Locataires de cabines dans les résidences universitaires ou encore membres des institutions spécialisées qui exercent des activités culturelles, certains étudiants passent la nuit sur le campus universitaire d’Abomey-Calavi. A quoi ressemblent leurs nuits sur le campus ? A travers une ronde effectuée dans la nuit du vendredi 28 au samedi 29 Juillet 2017, le journal Educ’Action vous amène à la découverte de l’ambiance nocturne au sein de la communauté universitaire.
Un vent violent frais souffle puis arrache sur son passage les feuilles mortes de l’arbre qui trône devant le bâtiment MK II et sous lequel papotaient deux tourtereaux. Il est 22 heures 35 minutes et nous sommes le vendredi 28 juillet 2017 à l’Université d’Abomey-Calavi. L’homme propose à la femme un retour en cabine au risque de se faire surprendre par la pluie, quand des applaudissements nourris se font entendre sur le terrain de handball. Question de curiosité oblige peut-être, le couple décide d’aller voir ce qui se déroule à environ trente mètres de leur refuge. C’était un parterre d’étudiants avoisinant la centaine qui suivait le dernier spectacle de la deuxième journée des rencontres internationales de théâtre étudiant « Universi’Arts 2017 », organisées par l’Union Culturelle et Artistique des Etudiants (UCAE). C’est la fin du spectacle et tous les étudiants en sursaut ont déserté les lieux en moins de cinq minutes à l’exception de l’étudiant Raïmi Nourou, un des membres du comité d’organisation de la manifestation et de quelques autres éléments du Comité d’Ordre et de Discipline des Etudiants (CODE). Inscrit en spécialité ‘’Administration Générale’’ à l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM), l’étudiant Raïmi Nourou a choisi de rester encore un peu dans la fraîcheur de ce vendredi soir avant de rejoindre sa cabine. « Le spectacle était intéressant parce que cela valorise notre culture béninoise. J’aurais bien souhaité que la soirée dure un peu plus de temps parce que les activités culturelles du genre manquent vraiment aux étudiants sur le campus depuis un certain temps », affirme-t-il pour répondre à notre question de savoir ce qu’il pense des activités culturelles organisées dans la nuit sur le campus. Questionnée dans le studio de l’UCAE sur le même sujet, Nicole Wida, Secrétaire chargée des finances et de l’économie de l’Union Culturelle et Artistique des Etudiants, estime que le campus a perdu son animation nocturne d’entre temps. « Jusqu’à l’année passée, l’université était très animée, contrairement à ce que nous voyons aujourd’hui. Même quand ce n’était pas une période d’effervescence culturelle, le campus vivait au rythme de l’ambiance tous les soirs », renseigne la comédienne la plus visible sur les affiches publicitaires de la section théâtre de l’UCAE. A partir de cette année, observe-t-elle, tout est dormant à l’Université d’Abomey-Calavi parce que beaucoup d’étudiants ont déserté les lieux. Certes, les activités des institutions spécialisées culturelles sont indispensables pour l’épanouissement des étudiants, mais Raïmi Nourou pense que parfois les spectacles nocturnes de l’UCAE ou de l’Ensemble Artistique et Culturel des Etudiants (EACE) peuvent causer parfois des préjudices aux étudiants dans les cabines. Niet ! rétorque sa camarade Nicole Wida qui rejette sans réserve cette affirmation. « A l’UCAE, notre plus grand festival, c’est les Universi’Arts qui durent au plus une semaine. Un étudiant qui affirme que dans cette seule semaine d’activités culturelles, il ne parvient pas à étudier alors que nous avons neuf mois, je pense que c’est une fausse histoire. Ce n’est pas parce qu’on a pris une semaine pour suivre des spectacles, qu’on va dire que cela va causer des préjudices aux études. Quand même ! », S’exclame l’argentière maison de l’UCAE. Approché pour avoir son opinion sur la pollution sonore que les activités culturelles nocturnes peuvent causer aux étudiants résidents, Alain Nouho, président de l’Union Nationale des Etudiants du Bénin (UNEB) se veut rassurant : « Nous veillons au grain pour éviter que les institutions culturelles dans l’exercice de leurs activités, ne franchissent le décibel qui pourrait amener à parler de pollution sonore à l’Université d’Abomey-Calavi ».
La question de la sécurité sur le campus…
Restée vivace dans sa mémoire, Raïmi Nourou se souvient encore de l’histoire de son camarade d’amphi, qui, de retour d’une balade nocturne en ville, il y a de cela six mois, s’est fait dépouiller de ses biens et tabasser par des individus non identifiés aux encablures du jardin botanique. « Depuis ce temps, j’évite d’emprunter les chemins non éclairés du campus », confie l’étudiant qui soutient que la sécurité sur le campus dans la nuit est vraiment douteuse. Sous le couvert de l’anonymat, un ancien membre de l’Etat major de la Fédération Nationale des Etudiants du Bénin (FNEB) reconverti dans le CODE depuis le mois d’octobre 2016, a accepté de nous éclairer sur le dispositif sécuritaire à l’UAC. La montre indique qu’il est 23 heures 10 minutes et nous sommes devant le bâtiment MK II. L’ancien « Kanlingan » de l’Etat major de la FNEB explique que la sécurité du campus est assurée par deux forces. Une première force de sécurité composée des agents de gardiennage est chargée de la surveillance du rectorat, des amphithéâtres, de l’entrée principale donnant accès à l’université et de quelques lieux stratégiques du campus. La deuxième unité composée des éléments de maintien d’ordre des institutions spécialisées assure la ronde du campus. « Le rôle des agents de gardiennage est de contrôler au niveau du portail principal, les pièces des étudiants qui rentrent sur le campus tard dans la nuit et le nôtre est de faire de même dans les zones des résidences », explique-t-il. Mais malheureusement,
constate-t-il, il se fait que malgré le contrôle au niveau du portail, on retrouve certaines personnes dans l’enceinte de l’université sans carte d’étudiant. Comment peut-on alors expliquer cette situation ? L’homme apporte des éléments de réponse. « Il s’agit de certains cadres ou fonctionnaires qui viennent déranger nos camarades étudiantes dans les résidences PIP. Chaque soir, ce sont des voitures qui viennent stationner devant le bâtiment. Ces genres de personnes, nous les renvoyons souvent vers la sortie du campus », informe-t-il, avant d’ajouter qu’avec la suspension de la collaboration entre les autorités universitaires et les institutions spécialisées, l’activité de la ronde n’a pas encore démarré depuis la rentrée académique 2016-2017. Cette situation de blocage de la collaboration entre autorités et institutions spécialisées n’est pas du goût du président de l’UNEB qui exhorte les autorités à associer les organisations estudiantines à la sécurisation de l’université. Dans cette dynamique, Alain Nouho confesse qu’il a même déjà rédigé un projet qu’il va soumettre au Recteur Brice Sinsin les jours à venir. Avant que l’autorité rectorale ne prenne connaissance de ce projet, c’est l’ambiance qui règne au niveau de la résidence PIP abritant des étudiantes qui nous intéresse. Allons à sa découverte !
Les réalités nocturnes de l’amphi PIP abritant les étudiantes …
Avec l’espoir que la chance pourrait être de notre côté, notre périple nocturne nous conduit au niveau de la résidence universitaire qui héberge les étudiantes de l’UAC. Ici, mis à part l’électricité qui éclaire l’intérieur des cabines et du bâtiment au rez-de-chaussée de la résidence PIP, l’obscurité domine la cour. De couleur blanche et située derrière le bâtiment MKII de l’Université d’Abomey-Calavi, cette résidence universitaire compte moins de cabines que les autres résidences du campus. Un groupe de cinq hommes en concertation dans l’obscurité autour d’une voiture noire de marque Toyota remarque notre présence sur les lieux et arrête la discussion. Les regards se tournent vers notre direction pendant trois minutes environ avant que la concertation ne reprenne à nouveau. Il est 23 heures 30 minutes. De notre position, nous venons d’entendre le chef de la bande qui intime l’ordre à son équipe d’aller perquisitionner le bâtiment pour ramener ‘’l’idiot’’ (pour reprendre ses propres termes) qui a garé le véhicule en stationnement devant la résidence. Dix minutes sont passées et un homme de taille courte, un peu ventru, habillé en tee-shirt rayure et pantalon noir, accompagné de deux filles habillées en tenues légères, s’avancent jusqu’à disparaitre dans l’obscurité. Un interrogatoire commence pour l’homme qui devrait expliquer les raisons de sa présence dans cette nuit tardive dans une cabine destinée aux étudiantes. Pendant la demi-heure que nous avons passée devant ce bâtiment avant que l’un des éléments du groupe, le plus costaud, les yeux rouges de colère après avoir remarqué qu’on espionnait la discussion ne vienne nous intimer l’ordre de vider les lieux dans l’immédiat, que d’actes et de faits ont été remarqués. Une dizaine de couples ont défilé dans ce bâtiment durant le laps de temps que nous avons passé sur ce terrain. Les uns sortant des cabines pendant que d’autres faisaient leur entrée dans le bâtiment. Mini-jupes, nuisettes s’arrêtant au niveau des genoux, l’ambiance qui règne dans ce lieu est similaire à celle des rues les moins éclairées du quartier Jonquet ou encore du Hall des Arts Loisirs et Sports après 23 heures. La peur au ventre que l’ambiance ne tourne autrement en notre défaveur au cas où on s’entêtait à rester sur les lieux, nous quittions le périmètre pour une nouvelle destination : le jardin universitaire.
Le constat d’une entrée libre sur le campus à des heures tardives …
Le jardin universitaire est l’un des endroits les moins éclairés de l’Université d’Abomey-Calavi. Donc, propice à des rencontres amoureuses. A 00 heures 7 minutes, c’est le calme plat qui règne dans ce lieu de repos prisé des étudiants. On ne pouvait entendre que le bruit du balancement des branches dans le jardin. Pas grande chose à voir de ce côté, nous prenons donc la direction du bâtiment B qui abrite les locaux de la presse universitaire et des organisations estudiantines. Devant le bâtiment, une centaine de motos environ sont en stationnement. Nous sommes à l’unique endroit de garde motos qui fonctionne la nuit sur le campus d’Abomey-Calavi. Agent de sécurité à « AGIS Security », c’est Kouéssi Hountondji qui est de garde cette nuit. Tout en achevant son assiette d’ananas, l’homme partage avec nous son expérience de noctambule sur le campus. « La sécurité est un travail de risques. C’est encore plus risqué à l’Université d’Abomey-Calavi où on est exposé à des actes récurrents d’insécurité. Les éléments de l’Etat major sont capables de tout et nous avons souvent peur d’eux. La réalité sur ce campus, c’est que quand toi tu dis oui, les étudiants disent non. Dieu Merci qu’ils ne sont pas arrivés nous déranger par ici et on prie que cela n’arrive pas », dira l’agent de sécurité qui souligne que les étudiants qui garent leurs motos à ce poste ne sont pas soumis au payement obligatoire de frais comme cela se fait ailleurs sur le campus dans la journée. Et pour cause, l’objectif premier de sa présence en ces lieux est de surveiller le bâtiment administratif B. « C’est le Centre des Œuvres Universitaires et Sociales d’Abomey-Calavi qui nous a recruté pour surveiller le bâtiment B, mais nous avons profité pour régler un problème des étudiants qui se plaignent des vols de motos dans les résidences universitaires. Donc, c’est pour apporter une aide aux étudiants que ce seul espace de garde-motos fonctionne la nuit », ajoute-t-il. A en croire l’agent de sécurité, aucun cas de vol de moto n’a été enregistré sur ce parking en quinze ans d’existence. Notre périple nocturne s’achève au niveau de l’entrée principale de l’Université d’Abomey-Calavi. A 00 heure 20 minutes où nous franchissons le portail de l’université, nous ne remarquons aucune présence d’agent de sécurité. Contrairement à la déclaration de l’élément du CODE qui avait précisé qu’un agent de sécurité est posté devant l’entrée de l’université pour filtrer les entrées, les passants pouvaient circuler librement sans aucun contrôle. Rencontré dans la journée du lundi 31 juillet 2017, pour avoir l’avis de l’autorité sur la situation sécuritaire de l’Université d’Abomey-Calavi, un responsable du rectorat qui s’est confié sous anonymat, a rassuré que des réformes sont en cours pour sécuriser davantage le campus.
Edouard KATCHIKPE