’école béninoise…
3 Mars 2015. 18H30. le soleil avait presqu’achevé sa journée. L’obscurité s’épaississait. Une foule de curieux entourait un jeune homme qui gisait dans une marre de sang. Il était éventré, les intestins dehors. La scène se passait à quelques encablures du Collège d’Enseignement Général Entente sis à Agla, une banlieue de Cotonou réputée comme un bastillon des bandits. La bagarre opposait deux anciens élèves du CEG, Appolinaire et Ebenezer, le premier ayant abandonné les cours et devenu chauffeur, le second étant un élève vacataire qui s’absentait à son aise. Selon le surveillant général de cet établissement, Gounbada Vincent, « les bagarres à la sortie des classes sont fréquentes au CEG l’Entente. Ebenezer, le principal acteur de la bagarre du 3 mars n’était pas à son premier coup. Il avait déjà battu un de ses camarades jusqu’à envoyer sa tête dans les caniveaux », a confié le SG avant de poursuivre : « ici, vous ne pouvez pas faire des reproches aux élèves sans être inquiété, notamment les filles. Dès la sortie, les bandits viennent vous menacer ouvertement. S’il arrive que vous prenez des téléphones portables chez les élèves insoumis ou que vous réprimandez des filles ayant enfreint au règlement en mettant des mèches, alors pour rentrer chez vous, vous réfléchissez par trois fois ! Ce que je vis ici est inimaginable ! On ne dirait pas une école» Et comme pour renchérir ces propos, le Directeur du CEG l’Entente déclare : « à partir de 19h, les bandits viennent attendre les filles à la sortie. Ils rôdent autour de l’école et rien qu’à les voir, vous frémissez de peur. Nous sommes dans une zone très dangereuse. Nous ne sommes pas en sécurité. » Mais que s’est-il passé exactement pour que Ebenezer et Appolinaire en viennent aux mains ?
Les faits…
C’est à la Compagnie de Gendarmerie d’Agla que nous nous sommes finalement rendus pour glaner quelques informations plus fiables. Pour la Chef de cette brigarde, en charge de l’enquête, il s’agit d’une affaire de portable. « Tchidi Appolinaire aurait offert un portable à sa dulcinée Zita Sèdégan aussi élève au CEG l’entente. Ebenezer dont elle aurait rejeté les avances, lui aurait arraché le portable. C’est ce qui a poussé Tchidi Appolinaire à se rendre dans l’établissement pour reprendre le portable de sa protégée, en classe de 3ème ! La bagarre a donc éclaté et Tchidi Appolinaire gravement blessé, a été transporté dans un premier temps à Anasthasia, un hôpital du coin qui s’est déclaré incompétent. Reçu à l’hôpital de zone de Mênontin, il n’a pu recevoir des soins avant d’être évacué sur le CNHU où il rendit l’âme. » Aux dernières nouvelles, le principal accusé a été placé sous mandat de dépôt. Nous en étions à constater cette violence barbare lorsqu’ au Complexe Scolaire « Nouvelle Jérusalem » de Womey, une nouvelle affaire surgit.
Une élève en classe de 3ème détruit l’œil de sa camarade avec une lame !
