Application du système de sous-cycle au Primaire : Des enseignants mal à l’aise, le ministère rassure - Journal Educ'Action - Éducation au Bénin et dans le monde
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Application du système de sous-cycle au Primaire : Des enseignants mal à l’aise, le ministère rassure

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Les enseignants des classes de CI, CE1 et CM1, depuis la fin de l’année scolaire 2019-2020, n’ont plus les coudées franches en termes de décision de passage en classe supérieure de leurs apprenants. Ils sont appelés à faire passer systématiquement les écoliers des classes sus-citées en année supérieure, ceci en respect de système de sous-cycle. Une disposition prise via une circulaire en date du mercredi 02 septembre 2020 et à travers laquelle le ministre de tutelle, Salimane Karimou, invitait les enseignants à l’observance de cette décision. Ce qui n’est pas sans conséquences sur le rendement des apprenants une fois en classe supérieure à savoir CP, CE2 et CM2. Votre journal Educ’Action est descendu sur le terrain. Voici la moisson !

Nous sommes dans le quartier Cocotomey, situé dans la commune d’Abomey-Calavi, non loin de la pharmacie Concorde. Ici, la circulation est toujours animée. Pour rallier cette école relevant du giron de l’Etat, il faut beaucoup de vigilance de la part des acteurs du Complexe Scolaire Cocotomey A-B-C. Il est 9 heures 30 minutes ce jeudi 20 janvier 2022. Des directeurs sont en concertation dans le bureau de Arnaud Agbohounka, directeur du groupe/C de ce complexe, sis dans la région pédagogique N°12. Le tableau synoptique du groupe bien accroché, indique des effectifs pléthoriques d’écoliers dans les classes de CP, CE2 et CM2. « La réalité du terrain, qu’on soit en milieu urbain ou en milieu rural, c’est qu’il y a des écoles où les effectifs sont énormes. Vous pouvez rentrer dans une école aujourd’hui et dans une classe de CI, vous pouvez avoir jusqu’à cent-vingt (120) écoliers. Combien de personnes l’enseignant pourrait désigner en une journée pour passer à une activité et avoir un bon résultat ? », lâche Arnaud Agbohounka, directeur de l’EPP Cocotomey groupe/C. Pour lui, la massification des apprenants dans les écoles et classes demeure un casse-tête de tous les jours en termes de gouvernance scolaire. Ce problème existe depuis bien des années, mais il s’est accentué dans les classes de CP, CE2 et CM2 avec l’observance rigoureuse de la mesure liée au système du sous-cycle.

Des effectifs pléthoriques aux difficultés d’apprentissage des apprenants …

Pas d’échec pour les écoliers des classes de CI, CE1 et CM1. C’est une disposition qui s’inscrit dans la dynamique de « l’Education pour tous », un concept prôné au Forum mondial sur l’éducation en 2000 à Dakar (Sénégal). Il vise à garantir aux écoliers, l’accès à un enseignement primaire obligatoire et gratuit, leur maintien à l’école ; l’acquisition des compétences et connaissances dans la vie courante pour les jeunes et adultes et l’amélioration de la qualité de l’éducation. Plus d’un an d’application de cette décision ministérielle par les enseignants et directeurs et le constat est frappant. « Les effectifs pléthoriques décriés depuis des décennies reviennent en trombe. Les enseignants submergés par ce flot d’apprenants se cherchent et se débrouillent comme ils peuvent. Il y a forcément de l’à-peu-près dont ils ne sont pas responsables à part entière », alerte Toussaint Sagbo-Fanou, parent d’élève et consultant en éducation, avant de relever qu’il serait alarmiste et négatif de dire que rien ne va à l’école, mais aussi trop triomphaliste de dire que tout va bien. Se mettant dans la peau du syndicaliste, Arnaud Agbohounka, secrétaire général du Syndicat National des Instituteurs Acteurs du Développement pour une Education de Qualité au Bénin (SYNIADEQ-Bénin), fait savoir que « le problème est lié à l’effectif dans les classes. C’est le même enseignant qui doit évaluer près de 100 copies. Il va faire tout cela, rendre le bulletin et faire les remédiations après. Nous faisons toutes ces étapes mais l’effectif est écrasant ».
S’agissant du respect du passage dans les classes citées plus haut, les écoliers trainent des lacunes. « L’enfant qui n’a pas le niveau du CE1 et passe au CE2 crée des problèmes à l’enseignant de CE2 et de la même manière, l’enfant qui quitte le CM1 sans niveau pour le CM2 crée des soucis à l’enseignant du CM2. Ils traînent des lacunes. L’enfant ne connaît pas grand-chose et on le pousse jusqu’à ce niveau. Si on ne sait pas faire, cet apprenant, par la magie des choses, va rassembler les 6/9 au CEP et ira au collège avec des tares », a expliqué Gabin Djiwa, secrétaire général du Collectif National des Instituteurs et Institutrices du Bénin (CENIB) Cotonou-Lagune. Même situation vécue du côté de son camarade-syndicaliste Arnaud Agbohounka. « Après cette expérience, la promotion des enfants que nous avons, est en train d’aller aujourd’hui à l’examen du CEP. Quand ils sont arrivés en classe de CM2, la classe que je garde, nous en souffrons beaucoup. Nous avons constaté qu’il y a des enfants que nous ne devrons forcément pas faire passer du CM1 au CM2 et qui avaient traîné des lacunes depuis certaines classes », a-t-il indiqué.
En raison des lacunes de quelques apprenants, certains enseignants peinent à évoluer dans le programme pendant que d’autres, pour corriger les déséquilibres scolaires, initient des séances de TD. Au demeurant, une décision ministérielle est venue suspendre ces TD, invitant les enseignants à revoir leur copie.

Du retard dans le programme …

« Au niveau des apprenants du CI ou du CP qui ne connaissent peu de choses, le maître du CP est obligé de reprendre les notions du CI à ces apprenants pour qu’ils soient à peu près au même niveau que les autres apprenants. C’est la même chose pour le CE1. L’enfant passe au CE2 sans maîtriser les diphtongues. Dans l’emploi du temps, il y a un temps pour chaque leçon. Mais voici que l’enfant ne connaît pas, l’enseignant est obligé de traîner sur la notion incomprise de la classe antérieure », a précisé le syndicaliste Gabin Djiwa. Vivant la même réalité dans la classe de CM2 dont il est le titulaire, le directeur Arnaud Agbohounka, déclare d’une voix rauque : « Nous sommes en train de reprendre la syllabation avec des apprenants de CM2 aujourd’hui. Cela veut dire qu’on laisse carrément aujourd’hui le programme du CM2 et on fait avec eux le programme du CE1 afin qu’ils puissent d’abord savoir lire pour écrire ce qu’on va leur dire comme leçons ».

Arnaud Agbohounka, SG du SYNIADEQ-Bénin

Toussaint Sagbo-Fanou, parent d’élève, dira pour sa part : « Il est à craindre que l’objectif tant recherché par l’autorité ministérielle ne soit jamais atteint. Au finish, une formation au rabais de nos écoliers avec des conséquences négatives sur leur devenir est ce à quoi nous allons assister si ce n’est déjà le cas. C’est toute la nation qui risque d’en pâtir demain ».
Partant du constat que le niveau des apprenants baisse considérablement, les enseignants ont pensé et organisé les TD pour corriger le tir. Une initiative que l’autorité ministérielle a tôt fait d’arrêter. « Nous avons instauré des travaux dirigés parce qu’on n’a pas le temps normal pour pouvoir le faire en classe. On est obligé de prendre les enfants parfois à midi sous autorisation des parents pour travailler avec eux parce qu’on veut un résultat en fin d’année. Nous avons vu que l’enfant à midi a besoin du repos, l’enseignant aussi en a besoin. Nous avons convenu de les prendre les mercredis soir et les samedis matin. Le ministre n’a pas voulu séparer les bons grains de l’ivraie et a mis tout le monde dans le même panier en stoppant ces TD », se désole le directeur de l’EPP Cocotomey groupe/C. « Les TD corrigent beaucoup de choses. Le parent qui a de l’argent et qui engage un répétiteur pour son enfant à la maison, a un surplus. Nous avons besoin de leur donner les devoirs de maison, de faire avec eux des TD pour relever le niveau », dira le syndicaliste Gabin Djiwa, reconnaissant ainsi le rôle important des TD pourtant supprimés dans les écoles primaires. Autrefois, les parents pressés et imbus de favoritisme militent pour le saut de classe à leurs enfants. Aujourd’hui, les réalités semblent être autres surtout avec la disposition relative au passage systématique.

Du refus de passage des apprenants à la réaction du DIIP…

« Si j’ouvre mes archives, je vous sortirai des décharges. Nous avons fait passer des enfants en classes supérieures. À la reprise, les parents qui ont suivi l’évolution de leurs enfants au cours de l’année scolaire, sont venus pour demander qu’ils reprennent la classe. Dans ce cas, nous leur demandons de faire une décharge pour me protéger ». Ces propos de Arnaud Agbohounka, membre de la commission paritaire et administrative au Ministère des Enseignements Maternel et Primaire (MEMP), relancent le débat sur l’opinion des parents sur le passage de leurs progénitures. « Si des parents en viennent à demander à l’État de ne pas faire passer leurs enfants en classe supérieure, cela cache un malaise et un mal-être inquiétant. La copie doit être revue pour le bien de nous tous », a affirmé Toussaint Sagbo-Fanou, consultant en éducation, avant de souhaiter une rencontre de toutes les têtes pensantes soucieuses du système éducatif béninois pour réfléchir une fois pour de bon sur l’avenir de l’école béninoise.
À la lumière du constat fait dans les classes de CP, CE2 et CM2, les reporters de Educ’Action ont décidé de recueillir l’avis du Directeur de l’Inspection et de l’Innovation Pédagogique (DIIP) du MEMP. Joint au téléphone, le samedi 22 janvier 2022, l’inspecteur Rock Ahokpossi, puisque c’est de lui qu’il s’agit, répond en ces termes : « C’est nous-mêmes qui avions refusé le redoublement dans les classes de transition.

 

L’inspecteur Rock Ahokpossi

Il y a trois cycles au primaire. Le cycle 1 qui est le C1 et le CP, le cycle 2 : CE1 et CE2, et le cycle 3 : CM1 et CM2. Nous sommes engagés dans une politique de sous-cycle qui ne voudrait que dans un sous-cycle, il y ait complémentarité de programmes. Dans le programme CP, c’est le programme de CI qui a été approfondi ». Il poursuit ses explications, affirmant que : « Il y a eu le RESEN (le Rapport d’Etat du Système Educatif National, qui est un diagnostic détaillé du système éducatif d’un pays dans l’objectif d’aider les décideurs à connaître les forces et les faiblesses du système, suivre les progrès réalisés et définir les meilleures options de politiques éducatives, Ndlr) qui a permis de remarquer qu’il y a un fort taux de redoublement. Ce redoublement, est non seulement une perte en matière d’efficacité interne, mais aussi n’encourage pas l’amélioration des performances de ceux qui ont redoublé la classe suivante » .
Pour ce qui est des parents qui refusent le passage de leurs enfants en classe supérieure en raison de leur faible niveau, l’inspecteur Rock Ahokpossi explique : « Il est établi qu’aucun enfant n’est nul à priori. Est-ce que l’enseignant fait son travail dans sa classe ? Et si l’enseignant du CI n’a pas fait son travail, il faut qu’au CP, l’on puisse rattraper cela. Le problème que nous avons dans le secteur de l’éducation, c’est la conscience professionnelle de nos enseignants ».

Enock GUIDJIME

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