Je me nomme de Gaulle, un prénom qui ne me dit rien. Heureusement, mon père m’a légué un nom bien de chez nous, qui parle plus que ça ! J’appris plus tard que je devais ce prénom trop élevé à mon oncle, le politicien du village et le plus cultivé de la famille. Il voulait sûrement m’ouvrir un destin fabuleux avec cet illustre nom d’outremer.
En attendant je suis là : élève dans un collège de ma petite ville de province. Les années passent et je vais lentement vers mon Bac. Ma première année de collège fut la plus difficile, mais j’ai vite trouvé des repères. Aujourd’hui, on me voit comme le maître des bizness, c’est-à-dire des bons et des mauvais coups. C’est clair : je suis le maître des BIZZI du système !
Rien ne me prédestinait à devenir un enfant aussi mal embouché et trempant dans toutes les affaires quasi amorales de mon école, pourvu que cela rapporte de quoi vivre et manger. Après mon CM2 au village, je me retrouvais dans la petite ville distante d’une trentaine de kilomètres de mon village. Il s’agissait maintenant d’étudier afin de sortir semble-t-il de cette vicieuse précarité sans solution, de cette vie de non droit que représente le village. Mais était-ce si facile dans cette petite ville où les parents s’occupent généralement de payer vaille que vaille votre scolarité et de vous louer à plusieurs une masure comme gîte ?
Il fallait donc survivre avec comme seul soutien le gari et quelques produits de saison en pensant à l’avenir radieux qui vous attendait dans les bureaux de la fonction publique. C’était une situation difficile où l’alternative consistait à choisir entre un retour au champ et la poursuite d’une scolarité quasi inutile faite de bourrage de crâne pour croupir dans une insipide université.
En fait, on comprit très tôt que nos aînés qui avaient usé les fonds de culotte et vidé des champs de manioc à force de consommer le gari paternel, avaient vite déchanté dans leur quête du graal que représentaient les emplois publics. Beaucoup ne finissaient même pas l’université, se contentant de traînasser dans Cotonou et environs.
Un aplomb certain et un esprit de repartie doublé d’une compréhension rapide des besoins de mon entourage m’avaient vite rendu incontournable. En cours, j’étais toujours l’animateur principal, qui venait au secours des faibles et des filles. Surtout, je servais les enseignants ; alliant la disponibilité et l’impudence à la discrétion. J’étais serviable sans être servile ; compréhensif tout en évitant la compromission. Je vis des camarades s’adonner à la boisson et même au tabac, voire la drogue et sombrer dans la bêtise. Je regardais certaines filles se livrer, trop souvent et malgré elles, à la quasi prostitution pour un peu de nourriture et des notes. Je louvoyais au milieu de tout cela, semblant faire plaisir à beaucoup de professeurs et d’amis tout en tentant de sauver mon âme.
Dès mon arrivée, je m’étais porté vers l’église pour être enfant de chœur. Nul ne comprenait cette activité où j’excellais. Or j’étais sincère et réprouvais cette vie d’activiste et d’entremetteur que je menais malgré moi. J’étais arrivé au stade où le prêtre m’appréciait vraiment et m’avait confié les rênes non seulement de la sacristie mais aussi de sa propre chambre. Cette confiance, je ne la comprenais pas vraiment ! N’avait-il pas des échos de mes exploits extérieurs ? On était arrivé au point où il pouvait arriver à la messe la dernière minute et tout était prêt pour l’office car je servais toutes les messes. Pourtant, un jour l’impossible arriva : après une nuit tourmentée dans les bras d’une de ces jeunes filles perdues où j’ignore même ce que nous fîmes, je vins préparer la messe. Prenant la bouteille de vin de messe au trois quart vide, j’en versais une partie dans le calice. Sans réfléchir et pour perpétuer les félicités de ma nuit en couple, je vidais en une rasade le reste du divin nectar dans mon gosier maladroit. L’alcool divinement bon me fouetta. Sans trop y réfléchir, je vidais le calice aussi ! Sacrilège. J’étais perdu. Je mis de l’eau à la place du vin et m’enfuis loin de l’église et marchais jusqu’au village pour retrouver mon père, seul être que j’aimais et respectais à la fois ! il aurait dû être Président de toutes les Républiques car il était sage et magnanime : il connaissait et comprenait la nature et les hommes qu’il respectait.
Quand je retournais à la ville, je voulus me confesser mais le saint prêtre me demanda d’aller à l’école et de revenir m’occuper des choses comme d’habitude. Je préparais la messe suivante à l’accoutumée et au moment de me donner la communion, le curé trempa mon hostie dans son vin et murmura spécialement pour moi en me regardant droit dans les yeux : « le corps et le sang du Christ ». Je répondis tremblant d’émotion « Amen ! ».
Je compris depuis ce jour que je n’étais pas encore perdu et deux êtres me permettront de continuer à lutter pour réussir avec une éducation sans cesse renouvelée : mon père et mon Dieu.
Maoudi Comlanvi JOHNSON, Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe