Une thématique revient de façon lancinante dans la vision que nous voulons donner à l’éducation béninoise. Et plus généralement au type d’éducation approprié pour nos pays dits en voie de développement. Je veux parler du rappel d’un passé, soit glorieux, soit moins violent et plus porteur de valeur et d’harmonie, que ce que nous vivons aujourd’hui. Reconnaissons-le : cette approche suscite de vives controverses autant de la part des sociétés occidentales qui réfutent le rôle négatif de la colonisation que d’une frange de la nouvelle génération des élites africaines qui reprochent aux anciens de persister dans une vision passéiste de l’histoire.
L’immédiateté de la mondialisation semble imposer des habitudes et des attitudes nouvelles et uniformes «sans rancunes et sans rancœurs» dans le sens où, par-delà les clivages socio-politiques et les rêves, les chances de compétitivité paraissent égales. Ainsi, une startup rapportant des milliards de dividendes peut se créer partout sans état d’âme. Paradoxalement, je comprends et à la limite, j’accepte cette approche dans la mesure où nos descendants n’ont ni connu, ni été pétris dans ce moule retraçant les valeurs d’antan.
Il n’empêche : dans ce monde qui tend vers l’uniformisation et la simplification, nous avons besoin aussi de racines et d’une tradition qui fondent notre identité propre.
L’éducation africaine et notamment béninoise actuelle manque absolument d’un socle identitaire qui puisse impulser la dynamique pour former le caractère de nos étudiants. A l’évidence, on ne peut pas fonder ce caractère ex nihilo, c’est-à-dire soutenir l’idée que nos descendants, quand ils naissent, sont, dès le départ, sans état d’âme autant en ce qui concerne les traditions africaines que les idéologies occidentales véhiculées par la formation et l’information. Ce que je voudrais souligner, c’est que, en naissant dans ce siècle et dans ce monde actuel, nos enfants partent avec les handicaps d’une culture dominée et soumise matériellement, financièrement et idéologiquement. Comment alors sortir de ce moule qui va les former et leur fabriquer une mentalité d’éternels assistés ?
Il s’agit donc de créer une communauté qui apprend à penser autrement en recourant à des habitudes et pratiques héritées d’un passé revisité, redécouvert à travers les valeurs qui la fondaient à savoir le respect de l’aîné, le respect de la terre, la solidarité et la redécouverte de ce qui fait la différence entre le besoin et la distraction. Il s’agit d’apprendre à réagir a contrario de cette mondialisation anthropophage. Les enfants des décideurs qui vont diriger le monde dans quelques décennies ne passent pas leur temps à surfer inutilement sur des médias, des heures durant. On leur apprend à comprendre le monde à travers les valeurs de leurs castes qui sont celles de la rigueur, de la capacité de décisions car ayant une autonomie de pensée. Ce qui les identifie, c’est qu’ils se distinguent de toutes et de tous : ils comprennent, intègrent et maîtrisent la mondialisation pour la manipuler. Ils constituent une communauté qui réagit à partir d’autres valeurs.
Mon propos, c’est de savoir comment parvenir à créer ce type de communauté. Elle prend racine dans le passé, pour le dépasser ; elle se démarque de l’idéologie occidentale et prend sa source dans la fierté retrouvée de nos traditions et de notre environnement. Il ne s’agira pas de s’abîmer dans une contemplation béate de nos traditions, mais de s’appuyer sur ce socle pour créer ce que Benedict Anderson appelle «une communauté imaginée». Elle se définit à partir de nos frontières et de notre souveraineté pour construire une nation : ce sera notre béninité (à distinguer de la béninoiserie évidemment).
J’ai envie de penser que c’est cela qu’aurait voulu traduire le slogan présidentiel du «Bénin révélé». Sauf que ce programme s’est trop appesanti sur l’économique et a négligé la pédagogie et le consensus. Ce qu’il faut révéler, ce sont plus les ressources humaines que les atouts matériels du Bénin. Mais cela est une autre histoire !
Or ici, dans cette béninité à conceptualiser et à vulgariser, il s’agira de travailler le social, le psychologique et le moral en assimilant et surtout en dépassant nos valeurs traditionnelles. Il n’y a pas de peuple sans racines et sans culture. Il faut récupérer les valeurs de cette culture et ranimer les legs des anciens au lieu de subir cette idéologie de la facilité qui se résume en un présent trépident. Ainsi, nous allons récupérer et mettre en valeur nos terres et notre environnement ; entreprendre et réussir matériellement et financièrement en créant la confiance en soi et le goût de l’effort. C’est vrai que quelques membres de la nouvelle génération ont compris cela ; mais très tôt, ils trouvent des opportunités pour quitter notre pays et notre société oppressants, où les aînés n’ont pas le temps de détecter et de promouvoir les enfants pleins de potentialités.
Il faut donc écrire un document qui sera le fondement de nos livres d’éducation civique et morale ; de biologie, d’histoire et de sociologie. Nous pouvons et devons récupérer nos parents et nos soi-disant féticheurs, véritables psychologues auxquels nous avions l’habitude de nous référer au village pour nos problèmes et différends familiaux. Il s’agit de sauver l’individu (cet être de plus en plus replié sur lui-même et vivant par procuration à travers les réseaux sociaux) en ressuscitant l’homme (cet être partageant quelques valeurs positives avec les autres). Il s’agit d’être solidaire et non solitaire !
Maoudi Comlanvi JOHNSON, Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe