Ressources Educatives Libres (REL), formations gratuites, données ouvertes, open access, archives ouvertes. Ce sont des termes qui caractérisent un mouvement mondial qui vise le partage du savoir et de la connaissance sous toutes ses formes. Bienvenue dans cette série d’articles qui lève le voile sur les différentes facettes de cette dynamique mondiale. Dans cette parution, il sera question de la plateforme Wikipédia, une encyclopédie libre.
Samedi 28 août 2021, la salle de formation du Campus Numérique Francophone de Cotonou accueille des étudiants particuliers. Pendant que leurs amis se tordent les pouces et profitent de leurs vacances, eux, veulent plutôt avoir des réponses à des préoccupations concernant le fonctionnement d’une plateforme. Ils la connaissent de nom, puisque tout le monde l’utilise. Les questions pour eux, sont nombreuses : que se passe-t-il derrière l’écran ? D’où viennent toutes ces informations quand vous lancez une requête (faire une recherche) sur internet et que des pages Wikipédia apparaissent ? Par quelle magie ce site internet sait tout ? Les regards curieux, ils fixent tous un homme dans cette salle à moitié éclairée : Ross Patrick Azogbonon, contributeur sur Wikipédia. A côté de lui, son jeune frère, Constant, est aussi présent pour répondre à la multitude de questions qui taraudent l’esprit de ces nouveaux arrivants dans le monde de la connaissance libre. La plateforme, comme vous l’avez constaté, c’est Wikipédia. Cette formation de dépucelage intellectuel sur le plan des connaissances libres porte sur le thème : « initiation à la contribution sur Wikipédia». Mais avant de s’aventurer en eau profonde, il faut savoir ce qu’est d’abord une connaissance libre.
Connaissances libres, le savoir appartient à tous
« La connaissance libre, encore le savoir libre, c’est le savoir qui peut être acquis, interprété et appliqué librements», définit Boris Legba, chercheur à l’Unité de Recherche en Microbiologie Appliquée et Pharmacologie des Substances Naturelles (URMAPha), en s’appuyant sur Wikipédia. C’est dire, selon le jeune chercheur, qu’il faut comprendre par connaissance libre, toute connaissance dont l’utilisation n’est soumise à aucune restriction. On peut y avoir accès librement et facilement. Par ailleurs, poursuit-il, on peut l’utiliser ou la partager librement.
La corpulence légèrement enveloppée, Constant Azogbonon abonde dans le même sens en ajoutant que chaque individu a la possibilité de collecter et de publier ses informations de façon libre et gratuite pour leurs propres projets. Ces informations produites ne sont généralement pas le fait d’une seule personne : c’est une co-construction. Saliou Abdou, membre de plusieurs associations de promotion de la connaissance libre, ne dira pas le contraire. Pour lui, ces connaissances nécessitent « des synergies pour produire de l’information commune et la mettre à disposition des autres. Cela fait qu’il y a une mince frontière avec l’intelligence collective». Sur ce plan, il révèle que des études ont montré que lorsque plusieurs personnes se retrouvent à créer de l’information, elles sont capables de produire de l’information de qualité. C’est sur l’ensemble de ces principes que repose Wikipédia.
A la découverte de Wikipédia, l’encyclopédie libre
Plus de 80 % des articles écrits sur le Bénin ne sont pas l’œuvre des Béninois. Mais cette tendance s’inverse progressivement grâce au travail de jeunes bénévoles comme Constant et ses frères Patrick et Saliou. « La majorité des articles qui étaient écrits sur le Bénin, dans un passé récent, n’étaient pas écrits par les Béninois. Mais l’idéal serait que les Béninois commencent à plus écrire. Cela dit, les autres personnes ont fait un travail gigantesque sur le Bénin», fait savoir Patrick Azogbonon, pour donner le ton sur la place importante que la plateforme occupe dans l’espace du savoir mondial.
«Wikipédia est un projet d’encyclopédie collaborative en ligne, universelle et multilingue au contenu neutre, vérifiable et librement réutilisable, que chacun peut éditer, compléter et améliorer », définit Constant pour donner un aperçu de ce qu’est la plateforme. En un mot, sur Wikipédia, tout le monde a le droit de s’exprimer à condition de produire une information qui a des sources fiables. Poursuivant dans ces explications d’une voix rapide, il ajoute que «Wikipédia est l’un des nombreux projets que la fondation Wikimedia développe. A côté de la plateforme, nous avons les projets Wikisources (fournir les sources des articles rédigés sur Wikipédia), Wikicommons (collecter les fichiers audios, vidéos et images), etc.». Pour collecter ces informations et autres données, il y a les contributions ordinaires et celles qui se font via des concours initiés par la Fondation. C’est le cas de Wiki loves folklore qui consistait à prendre des images de tout ce qui est folklorique et culturel ; Wiki loves Africa (écrire des articles sur l’Afrique), Wiki loves monuments (fournir des images sur différents monuments en racontant leur histoire) ; WPWP qui consiste à améliorer les articles sur Wikipédia, éclaire Constant, dans sa chemise rouge. C’est la diversité de ces contenus qui fait de Wikipédia une encyclopédie. Au vu du volume d’informations produites, plusieurs se demandent, comme les étudiants prenant part à cette formation, comment est-ce possible ?
L’empire du bénévolat basé sur la passion
Plus de 6.326.000 articles en anglais, plus de 2.590.000 en allemand, plus de 2.340.000 en français et ainsi de suite en Espagnol, Russe, Portugais, Polonais, Chinois, etc. C’est l’œuvre de centaines de milliers de contributeurs volontaires comme ceux du Bénin, qui animent le portail national Bénin grâce à leur travail acharné. « Le portail Bénin, ce sont tous les articles qui sont référencés ou indexés sur le Bénin. Les articles sont rédigés par des contributeurs bénévoles qui ne sont pas forcément du Bénin, peut-être même pas d’Afrique», fait savoir Patrick Azogbonon, contributeur sur Wikipédia. Dans son tee-shirt de couleur grise, le trentenaire enveloppé, ajoute aussi qu’il faut être passionné pour être contributeur. De plus, écrire sur Wikipédia et produire des articles sur le Bénin, notamment, donne l’occasion de faire rayonner le pays. « Il faut avoir l’envie d’écrire et de faire connaître ce que nous avons comme patrimoine, notre cher pays avec tout ce qu’il contient et tout ce dont il regorge. Nous pouvons partager cela avec le monde entier comme le font les gens des autres pays», explique passionnément l’enseignant de langue française au CEBELAE. L’intérêt pour les Béninois de le faire, selon le contributeur, c’est que « cela rehausse la quantité et la qualité des contributions vu que les personnes qui écrivent sont des autochtones. Donc, elles sont plus à même d’apporter les vraies informations sur les articles », malgré les défis à relever.
Les défis du volontariat
Parlant de volontariat, Saliou Abdou renchérit : « les gens ne sont pas payés pour le faire. C’est fait sur la base volontaire, bénévole ».

A propos, il ne manque pas de faire une caricature de la production de contenus dans le contexte africain et béninois, mettant le doigt au passage, sur les blocages. « En contexte africain, le bénévolat et le volontariat restent encore limités. En plus de cela, il y a la fracture numérique avec l’accessibilité et la qualité de la connexion à internet », révèle-t-il dans son polo rouge. A l’en croire, le volume important d’articles produits dans les autres langues est due au fait que les contributeurs sont des gens retraités ou qui travaillent dans le domaine dans lequel ils contribuent. «Si je dois faire une comparaison entre les pays africains et les autres pays notamment occidentaux, comme la France, les Etats-Unis, l’Allemagne, la majeure partie des contributeurs sont des personnes retraitées ou sont en entreprise et cela est leur boulot. Alors qu’en Afrique, les contributeurs sont des jeunes qui viennent de commencer ou de finir le premier cycle universitaire. Il se pose le problème de disponibilité pour mettre à contribution son temps libre».
L’univers de la connaissance et du savoir libre ne se limite pas à Wikipédia uniquement même si la plateforme est son meilleur ambassadeur. De nombreuses autres facettes de cet espace intellectuel restent à découvrir et nous y reviendrons.
Adjéi KPONON