Le jour où Fati arriva la première fois chez les Lawson, la dernière des enfants qui avait déjà seize printemps cria. « Maman, j’ai envie de manger des frites » ! La mère, grande dame évoluée, ayant vaguement été à l’école (jusqu’à l’université selon elle), appela la domestique et lui intima l’ordre de rôtir des pommes pour l’affamée. Membres de « Femmes émancipées en politique » et enfin soulagée d’avoir une nouvelle bonne, elle comprit un long moment plus tard qu’elle avait embauché une catastrophe ambulante. Le résultat produit avec les pommes de terre ressemblait à des poissons noyés dans une mare d’huile, avec des croûtes innommables, aboutissement calamiteux d’une tentative d’omelette.
« Quoi, ne pas savoir faire des frites au 21e siècle ! » Elle se redressa sous l’œil amusé de sa petite sœur, venue rendre visite, et voulut souffleter l’inutile servante. Celle-ci ne dut son salut qu’à l’accorte dame qui calma le juste courroux de cette femme moderne, laquelle avait juste oublié d’apprendre à ses propres enfants à s’occuper d’eux-mêmes. Elle renvoya séance tenante la villageoise venue de quelque vague brousse du septentrion où on apprêtait d’autres mets. Sa sœur, commerçante décida de partir avec la bannie dont la mine à la fois déconfite et étonnée affichait le dépit de n’avoir pas avoué, dès le début sa méconnaissance de ce plat important mais inconnu dans ses lointaines contrées.
Sa nouvelle maîtresse apaisa son désarroi et l’installa dans une chambre avec une autre servante. Elle se coucha, pour la première fois sur un matelas après un copieux repas. Le lendemain, comme à son habitude, elle se réveilla aux aurores prête à œuvrer. Mais tout était encore calme. Elle attendit et prit la résolution suivante : écouter, comprendre et surtout faire comprendre ses capacités.
La maisonnée se réveilla, sa voisine domestique en premier qui s’occupa d’expédier quelques travaux, se lava et à peine la maîtresse levée partit pour le marché. La maîtresse s’aperçut enfin de son existence avec une mine soucieuse : que ferait-on d’elle ? Décidée à lui donner une chance, elle lui fit visiter la vaste habitation et lui posa quelques questions : qui était-elle, que savait-elle faire ? Elle répondit dans un français acceptable qui lui plut. La maîtresse la fit passer dans toutes les chambres où elle aperçut les quatre enfants, en train de se réveiller ; dans la cuisine et dans un magasin rempli de vivres dépassant de loin celui d’Issa, le riche commerçant de la contrée d’où elle venait ! Elle retint de toute la visite qu’elle réprouvait le vol et le mensonge et lui donnait une chance pour démontrer ses qualités.
Les enfants, comme tous les gosses actuels savaient tout faire sauf s’occuper d’eux-mêmes. Elle se mit au travail, récura la maison de fond en comble et prépara quelques repas à base de riz pour les enfants et un crincrin accompagné d’une pâte de maïs. Cela surprit agréablement la patronne qui n’avait rien demandé et s’attendait à rentrer en cuisine pour son mari. Chacun mangea, surtout le maître de maison dont le visage renfermé sembla se délier à chaque bouchée de pâte au crincrin : Il aimait, au contraire de ses enfants, les repas du terroir !
Le lendemain, elle demanda à sa patronne qui avait inspecté la maison avec une approbation étonnée, de lui acheter l’essentiel pour préparer de l’igname pilée pour le dimanche. à treize heures, ce jour du Seigneur, tout était prêt. Les effluves répandus dans la maison présageaient un repas des plus délicieux ! Le bougon mari résistait à la charge supplémentaire d’une nouvelle servante. Or, elle travailla si bien la pâte d’igname soyeuse à souhait, qu’il soutint devant l’Eternel avoir vu le potentiel de cette fille au premier regard. Il se chargerait de sa solde !La politicienne arriva sur ces entrefaites et sans façon se mêla à la ripaille. Elle s’aperçut de son jugement hâtif et fit mille grâces pour récupérer en vain la servante renvoyée.
Celle-ci prit rapidement du galon et devint la gouvernante. Son adversaire le plus dangereux n’était ni les parents, ni les enfants qui l’appelaient tous « grande-sœur » mais la véritable directrice du budget qu’était la première servante, demoiselle butée et fidèle. Elle dirigeait le commerce de la patronne avec hargne comme un roquet et rechignait souvent à sortir l’argent pour les besoins définis par la nouvelle à laquelle on avait fini par faire complètement confiance.
Les parents semblaient se perdre dans d’innombrables soucis et contraintes et avaient la sagesse de marquer leur confiance et bienveillance à des filles qui connaissaient mieux la vie que leurs propres enfants. Elles les traitaient comme tels et se surprenaient à se demander si elles ne les auraient pas facilement échangés contre cette progéniture turbulente qui n’avait comme titre de gloire que de récolter de bonnes notes en classe. Quand se décideront-ils à collecter ces bonnes notes dans la vraie vie ne serait-ce qu’auprès de véritables femmes battantes qui n’avaient pas eu la chance d’être nées à la bonne place pour aider à éduquer et développer ce pays !
Maoudi Comlanvi JOHNSON, Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe