Baisse du niveau des apprenants en Français : Des spécialistes identifient les causes et font des propositions - Journal Educ'Action - Éducation au Bénin et dans le monde
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Baisse du niveau des apprenants en Français : Des spécialistes identifient les causes et font des propositions

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La question de la baisse du niveau des apprenants en Français se fait de plus en plus récurrente. Cette année, le faible taux de réussite en Français et dans les séries littéraires pousse bien des observateurs de la chose éducative à s’interroger sur les raisons de cette évidence. Pour satisfaire cette interrogation, Educ’Action a rencontré des acteurs du système éducatif qui n’ont pas manqué de renseigner les causes. Lesquelles causes, selon eux, sont très profondes. Aussi, ont-ils jeté des idées de propositions de solutions pour remédier la situation actuelle, objet de toutes les diatribes.

Autrefois surnommé « Quartier Latin de l’Afrique » à cause de ses filles et fils dont le niveau intellectuel est apprécié de tous, le Bénin porte-t-il toujours ses marques qui le distinguaient des autres pays de l’Afrique de l’Ouest ? Cette question mérite d’être posée, au regard de la baisse du niveau intellectuel des apprenants et du faible taux de réussite enregistré, de plus en plus, dans les séries littéraires, ces dernières années. Cette année, les résultats obtenus en Français et dans les matières littéraires aux différents examens de fin d’année scolaire 2019-2020 en disent long. Aucun département n’a réussi à obtenir 1% de taux de réussite en dictée au CEP. De même, les séries littéraires sont restées à la traine aussi bien au BEPC qu’au BAC. En témoignent les statistiques qui ont sanctionné ces différents sprints intellectuels. Cette réalité, semble-t-il, ne date pas d’aujourd’hui, mais s’est accentuée cette année au vu de bien des raisons évoquées par des spécialistes interrogés sur la question.

Les raisons d’une baisse drastique de niveau chez les apprenants …

Il n’y a jamais de fumée sans feu, sommes-nous tentés de dire. La baisse du niveau des apprenants se justifie par diverses raisons, à en croire les différents acteurs approchés. Chacun d’eux circonscrit le mal, selon son niveau de connaissances. Si pour certains parents d’élèves, cette baisse se justifie aussi bien par le défaut de lecture, pour d’autres, la télévision et les outils multimédias justifient la trop grande désaffection pour la lecture observée chez les apprenants de nos jours. A cette liste d’identification des causes de la baisse du niveau chez les apprenants, les inspecteurs et conseillers pédagogiques ajoutent plusieurs autres raisons qui sont bien plus profondes. « La tendance de la politique éducative actuelle est d’accorder la priorité aux sciences, de promouvoir les séries scientifiques et de valoriser toute initiative allant dans ce sens. Ce qui est une immense et profonde source de démotivation pour les littéraires qui se croient des instruments inutiles pour la Nation », dira au prime abord, Apollinaire Agbazahou, inspecteur honoraire de Français de l’Enseignement Secondaire. Françoise Hountondji allie le mal au système éducatif et aux acteurs de ce système, en sa qualité de conseillère pédagogique en Français. Mais à cela, elle ajoute, le choix hasardeux de ML au premier cycle et de la A au second cycle, la défaillance du suivi parental, le manque de volonté chez les élèves eux-mêmes, l’usage abusif des Tics pour ne citer que ces quelques exemples. L’usage abusif des Tics, les autres acteurs ne manquent pas aussi d’en parler. « Génération whatsapp ou tête baissée, le sacrifice pour la lecture sérieuse et formatrice est passé à de la mode », fait observer Apollinaire Agbazahou. Son collègue Joël de Souza laisse entendre que : « la baisse de niveau en Français est un vieux discours qu’on remet chaque fois au goût du jour. Cela ne manque pas de pertinence, surtout à une époque de consommation inconsidérée d’Internet. Beaucoup d’apprenants préfèrent donner la côte aux contenus aléatoires des réseaux sociaux, perdant l’essentiel de vue. Or, la valeur du livre en feuillet reste patente. C’est grâce aux livres qu’on acquiert la notoriété intellectuelle ».
Bien que cette remarque faite sur la baisse de niveau en Français soit pertinente, de l’avis de l’inspecteur Joël de Souza, elle garde néanmoins un côté discriminatoire aux yeux de ce dernier pour qui, les résultats du BEPC et du Bac sont, quand même, édifiants malgré le contexte sanitaire actuel lié à la Covid-19. « Cette remarque a un côté discriminatoire puisque cela met en exergue la baisse de niveau des séries littéraires par rapport certainement aux séries scientifiques. On connaît la tendance au niveau des séries C : discipline et constance dans le traitement des épreuves, clarté grâce à une méthodologie outillée semble être des méthodes mathématiques empreintes de rigueur et de précision », a-t-il souligné avant d’ajouter que les séries littéraires ne déméritent pas non plus, car « certains candidats ont pu réunir 17/20 ; 18/20 en série A1 ou A2 dans plusieurs CEGs. De même, le taux de réussite avoisinait les 60% au BEPC, session de juillet 2020 au CEG 1 Allada, où j’ai présidé la sous-commission de lecture ». Pour lui, le traitement des épreuves littéraires demande bien plus que des formules à mettre en pratique.

La présence du cœur : une exigence des matières littéraires …

Si les épreuves scientifiques demandent un respect dans l’application des méthodologies et des formules, comme souligné plus haut par l’inspecteur Joël de Souza, il n’en est pas de même pour les séries littéraires. Contrairement à l’opinion vulgairement répandue, l’inspecteur Apollinaire Agbazahou reconnait les séries littéraires comme étant non seulement difficiles, mais encore plus délicates que les autres. « Les langues convoquent le cœur, donc exigent l’intelligence communicationnelle et l’inspiration, contrairement aux sciences qui réclament des automatismes et la routine d’où plus de succès en MC qu’en ML, surtout en cette période où la pandémie de la Covid-19 aidant, les fréquentations des bibliothèques sont limitées », renseigne-t-il en démontrant au passage l’importance des littéraires qui semblent être laissées pour compte. « Pensez-vous que l’humanité puisse s’épanouir si son destin est livré aux scientifiques purs et durs ? Qui va gérer nos émotions ? Qui va harmoniser les relations sociales ? Qui va égayer le monde ? Beaucoup d’élèves destinés à ces missions d’utilité humanitaire sont banalisés avec l’actuel éblouissement et mystification scientifiques de nos décideurs éducatifs ». L’utilité des littéraires n’étant plus à démontrer, l’inspecteur indexe, cependant les enseignants comme l’autre raison de la baisse du niveau chez les apprenants. Pour lui, l’enseignement des lettres ou des langues est si délicat qu’on ne saurait le confier à des profils approximatifs. Ce qui n’est malheureusement pas le cas sous nos cieux, à l’en croire. « Les enseignants de souche littéraire sont des perles rares, donc bien recherchés. Le gros de la troupe n’a pas de carrefour convaincant avec les Lettres. La baisse des prestations des élèves à passion littéraire passe aussi par-là », complète-t-il tout en notifiant les raisons de l’affluence vers les séries scientifiques. « De façon empirique, je sais qu’on se fie plus à la fidélité de la mémoire qu’à l’intelligence des choses. Alors que l’approche pédagogique en vigueur invite les élèves à convoquer leur savoir, savoir-faire et savoir-être pour la résolution des tâches dites complètes. C’est peut-être cela qui déroute les élèves en sciences où désormais la seule mémoire est bien insuffisante ». Pour remédier à cette situation, des pistes de réflexions à valeur propositions de solutions ne sont pas occultées.

Des piste de réflexions pour rehausser le niveau des apprenants en Langues …

Beaucoup d’efforts sont en train d’être faits par le gouvernement pour redorer le blason du système éducatif béninois, reconnait l’inspecteur Joël de Souza. «Un travail chic se fait du côté de la DIPIQ pour les programmes : contenus remaniés, situations d’apprentissage adaptées, répartition millimétrée, selon le calendrier scolaire et autres paramètres d’accompagnement en mode de modélisation pédagogique », a-t-il fait savoir. Mais tant qu’il reste à faire, rien n’est encore fait, dit-on. Pour cela, il juge opportun que soient envisagés des concours littéraires pour susciter des vocations pour l’écriture à partir du creuset des écrivains du programme scolaire ou autres. De même, il faudra faire des rallyes de lecture ; établir une tradition de l’école du livre sous forme de session de visite de bibliothèque ; de caravane itinérante et de promotion des talents décelés. Comme l’inspecteur de Souza, la conseillère pédagogique Françoise Hountondji ne manque pas d’indiquer aux gouvernants éducatifs, la voie à suivre pour conjuguer au passé la baisse du niveau chez les apprenants. « Il faut doter les établissements scolaires de bibliothèques, organiser les clubs de lecture et les concours d’orthographe, occuper les élèves lors de leurs heures perdues, orienter les élèves selon leurs aptitudes vers les séries littéraires ou scientifiques », a-t-elle conseillé.

Estelle DJIGRI

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