Considérée comme l’une des structures participantes à la mise en œuvre du Programme d’Appui à l’Education et à la Formation des Enfants exclus du système éducatif formel (PAEFE), Dérana-ONG assure l’axe de l’intermédiation sociale du programme. Rencontré, le mardi 10 mai dernier, au cours de la table ronde sur le PAEFE, Brice Gado Lafia, Coordonnateur national de Dérana-ONG, confie au journal Educ’Action, la mission de sa structure dans la réussite du programme.
Educ’Action : Comment le programme a pu identifier votre ONG ?
Brice Gado Lafia : Le choix a été motivé par les interventions que nous faisons dans le domaine de l’alphabétisation et de l’éducation non formelle. Depuis une vingtaine d’années en effet, nous travaillons avec les analphabètes dans les villages et on s’est fait une expertise dans ce domaine. Je pense que c’est cette expertise qui a amené les initiateurs du PAEFE à vouloir s’intéresser à la structure pour qu’elle mette en œuvre son programme sur le terrain.
Qu’est-ce qui a motivé votre choix selon vous ?
Il faut dire que pour avoir été partenaire de la Coopération Suisse, puisque le programme est financé par la Coopération Suisse, les acquis que l’ONG a eus grâce à cette Coopération, il fallait valoriser ces acquis-là en retenant la structure pour mettre en œuvre le programme PAEFE.
Comment se déroule le processus de recrutement des apprenants ?
Ce processus se fait par le biais de ce que nous appelons les médiations sociales. Ce sont en fait des assemblées générales qui sont tenues à la veille de la rentrée, au cours desquelles la stratégie de mise en œuvre du programme est présentée aux communautés et les critères de sélection des enfants font objet de présentation et de débat avec les communautés. C’est à partir de ces assemblées générales que le soin est laissé aux communautés, au regard des critères qui leur ont été indiqués, d’identifier les enfants qui seront retenus pour l’année qui va suivre.
Ne disposant pas d’acte de naissance pour la plupart, comment arrivez-vous à reconnaître l’âge des apprenants ?
Là, c’est une question un peu embarrassante parce que souvent, il est demandé que les enfants aient entre 9 et 15 ans. Mais à vue d’œil, les parents vous disent que celui-ci a 9 ans ou il a moins de 9 ans or, en réalité parfois l’enfant a plus de 9 ans. Donc, vous voyez que l’identification n’est pas une chose aisée. Cependant, nous tenons compte d’un certain nombre de critères naturels à savoir la taille, la corpulence. Les parents aussi nous aident à identifier les enfants. Lorsque les enfants sont identifiés, l’ONG fait un deuxième travail pour vérifier si ces enfants répondent effectivement à ces critères. Et c’est à ce niveau là que nous faisons un tri.
Quels sont les critères sur lesquels vous statuez pour pouvoir recruter ces enfants là ?
Les critères, c’est d’abord l’engagement des parents. D’abord, nous réglons la question de l’âge à peu près. L’engagement des parents par rapport au fonctionnement du centre Barka. Vous savez, on a parlé par exemple des cantines endogènes. C’est aux parents d’apporter des vivres pour ces cantines-là. Et une fois que l’enfant est inscrit, le parent doit s’engager à suivre la régularité de l’enfant au cours. Le parent doit prendre l’engagement de contribuer à la mise en place des infrastructures en termes de participation en nature et en termes de participation en main d’œuvre. Donc, ce sont ces engagements-là que nous faisons prendre aux parents qui nous rassurent de ce qu’une fois l’enfant inscrit, il peut être maintenu.
Comment se déroule le travail au sein de la communauté ?
Ici, il s’agit d’un acte pédagogique. Une fois les classes ouvertes, nous mettons en place ce que nous appelons les comités de gestion. C’est un petit groupe constitué de parents d’élèves et de représentants des élèves. Ce comité de gestion est l’œil de la communauté par rapport au fonctionnement de l’école. C’est lui qui veille à régler les problèmes qui se posent, c’est lui qui aide l’animateur à faire le suivi des enfants, c’est lui qui aide à maintenir la discipline, parce que quand il y a un problème en termes d’indiscipline notée auprès d’un élève ou d’une élève, c’est le comité de gestion qui est saisi. Ce comité de gestion aide beaucoup au fonctionnement de l’école. Mais à un autre niveau, le suivi se fait avec les chefs des circonscriptions scolaires. Et là, c’est un suivi pédagogique. Ils font des tournées pour voir comment les cours se déroulent, comment les animateurs développent le processus d’enseignement-apprentissage. Le suivi que nous faisons par le truchement de nos superviseurs, est un suivi qui porte beaucoup plus sur l’aspect organisationnel. Comme je l’ai dit, le volet pédagogique relève beaucoup plus de la compétence des inspecteurs qui sont qualifiés pour.
Comment faites-vous pour convaincre les parents à adhérer au programme ?
Les arguments sont simples. Vous savez, nous prenons le cas des enfants qui vont à l’école et qui, avec le temps, reçoivent une formation qui fait d’eux, des cadres. Alors quand vous établissez la comparaison, le parent se dit qu’il est important que l’enfant aille à l’école. C’est vrai que dans bien des cas, les enfants qui sont envoyés, ne sont pas souvent les enfants propres des parents. Ce sont des enfants qui sont placés. Et quand c’est comme cela, il faut que le parent prenne conscience du bienfait de l’éducation pour laisser l’enfant aller à l’école, au centre Barka. Et nous leur montrons l’avantage de savoir lire et écrire, parce que ce sont ces capacités qui sortent l’individu d’une situation de brimade. Lorsque l’enfant est éduqué, il ne sera pas brimé. Lorsque l’enfant est éduqué, il arrive à se battre dans la vie pour obtenir un emploi qui fait de lui, un homme indépendant. Alors quand vous avancez ces arguments, évidemment ça finit par convaincre les parents et ils se disent qu’il est vraiment important que l’enfant aille vraiment à l’école.
Croyez-vous au départ à la réussite de ce programme ?
Oui moi j’y croyais fermement. J’y croyais dans la mesure où depuis 1995, lorsque Dérana a commencé ses premières actions d’éducation et d’alphabétisation des adultes dans le Borgou, très tôt l’Ong avait pris conscience de l’existence des enfants que nous appelons à l’époque des conducteurs de bœufs de traie. Ce sont des enfants dont l’âge est compris généralement entre 9 et 14 ans, qui étaient exclus de l’école et qui avaient pour rôle de suivre les bœufs le matin, de les guider dans les champs. Et une fois rentrés des champs, ces enfants s’occupaient de conduire les bœufs au pâturage. Cela fait qu’ils grandissent sans avoir une formation. Et cette préoccupation était déjà là et nous l’avons exprimée auprès de la Coopération Suisse, qui avait accepté depuis 1995 déjà de financer une étude qui a été réalisée dans ce sens. L’étude a été faite, mais malheureusement il n’y a pas eu un financement pour mettre en œuvre les actions qui ont été retenues au terme de l’étude. A défaut de financement, cette initiative n’a pas pu prendre. Aujourd’hui, nous sommes heureux que le PAEFE soit venu comme une réponse à cette préoccupation soulevée depuis les années 1994-1995. Donc pour nous, c’est une alternative éducative qui permet d’enrailler ce fléau qui est celui des enfants qui grandissent sans formation et qui, demain, deviennent un danger pour la société.
Quelle est votre appréciation aujourd’hui du programme ?
Moi je pense que le bilan est largement positif parce que pour une première expérience, vous voyez le nombre d’enfants qui ont été conduits sur les quatre ans du programme. Aujourd’hui, ces enfants ont des capacités à écrire et à lire non seulement dans leurs langues, mais aussi en français. Il y en a qui ont le CEP. C’est vrai que le CEP n’est pas une finalité, mais le bilan est d’autant plus positif que ces enfants ont acquis des capacités à communiquer dans leurs langues, mais ils ont commencé par être initiés à des activités professionnelles. Ce qui fera d’eux, de bons artisans demain. C’est très encourageant, c’est très satisfaisant.
Quelle sont les difficultés rencontrées dans l’exercice de votre activité ?
Les difficultés sont liées à l’enlèvement des filles. C’est un phénomène qui s’observe surtout en milieu peulh et contre lequel nous luttons, mais il faut mener une lutte intelligente pour ne pas braquer les gens contre le programme. C’est une grosse difficulté. Il y a aussi des difficultés qui sont moindres. C’est la mobilisation des vivres pour les cantines scolaires.
S’il arrivait aujourd’hui que la Coopération Suisse se désengage du programme, pensez-vous que la communauté serait en mesure de poursuivre son exécution ?
La communauté devrait être en mesure, mais aujourd’hui le sevrage sera trop tôt. Nous venons juste de faire une expérience de quatre ans. C’est maintenant que les communautés font le premier pas dans ce processus-là et il n’est pas souhaitable qu’elles soient tout de suite sevrées parce que le programme risque de souffrir. Je veux dire risque même de s’arrêter. Et c’est même heureux que le partenaire accepte de poursuivre la mise en œuvre du programme et de l’étendre même jusque dans l’Alibori.
Propos recueillis
par Edouard KATCHIKPE