Camarades de classe depuis l’entame de cette rentrée scolaire, Raïssa âgée de 18 ans s’est séparée de son amie intime Grâce, âgée de 20 ans le lundi 9 mars dernier sous prétexte de comportements mauvais développés par cette dernière. Une séparation brusque qui n’a pas été du goût de Grâce et qui a engendré une bagarre entre les deux amies le mercredi 11 mars dans leur collège. Au sortir de cette bagarre, l’élève Raïssa a laissé une petite blessure au visage de sa camarade. Après l’intervention de quelques enseignants, le calme est revenu entre les deux camarades. Mais pour l’élève Grâce ce n’était pas encore la fin. Pour corriger cet affront, la victime a décidé de se venger. Ainsi, elle s’est rendue au domicile de sa camarade le vendredi 13 mars pour commettre son crime. Témoin de la scène, Fleurette Daga, la propriétaire de la maison raconte : « J’étais à la maison quand j’ai entendu des bruits venant de mon portail. Dans les échanges, on disait à la fille qu’elle n’avait pas le droit de rentrer dans la maison dans cet état. Brusquement elle a ouvert le portail et s’est introduite dans ma maison sous une colère qui se remarquait sur son visage. Quand je l’ai interrogée, elle s’est mise ensuite à m’expliquer comment sa camarade l’a blessée au visage. C’était une petite blessure au niveau d’une oreille. Donc j’ai pris du parfum pour la soigner. A peine m’a-t-elle quittée, qu’elle s’est introduite dans la chambre de sa camarade à qui elle a aussitôt déchiré le visage avec une lame en partant de l’œil gauche jusqu’au sein.» Revenue des soins, nous avons rencontré la victime qui explique les faits : « Elle est venue me voir dans ma chambre à la maison et m’a dit qu’elle veut m’expliquer quelque chose. En s’approchant de moi, elle a pris une lame et m’a déchiré le visage du haut jusqu’en bas. C’est ainsi que j’ai perdu connaissance et fut conduite à l’hôpital de Mènontin.» Après une intervention chirurgicale, la victime a été prise en charge par l’ophtalmologue Géraud Toho qui nous a déclaré que son pronostic visuel n’est pas atteint. Seulement, elle risque d’avoir les yeux larmoyants de façon chronique. Actuellement, elle suit un traitement de six mois. Les deux parties se sont ensuite retrouvées au tribunal de Calavi le lundi 11 mai dernier vers 16h. A l’issue du verdict, Grâce a été condamnée à deux ans d’emprisonnement ferme. Elle doit rembourser également toutes les dépenses financières liées aux soins de la victime. Une facture lui sera adressée par la victime Raïssa après guérison. Si Raïssa devra attendra six mois pour être fixée sur son sort, Marlène, elle, doit sa vie sauve au dynamisme des étudiants de l’UAC.
Marlène presqu’égorgée sur le campus d’Abomey-calavi
Marlène étudiante à l’Université d’Abomey-calavi, 22 ans, est en 3ème année de Comptabilité-Gestion des Entreprises à l’ENEAM pour cette rentrée universitaire 2015. Elle est la fille du 2ème adjoint au Maire de Glazoué. Enceintée depuis 5 mois par son copain Akodogbo Brice, 24 ans, étudiant en 5ème année de Génie-civil à l’Epac, elle ne pouvait jamais imaginer un instant que le père de son futur poupon allait se transformer en boucher pour tenter de l’égorger. Ayant refusé d’avorter comme l’a souhaité Brice, elle a subi les frasques de son refus. Bill Souleymane Kinhinouho, président du Bureau Exécutif du FNEB, raconte : « l’étudiant Brice a conduit sa copine au niveau du Bâtiment A BID de l’UAC et à l’aide d’un couteau s’est mis à l’égorger après avoir échoué de l’empoisonner au yaourt. Lorsque la fille s’est mise à crier au secours, nos éléments qu’on appelle Etats Majors, qui assuraient la patrouille du campus ce soir-là se sont portés sur les lieux et ont maîtrisé le tueur qui a failli être lynché parce que c’était inadmissible ce qu’il tentait de faire. Mais puisque nous contrôlons notre troupe, nous avons passé les consignes pour qu’il soit remis à la brigade de recherche de Calavi. » Le président Bill Souleymane Kinhinouho ajoute : « je dois remercier l’équipe rectorale parce que c’est grâce à l’appui du chef de sécurité du rectorat que nous avons remis le gars aux forces de l’ordre. Le SG du rectorat est allé le lendemain à l’hôpital. Je pense que les autorités rectorales ont pris le problème au sérieux ». Interrogé, le papa de la fille n’a pas caché sa surprise : « au moment où la scène se passait et qu’on m’a appelé pour m’informer, j’étais à Glazoué et vu la distance, j’ai tout de suite composé le numéro de l’ami de ma fille qui se trouvait être le bourreau. J’avoue que j’étais très surpris. Il était calme, patient et parlait peu. Je ne pouvais jamais l’imaginer dans ce rôle. Lorsque je l’ai visité en détention, je lui ai demandé pourquoi ? il a simplement baissé la tête ; je lui ai dit que ma fille m’avait supplié de ne pas le poursuivre et que je ne voulais pas la contrarier. » En ce moment précis, sa voix enrouée et ses yeux humides cachaient à peine ses émotions. Le père de la victime nous a confié que c’est Dieu qui a protégé sa fille car le sieur Brice avait déjà tenté de l’emmener dans la forêt sacrée de Ouidah pour commettre son forfait. Arrivée devant la Forêt, Marlène, inspirée avait refusé d’y entrer. Par la suite, ils sont allés à la plage. Là aussi, Marlène a insisté pour rentrer. Selon le diagnostic médical assuré par l’hôpital de Mênontin, elle a eu deux blessures profondes au niveau du cou du côté droit comme gauche. Avec les soins, elle est hors de danger. Le père de la victime Ayeko Dossou Mathias nous a confiés que le recteur a instruit les psychologues de l’Université pour accompagner et soutenir sa fille dans cette épreuve. De Glazoué à Parakou, il n’y a que quelques kilomètres. Et comme si la violence était contagieuse, on l’a retrouvée au CEG Zongo.
Lorsque les stupéfiants déséquilibrent au CEG Zongo de Parakou
Le cas du CEG Zongo à Parakou révèle une autre facette de l’école à laquelle nous consacrerons plus tard une enquête. La consommation des drogues en milieux scolaires. Selon le directeur de cet établissement d’enseignement général, ce qui s’est passé le 16 mars aux environs de 10heures est inédit. « Sous l’effet des stupéfiants, un jeune garçon à empoigner un couteau pour en découdre avec l’un de ses camarades dans la cour de récréation. Visiblement, il était dans un autre état. Heureusement que nous avions de gros bras dans l’établissement qui l’ont tout de suite maîtrisé », a confié le premier responsable de ce lieu de savoir.
Face à cette recrudescence de la violence, nous avons décidé de visiter le groupement des sapeurs-pompiers pour recueillir les statistiques des violences que leur service a pu noter spécifiquement au niveau des écoles du Bénin. Malheureusement, le Capitaine Dalis Ahouangbénon qui nous a réservés un accueil chaleureux, n’a pu nous communiquer des chiffres. « Ici, nous n’avons pas intégré dans nos paramètres cet aspect très spécifique que vous demandez. Néanmoins, je n’ai pas souvenance que nos équipes d’intervention soient souvent allées dans les écoles ». Après cette étape, nous nous sommes rendus au Centre National Hospitalier Universitaire de Cotonou pour voir au service des urgences les cas de violences scolaires traitées. Là également, une statistique spécialisée n’est pas tenue. Nous avons cependant noté des cas de fractures cérébrales d’enfants en âge de scolarisation et le comble, une enfant de la maternelle âgée de 4 ans violée par un militaire. Prise en charge au service CUGO du CNHU par le Dr. gynécologue Agossou, cette fille a perdu et rectum et organes génitaux, clitoris y compris. Après des soins intensifs à la chirurgie pédiatrique, elle est aujourd’hui hors de l’hôpital. Toutes nos tentatives pour avoir un mot des parents sont restées vaines. Au nom du secret professionnel, le Dr. Agossou n’a pu en dire plus à notre équipe. C’est dans cette nébuleuse, que les munitions ont été découvertes dans nos écoles !
Des élèves trafiquants de cartouches pour pistolets modernes
Plusieurs élèves, (Gabonais résident au Bénin et Béninois) presque tous en classe de Terminale, au collège ‘‘La Colombe’’, au complexe ‘‘Clé de la réussite’’, au CEG sainte Rita, au collège «Père Aupiais» et « St Jean Baptiste » sont tous arrêtés par le commissaire de Vodjè, Koutchikpa Hugues Sèdé, en possession de 24 minutions de pistolet automatique moderne de fabrication russe et allemande. Une situation qui a mis en érection la police nationale et les forces armées béninoises. Pour en savoir plus, une équipe de Educ’Action a visité quelques collèges cités. Anne-Marie Joseph Ibrahima, directrice du collège Catholique Saint Jean-Baptiste de Cotonou a déclaré que l’élève interpellé dans son établissement fait partie d’un groupe de 5 enfants tous, détenus actuellement à la prison civile pour mineure de Porto-Novo. Elle assure que dans son école, les armes ne circulent pas et qu’elle a pris des dispositions pour davantage sécuriser son établissement. Pour Emile Godonou, Censeur du Collège Catholique Père Aupiais de Cotonou, l’élève interpellé qui fréquentait son collège n’a pas été pris dans le collège avec des munitions. « Nous n’avons jamais vu des armes sur nos enfants. C’est la police qui a révélé cela. Mais ce qu’on nous a dit à la police est que ce n’est pas notre élève qui est directement impliqué mais plutôt un élève d’un autre collège qui lui aurait demandé de lui trouver des preneurs pour les munitions », a-t-il soutenu. Si les munitions font courir les responsables du Collège Père Aupiais, au CEG Ste Rita, ce sont des innovations de violences qui interpellent.
Au CEG Ste Rita…
Selon, Alfred Tiomon, surveillant général au Ceg Ste-Rita « on note souvent une violence entre les élèves filles qui se disputent un garçon. Il y a même une fille qui est venue dans l’établissement avec une bouteille remplie de piment pour pouvoir déverser le contenu dans la figure de sa camarade. A l’issue d’une fouille, nous avons retrouvé la bouteille que nous avons saisie. La particularité au niveau des garçons de ce collège, c’est qu’il n’y a pas souvent de bagarre entre eux. Mais les soirs ils se donnent rendez-vous aux alentours du collège. Ils appellent les bandits qui viennent en renfort avec des couteaux et manchettes. Nous n’avons pas encore dénombré des pertes en vies humaines. Mais nous avons dénombré des blessés graves. Face à ces nouvelles réalités de l’école, nous avons tendu notre micro à une passionnée de l’éducation, Dr Clarisse Napporn, spécialiste en Sciences de l’Education à l’Université d’Abomey-Calavi (UAC), enseignante au département de psychologie et de sciences de l’éducation.
L’Avis des éducateurs
Pour le Dr. Clarisse Napporn, La société béninoise connaît une étrange mutation. Il y a en premier lieu les familles dont l’organisation a beaucoup évolué. Et pas forcément dans le bon sens. Il y a les relations sociales. Aujourd’hui, il est difficile de gronder un enfant s’étant mal comporté dans la rue sans subir la foudre des parents. Ils défendent la bêtise de leur enfant. Tout ou presque est permis par les parents aux enfants qui n’ont pas de limites. Il y a ensuite les médias qui donnent à entendre et à voir tout et n’importe quoi. On peut ajouter la présence massive d’étrangers qui viennent avec leurs mœurs. On ne maîtrise pas toujours ce qui entre et l’influence que cela peut avoir. Il y a surtout l’attitude des responsables des établissements qui ne font pas respecter les règlements intérieurs des établissements. S’il y avait des sanctions et des plaintes, il y en aurait moins.
Le surveillant général du CEG Ste Rita, M. Akpovo, quant à lui, estime que les enfants aujourd’hui ne maitrisent plus le pardon. « Quand quelqu’un leur fait du mal et qu’ils n’ont pas la force pour répliquer, ils font recours aux bandits ». Pour lui, il faut que les parents assument leur responsabilité et surveillent leurs enfants. « Il y a des parents qui ne maitrisent même pas l’emploi du temps de leurs enfants. Il y a même des parents qui autorisent leurs enfants à aller rester chez un copain. Tout enfant qui est suivi prend toujours conscience. Mais quand l’enfant sait qu’il n’est pas suivi, il peut se laisser aller à tous les vices.»
En somme, la violence gagne du terrain dans nos écoles. La terreur s’installe par endroits, les élèves deviennent des cibles pour les trafiquants de drogues, ils sont emballés dans des commerces insoupçonnés. Ce haut lieu d’éducation devient l’antichambre de la délinquance. Les assaillants sont là, il faut parer au plus pressé, emmurer l’école pour qu’elle garde sa virginité, ses valeurs et ses vertus.
Réalisation : Ulrich Vital AHOTONDJI & Edouard KATCHIKPE